dimanche 25 juillet 2010

UNE GRANDE FÊTE POUR MONSIEUR LE CARDINAL

Pendant qu’une certaine Église de Québec se prépare à célébrer en grande pompe, le 15 août prochain à la Basilique de Ste-Anne de Beaupré, la promotion du Cardinal Ouellet comme préfet à la Congrégation des Évêques, une autre frange de cette même Église continue à s’interroger sur la mission de l’Église en relation aux impératifs évangéliques laissés par Jésus de Nazareth à ses disciples. Il y a un contraste toujours plus marqué entre cette Église institutionnelle qui rayonne à travers ses personnages et ses cultes et cette autre Église plus ou moins visible, mais bien présente au cœur du monde dans lequel nous vivons.

Si la célébration qui se prépare est, pour les premiers, la manifestation par excellence de l’Église voulue par Jésus, type Église triomphante, pour les seconds, plutôt Église militante et souffrante, elle en est un contre témoignage. La lettre d’invitation adressée à tous les représentants d’instituts et mouvements de vie consacrée dit, entre autres, ceci :

« Les membres de votre mouvement/institut de vie consacrée sont les bienvenus à cette dernière célébration eucharistique officielle de Monsieur le Cardinal à Québec avant son entrée en fonction à Rome. En plus des 1200 places de la basilique, 800 places supplémentaires seront aménagées dans la crypte; un écran géant et une animation (pour le chant et autres violets de la célébration) vous permettront de vivre en pleine communion cette célébration eucharistique. Tous ceux et celles qui le désirent pourront saluer le cardinal après cette célébration qui s’annonce riche en émotions pour souligner les huit années de Monsieur le Cardinal à Québec. »

Il est prévu que le Nonce apostolique, représentant du Pape, soit de la fête et que les télévisions du monde entier en assurent la transmission à travers la planète. Cette Église, accrochée à ses pompes et au culte de la personnalité de ses dirigeants, davantage soucieuse de liturgie et de sacrements que de justice et de vérité est celle qui est la plus visible actuellement dans l’exercice du pouvoir ecclésial et dans les médias. Pour elle, le Concile Vatican II est un mauvais souvenir qu’il faut vite oublