dimanche 25 juillet 2010

UNE GRANDE FÊTE POUR MONSIEUR LE CARDINAL

Pendant qu’une certaine Église de Québec se prépare à célébrer en grande pompe, le 15 août prochain à la Basilique de Ste-Anne de Beaupré, la promotion du Cardinal Ouellet comme préfet à la Congrégation des Évêques, une autre frange de cette même Église continue à s’interroger sur la mission de l’Église en relation aux impératifs évangéliques laissés par Jésus de Nazareth à ses disciples. Il y a un contraste toujours plus marqué entre cette Église institutionnelle qui rayonne à travers ses personnages et ses cultes et cette autre Église plus ou moins visible, mais bien présente au cœur du monde dans lequel nous vivons.

Si la célébration qui se prépare est, pour les premiers, la manifestation par excellence de l’Église voulue par Jésus, type Église triomphante, pour les seconds, plutôt Église militante et souffrante, elle en est un contre témoignage. La lettre d’invitation adressée à tous les représentants d’instituts et mouvements de vie consacrée dit, entre autres, ceci :

« Les membres de votre mouvement/institut de vie consacrée sont les bienvenus à cette dernière célébration eucharistique officielle de Monsieur le Cardinal à Québec avant son entrée en fonction à Rome. En plus des 1200 places de la basilique, 800 places supplémentaires seront aménagées dans la crypte; un écran géant et une animation (pour le chant et autres violets de la célébration) vous permettront de vivre en pleine communion cette célébration eucharistique. Tous ceux et celles qui le désirent pourront saluer le cardinal après cette célébration qui s’annonce riche en émotions pour souligner les huit années de Monsieur le Cardinal à Québec. »

Il est prévu que le Nonce apostolique, représentant du Pape, soit de la fête et que les télévisions du monde entier en assurent la transmission à travers la planète. Cette Église, accrochée à ses pompes et au culte de la personnalité de ses dirigeants, davantage soucieuse de liturgie et de sacrements que de justice et de vérité est celle qui est la plus visible actuellement dans l’exercice du pouvoir ecclésial et dans les médias. Pour elle, le Concile Vatican II est un mauvais souvenir qu’il faut vite oublier. Mieux vaut revenir à nos bonnes liturgies d’antan, à nos pratiques cultuelles traditionnelles. Que le clergé réintègre les sacristies et qu’il laisse aux évêques la responsabilité de gérer les préoccupations sociales, politiques et économiques. Les prêtres et théologiens engagés socialement et politiquement, ici au Québec comme ailleurs dans le monde, en savent quelque chose.

Elle a trois grands chevaux de bataille : l’avortement, les moyens de contraception et le mariage des personnes de même sexe. S’il y a d’autres problèmes, aucun ne vient chercher autant d’énergie et d’engagements que les trois mentionnés plus haut. S’il y a la pauvreté, les guerres, des injustices, il faut évidemment s’y attarder, mais un peu comme quelque chose d’inévitable. Des alliances plus ou moins officieuses avec les dirigeants politiques et les grandes fortunes font en sorte que les déclarations officielles, encycliques, lettres pastorales, sont formulées de telle manière que personne de ces bonnes gens ne trouve à y redire. Par contre si des gouvernements émergents, comme c’est le cas en Amérique latine, s’en prennent aux privilèges et pouvoirs indus des oligarchies, alors, là, ils deviennent de solides alliés de ces dernières.

Voilà donc l’Église, celle qui remplira les 2000 sièges de la Basilique et que le monde entier pourra regarder, certains avec complaisance, d’autres avec dégoût.

Pourtant, me semble-t-il, les consignes données par Jésus à ses apôtres et disciples sont suffisamment claires pour ne pas prêter à confusion. Je me permets d’en relever quelques unes :

« Il leur dit : "Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler Bienfaiteurs. Mais pour vous, rien de tel. Au contraire, que le plus grand parmi vous prenne la place du plus jeune, et celui qui commande la place de celui qui sert. » Lc. 22, v.25-26

« Il appelle à lui les Douze et il se mit à les envoyer en mission deux à deux, en leur donnant pouvoir sur les esprits impurs. Et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route qu'un bâton seulement, ni pain, ni besace, ni menue monnaie pour la ceinture. "Allez chaussés de sandales et ne mettez pas deux tuniques." Mc. 6, 7-9

À ces directives, Jésus ne manque pas de relever également les graves déviations qui guettent ceux qui accèdent à des postes d’autorité comme chez les scribes et les pharisiens. Parlant de ces derniers il dit :

"En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes. C'est ainsi qu'ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges. Ils aiment à occuper le premier divan dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues, recevoir les salutations sur les places publiques et à s'entendre appeler Rabbi par les gens. » Mt. 23, 5-7

« Pour vous, ne vous faites pas appeler Rabbi : car vous n'avez qu'un Maître, et tous vous êtes des frères. N'appelez personne votre Père sur la terre : car vous n'en avez qu'un, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler Directeurs : car vous n'avez qu'un Directeur, le Christ. » Mt. 23,8-10

Y A-T-IL VRAIMENT MATIÈRE À FÊTER?

Je suis croyant catholique et je n’ai pas le cœur à la fête. Ma foi est essentiellement et fondamentalement en Jésus de Nazareth, porteur d’une bonne nouvelle pour toute personne de bonne volonté, que le Père a ressuscité d’entre les morts et établi juge suprême de tous les humains dont nous sommes.( Act. 17, 31 ) Mon appartenance à l’Église se rattache à un engagement sans marchandage au service de la justice, de la vérité, de la solidarité, de la compassion et de la vie, cette dernière, accessible à tous et à toutes de manière à ce qu’elle fleurisse à l’image de son créateur.

Nous en sommes encore où les 2/3 de l’humanité ne peuvent y arriver et ceux qui le peuvent se laissent souvent emporter par la superficialité de la consommation et l’indifférence face aux autres. Nous soutenons des guerres qui tuent sans que nous sachions à qui et à quoi elles servent. En même temps nous condamnons des femmes qui, en conscience, se voient obligées de se faire avorter. Les arguments s’ajustent aux objectifs poursuivis. La cohérence n’est évidemment pas toujours au rendez-vous. La crédibilité en prend pour son rhume. Le dernier débat sur la question de l’avortement en est une claire illustration.

Lorsque je regarde l’Institution ecclésiale telle qu’elle se présente au début de ce XXIème siècle, je me désole. Les fenêtres ouvertes sur le monde par le Concile Vatican II ont été refermées et les réformes profondes qui y avaient été amorcées sur les ministères, la collégialité, l’exercice du pouvoir et l’engagement dans le monde, ont été archivées. Nous nous retrouvons avec un pouvoir excessivement centralisé, de quoi nous interroger sur la liberté de l’Esprit Saint de distribuer ses dons comme bon il l’entend. (Cor. 1, ch.12, v. 8-11) L’Église, qui devrait être la championne de la liberté d’expression est devenue une véritable machine à censure pour toutes les personnes en poste d’autorité. Le résultat est la « langue de bois » qui se répercute d’un évêque à un autre, d’un responsable à un autre, sous prétexte d’assurer l’unité. Si des chrétiens s’expriment, comme je le fais actuellement, on se garde bien de mettre à leur disposition des tribunes pour en assurer la diffusion et la discussion au sein même de l’organisation ecclésiale. À l’occasion, certains journaux ou médias se feront même rappeler à l’ordre et seront discrètement invités à ne pas donner trop d’espace « aux lamentations de ces malheureux qui ne sont jamais contents et que tout ce qu’ils savent faire c’est de critiquer ».

Je ne crois pas que l’Église pour laquelle des milliers de personnes ont donné leur vie et continuent de le faire dans certaines régions du monde ait été celle-là. Elles en auront été, peut-être, des victimes mais non des témoins. Le temps n’est vraiment pas à la complaisance et aux célébrations. L’héritage du cardinal à l’Église de Québec sera fortement marqué par un retour à l’intégrisme religieux et aux aspects institutionnels de l’appareil ecclésial. Son rejet de la confession collective, ses luttes contre le mariage des personnes de même sexe, sa condamnation, sans trop de nuance, de l’avortement et des personnes qui en sont les responsables, ses silences sur la guerre en Afghanistan, sur les scandales qui minent les fondements de nos sociétés, sur les manipulations dont nous sommes tous victimes, nous révèlent un personnage qui répond bien au profil recherché par ceux qui ont le contrôle du Vatican. Sa nomination n’est pas une véritable surprise.

La communauté chrétienne de Québec souhaiterait bien que son successeur apporte plutôt une ouverture de l’Église à sa mission fondamentale au service d’une Humanité en quête de justice, de vérité, de compassion, de solidarité. Que la collégialité et le partage des responsabilités deviennent un acte de foi dans l’Esprit qui peut agir en tous et toutes. Si l’invitation à cette fête parle uniquement de Monsieur le Cardinal, il faudrait que son successeur soit davantage identifié au bon « Pasteur » dont nous parlent les Évangiles.


Oscar Fortin
Québec, le 22 juillet 2010

mardi 20 juillet 2010

LES DISSIDENTS ET LES CAMPAGNES DE DÉSINFORMATION SUR CUBA


Il n’est pas toujours facile de se faire une juste idée de ce qui se passe à Cuba pour celui qui prend ses informations au hasard des lectures de quotidiens ou de commentaires glissés sur les sites internet. Malheureusement, nous n’avons pas toujours le temps de contrôler ou de vérifier l’information qui nous est livrée. Pourtant, nous voulons bien disposer d’une information fiable sur la base de laquelle fonder un jugement le plus près possible de la vérité des choses et le plus juste à l’endroit des divers acteurs impliqués dans les évènements racontés.

Le site internet « LE GRAND SOIR » vient de mettre en ligne divers articles fort intéressants sur les dissidents cubains récemment libérés et envoyés en Espagne. Étant donné que certains se font un devoir de nous les présenter comme de véritables héros, sortis vivants, comme par miracle, des cachots de Cuba, les présents articles seront de nature à mettre quelque peu les pendules de l’information à l’heure. À vous d’en apprécier la crédibilité.

http://www.legrandsoir.info/Cubains-a-Madrid-les-dissidents-se-rebellent-Kaos-en-la-Red.html 

http://www.legrandsoir.info/Les-dissidents-cubains-tels-que-les-fabriquent-nos-medias.html


Oscar Fortin

Québec, le 20 juillet 2010

jeudi 15 juillet 2010

HAÏTI-HONDURAS: LE SORT DE DEUX PRÉSIDENTS

Si nous nous fions aux principaux titres et articles que nos médias affichent ces temps-ci sur Haïti, nous arriverons vite à la conclusion que le Président Préval, non seulement doit laisser sa place vite, mais doit être exclu comme Président légitime et responsable de la tenue des prochaines élections. Des « étudiants » et « divers mouvements et personnalités publiques » se manifestent et réclament la démission du Président Préval avant même la tenue des élections présidentielles et législatives prévues, exceptionnellement par décret gouvernemental, pour mai 2011. Les nombreux problèmes causés par le tremblement de terre ont fait en sorte qu’elles ne pouvaient se réaliser convenablement à la date prévue par la Constitution, soit le 7 février 2010.

Qu’y a-t-il donc derrière ces titres et ces articles que nos médias s’empressent de porter à la connaissance de leurs lecteurs et lectrices? On se souviendra la couverture que ces mêmes médias avaient accordée au coup d’état militaire qui avait délogé, au Honduras, le Président Manuel Zelaya dont le mandat arrivait à terme et à qui revenait la responsabilité d’assurer la tenue d’élections présidentielle et législative de novembre 2009. Dans ce dernier cas, il était tout à fait prévisible que cette élection soit remportée par ceux et celles qui poursuivraient les orientations prises par l’administration du Président Zelaya, à savoir poursuivre les réformes amorcées en les consolidant dans une nouvelle Constitution et maintenir la coopération avec les pays émergents, particulièrement en participant à l'ALBA. Toutefois, selon les oligarchies et ceux qui les soutenaient, il ne pouvait en être question. « Il y a tout de même des limites à la démocratie surtout si elle ne laisse pas toute la latitude aux oligarchies d'agir à leur guise."

Dans le cas d’Haïti, me semble-t-il, il y a deux facteurs qui transcendent tous les autres et qui doivent être constamment présents dans la lecture que nous ferons des évènements à venir : d’abord les 10 milliards de dollars US, théoriquement disponibles, pour la reconstruction d’Haïti, ensuite les liens des divers candidats avec les pays émergents de la région. Si nous savons que le Président Zelaya a été expulsé en raison de ses liens avec ces pays et de l’appui qu’il recevait de la population Hondurienne pour aller dans ce sens, il y a fort à parier, qu’en Haïti, les maîtres du jeu ne laisseront pas le peuple et ses futurs dirigeants emprunter une telle orientation. Ils sauront nous convaincre que le peuple n’a pas encore le « discernement qu’il faut et l’intégrité nécessaire» pour décider de son avenir et que certains de ses dirigeants, incompétents et malhonnêtes, n'ont pas le niveau moral pour assumer de telles responsabilités

D’ores et déjà nous savons que le Président Préval maintient de bonnes relations avec les pays émergents et que tout récemment encore, il s’est rendu à Cuba, pays qui coopère depuis des années dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Nous savons que le Venezuela, suite au tremblement de terre, a remis la totalité de la dette d’Haïti et qu’il lui assure gratuitement l’approvisionnement en pétrole pour tous les services publics. Les pays de l’ALBA ont développé des programmes de coopération dans divers secteurs et participent activement à répondre aux besoins les plus urgents. Il est certain que nos médias ne parlent pas beaucoup de ces manières nouvelles de faire. Pourtant, elles s’avèrent efficaces et sont appréciés par les bénéficiaires.

Les États-Unis, avec ses milliers de soldats récemment installés au Costa Rica, avec ses millions de dollars utilisés à travers des ONG qui savent lui rendre de nombreux services de nature pas toujours humanitaire et  comptant toujours sur ses alliés traditionnels dont le Canada et l’Europe, ne laisseront pas le peuple Haïtien décider d’une orientation politique et économique qui ouvrirait la porte à d’autres joueurs que ceux qu’ils auront eux-mêmes choisis. Les 10 milliards de dollars US ne doivent pas leur échapper et doivent servir le plus possible les économies de leurs pays. Pas question que leur usage soit entièrement décidé par des dirigeants qui ne leur soient assujettis. Il est donc important pour eux de prendre l’entier contrôle des élections, peu importe les subterfuges utilisés pour y arriver.

Haïti, premier peuple de la région à avoir conquis son indépendance, sera, finalement, le dernier à pouvoir l’exercer. Certains diront sans doute qu’ils n’a qu’à s’en prendre à lui-même et Dieu sait que les médias et les gouvernements ne manquent pas d’alimenter ce préjugé. Toutefois, il nous appartient de faire la part des choses et de saisir les divers intérêts qui se trament derrière ces déclarations et manifestations.

Quelle triste histoire que celle de ces empires qui ne lâchent pas prise tout en nous chantant la mélodie de l’amour!


Oscar Fortin

Québec, le 15 juillet 2010

vendredi 2 juillet 2010

LE VATICAN, L'ÉGLISE ET JÉSUS DE NAZARETH

La promotion du cardinal Ouellet au poste de Préfet de la Congrégation des Évêques et Président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine nous rappelle le caractère étatique du Vatican et la nature de son fonctionnement. Le Pape, élu par ses pairs cardinaux, est le grand patron, celui qui « a les deux mains sur le volant ». Il choisit ses collaborateurs les plus proches en les nommant à la tête des différents « ministères » qui structurent le fonctionnement de l’État du Vatican. C’est lui qui nomment les cardinaux et choisit les évêques.

Le système par lequel tous ces hauts personnages se retrouvent à ces fonctions de prestige n’a rien à voir avec ce que nous pourrions appeler une quelconque démocratie. Les croyants et les croyantes n’ont aucune intervention structurelle leur permettant d’élire leurs représentants aux diverses fonctions qui sont inhérentes à tout État moderne. Ils assistent, comme tout le monde et sans droit au chapitre, aux nominations qui se font et aux orientations qui sont prises.

Cette situation, suite au long pontificat de Jean-Paul II, suivi de celui de Benoît XVI qui va dans le même sens, prend actuellement un caractère très particulier : les nominations des évêques et cardinaux, faites au cours des 32 dernières années, ont été inspirées, pour leur grande majorité, par une même idéologie religieuse (traditionnaliste), politique (néolibérale) et particulièrement centrée sur le culte liturgique et l’autorité institutionnelle. Ainsi, le Vatican présente l’image d’une Église qui se définit davantage par l’esprit d’un « parti unique », dominé par une même idéologie à la fois politique et religieuse et ayant bien en main les divers leviers du pouvoir de l’État du Vatican et de ses ramifications à travers le monde. Il a plein contrôle sur ses « membres » que sont les évêques et les cardinaux qui lui doivent d’être ce qu’ils sont devenus.

Dans ses alliances politiques, le Vatican est en étroite relation avec les Puissances dominantes de l’Occident avec qui il partage l’idéologie du néolibéralisme. Il leur assure son appui, souvent ouvertement, parfois discrètement. Par exemple, en Amérique latine, il appuie les démocraties dominées par les oligarchies et se montre résistant aux démocraties participatives. Il lui arrive même de soutenir ouvertement des coups d’État militaire, comme ce fut le cas au Honduras, il y a à peine un an. Il se garde bien de critiquer les guerres menées en Afghanistan ainsi que les préparatifs d’une éventuelle guerre contre l’Iran. Dans ses encycliques, il sait utiliser les mots et les formules qu'il faut tout autant que passer sous silence certains faits dans le but de ne pas offusquer ses alliés.

Le Vatican est l’Église dont la face visible est le Pape avec ses cardinaux et ses évêques. Ils sont comme l’incarnation de Jésus de Nazareth dans le monde. D’ailleurs, l’image qui figure derrière le Pape lorsqu’il donne sa bénédiction du balcon de St-Pierre n’est pas celle de Pierre dont il est le successeur, mais celle du Ressuscité dont il est devenu le représentant officiel, comme si ce dernier n’était pas déjà bien présent dans cette « Galilée » devenue le monde.

Mais qu’en est-il vraiment de l’Église, celle dont nous parle l’apôtre Paul et dont témoignent les premiers chrétiens?

Pour Paul, l’Église est ce CORPS vivant dont la TÊTE est le Christ et dont les croyants et croyantes, unis par l’Esprit de ce dernier, sont les membres. D’ailleurs, c’est cet Esprit qui distribue, comme bon lui semble, les divers dons permettant au CORPS de fonctionner dans la diversité et l’harmonie de ses différentes composantes.

«A l'un, c'est un discours de sagesse qui est donné par l'Esprit ; à tel autre un discours de science, selon le même Esprit ; A chacun la manifestation de l'Esprit est donnée en vue du bien commun; à un autre la foi, dans le même Esprit ; à tel autre les dons de guérisons, dans l'unique Esprit; à tel autre la puissance d'opérer des miracles ; à tel autre la prophétie ; à tel autre le discernement des esprits ; à un autre les diversités de langues, à tel autre le don de les interpréter. Mais tout cela, c'est l'unique et même Esprit qui l'opère, distribuant ses dons à chacun en particulier comme il l'entend. » (1Cor.12, 7-11) Vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ, » Éphésien 4, 11-15)

Cette vision de l’Église dont l’épicentre n’est aucun « membre » en particulier, mais le Christ et son Esprit bien à l’œuvre dans le cœur d’hommes, de femmes et d’enfants de toutes races, couleurs, langues et nations se retrouvent difficilement dans l’organigramme de l’État du Vatican. Non pas que les successeurs des apôtres et leurs fonctions n’aient pas leur importance, mais ils doivent s’harmoniser avec celles des autres membres de ce CORPS dont le Christ est toujours la TÊTE. Dans sa lettre aux Éphésiens, Paul apporte cette autre précision en relation à ceux et celles qui constituent les fondations sur lesquelles le Christ édifie ce Corps qu’est l’homme nouveau dont le ressuscité est le premier né.

« Vous êtes intégrés dans la construction dont les fondations sont les apôtres et les prophètes, et la pierre d'angle Jésus-Christ lui-même. C'est lui qui assure la solidité de toute la construction et la fait s'élever pour former un temple saint consacré au Seigneur. » (Ép. 2,20-21)

Cette référence aux prophètes prend un sens particulier pour les temps que nous vivons. Elle nous interpelle sur la place qu’occupe effectivement les prophètes dans la vie de l’Église d’aujourd’hui et celle que l’institution ecclésiale leur reconnaît dans son fonctionnement. Nous savons que les prophètes n’ont jamais eu la vie facile avec les détenteurs des pouvoirs politiques et religieux qu’ils interpellaient en leur rappelant leurs obligations à l’endroit des valeurs fondamentales de la justice, de la vérité, de la compassion, de la solidarité et de la vie. Ils ne se gênaient pas pour dénoncer le faste dont ils s’entouraient et la corruption à laquelle ils s’adonnaient. Rien pour s’en faire des amis.

Cette fonction de prophètes existe toujours même si leurs voix n’arrivent pas toujours à se faire entendre. Leur sort n’est guère différent de celui des anciens. Ils rappellent les valeurs fondamentales des Évangiles ainsi que les directives laissées par Jésus à ses disciples d’aller de par le monde annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, la délivrance aux captifs, l’avènement d’une humanité nouvelle, fondée sur la justice, la vérité et l’amour. Ils dénoncent à temps et à contre temps le tripotage des pouvoirs, la richesse et la vanité de nombre de ses dirigeants, les alliances avec ceux-là même qui tiennent en esclavage les deux tiers de l’humanité. On les fait taire, on les condamne, on ramène leurs propos à de pures bavardages ou encore à des idéologies qui n’ont rien à voir avec la doctrine de l’Institution ecclésiale. Si le Concile Vatican II a ouvert ses portes à la voix des prophètes, ces dernières ont vite été refermées. Pour les retrouver, il faut aller dans la diaspora, là où l’Évangile de la solidarité fleurit, là aussi où le sang des martyrs coule. Nos médias occidentaux et le Vatican lui-même se font bien discrets sur ces témoins qui sillonnent les bidonvilles des grandes agglomérations urbaines, qui parlent le langage de Jésus de Nazareth, qui proclament la libération annoncée au prix de leurs vies. Que de morts ont marqué de leur sang ces terres de l’Amérique latine et d’ailleurs dans le monde, ce monde dans lequel nous vivons présentement! Cette Église là n’a pas sa place au Vatican, elle n’a pas de "Congrégations" ou de "ministères" qu’elle investirait pour agir en son nom.

De petites communautés se forment, méditent sur les Évangiles et la vie de Jésus, partagent entre elles leur espérance et leur foi dans l’avènement d’une Humanité nouvelle. Des pasteurs et des théologiens les y accompagnent souvent au mépris de leurs propres autorités.

Mais qui est-il donc ce JÉSUS DE NAZARETH, personnage central des multiples églises chrétiennes et évidemment de l’Église catholique? Sans lui aucune de ces églises n’aurait sa raison d’être. Qui est-il donc?

Entré dans le monde par la voie étroite de la pauvreté et de l’humilité, il sera consacré comme fils de Dieu lors de son baptême. Son séjour au désert révèlera les grandes orientations de sa mission qui transformeront l’histoire du monde. C’est là qu’il affronta, symboliquement, les trois grandes puissances qui retiennent prisonnière l’humanité dans ce qu’elle est devenue : l’avoir pour se gaver, le pouvoir pour dominer, le paraître pour impressionner. Nous connaissons les réponses qu’il a apportées à chacune d’elles et la distance qu’il a prise par rapport à celui qui s’en faisait le promoteur.
Dans le scénario des trois tentations Jésus se révèle être profondément lié à son Père et, de ce point de vue, il témoigne d’une incorruptibilité totale. Il nous dit que l’humanité à laquelle il nous convie prend racine non pas dans l’avoir, mais dans l’être, non pas dans la domination, mais dans la justice et la vérité (le règne de Dieu), non pas dans le paraître et le prestige des apparats, mais dans l’humilité et la confiance. Voilà, tracée dans ses points les plus fondamentaux, la voie par laquelle Dieu se laissera découvrir et rendra possible l’avènement d’une humanité crée à son image et ressemblance.

De retour du désert, Jésus prit donc le bâton du pèlerin pour annoncer la bonne nouvelle à toute personne de bonne volonté. Au temple, où il se rend le jour du sabbat, on lui demande de faire la lecture d’un passage du prophète Isaïe : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur. » (…) « Aujourd'hui, ajouta-t-il, s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture. » (Lc. 4, 18-21)

Ses trois années de prédication, de témoignages et de vie partagée avec ceux et celles qui l’accompagnent nous le révèlent profondément solidaire de tous ceux et de toutes celles qui souffrent de ces déséquilibres engendrés par ces trois grandes puissances qui s’arrogent tous les pouvoirs. Il guérit les malades, donne la vue aux aveugles, fait marcher les paralytiques, console les affligés, nourrit les affamés, pardonne aux pécheurs. S’il s’entoure de disciples, il s’attache également des femmes qui l’accompagneront jusqu’au pied de la croix. À Cana, il participera à la fête et au Golgotha, il prendra sur lui la souffrance de l’humanité rejetée. Il est bien présent au cœur de cette humanité qui ne peut demeurer indéfiniment entre les mains de ceux et celles qui se l’accaparent pour eux-mêmes. Il est là pour briser les chaînes de l’esclavage, du mépris et de la dépendance. « Il a déployé la force de son bras, il a dispersé les hommes au cœur superbe, Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles, Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides. »(Lc. 1, 52-53) Il dénonce la manipulation que font de la Loi les pharisiens pour mieux couvrir leur hypocrisie.

Ce Dieu, qui se révèle en Jésus, a en horreur les personnes de mauvaise foi, celles qui ne s’intéressent pas à la vérité, mais à leur vérité et pour lesquelles toutes les manipulations sont bonnes. Leurs armes sont le mensonge déguisé en vérité, la tricherie en héroïcité, les biens mal acquis en aumônes, leurs intérêts en bien commun du peuple. Jésus de Nazareth nous ouvre les yeux sur ce monde qui ne peut d’aucune manière se confondre avec celui qu’il vient inaugurer et dont il fait de nous tous les disciples et témoins par son Esprit.

À ses apôtres, il laisse la consigne que le plus grand se fasse le plus petit, que le maître se fasse le serviteur et qu’ils soient tous et toutes les témoins de ce monde nouveau. "Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures, ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton : car l'ouvrier mérite sa nourriture." Mt. 10,9-10) "Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement."

Pour conclure, nous pourrions dire que la foi à laquelle nous convie Jésus de Nazareth est celle qui fait de chacun de nous des êtres nouveaux, non plus soumis aux impératifs des trois grands pouvoirs qui dominent l’humanité (l’avoir, la domination et le paraître) mais à ceux qui la servent et lui permettent de devenir de plus en plus à l’image de la « communauté divine ».

C’est à travers ce prisme de l’être nouveau que le Vatican et les diverses communautés chrétiennes doivent faire et refaire constamment leur examen de conscience. L’Esprit de Jésus de Nazareth n’a pas changé, il est toujours le même. Peut-il vraiment se reconnaître dans l’État du Vatican et ceux qui en assument les principales fonctions? Est-ce là le prisme à travers lequel le monde peut le reconnaitre? Avoir la foi ce n’est pas tellement adhérer à une doctrine, à une idéologie ou à un gourou quelconque mais c’est devenir un être nouveau dans la manière d’être dans ses relations avec les divers pouvoirs qui dominent aujourd’hui le monde et gardent captive l’humanité. Le croyant est celui qui porte les valeurs du royaume dans le quotidien de sa vie et qui ne laisse place à aucun marchandage de ces valeurs avec les puissances de ce monde. Comme Jésus au désert il dit non à la corruption et il dit oui à la solidarité humaine fondée sur la justice, la vérité et l’amour.


Oscar Fortin

Québec, le 2 juillet 2010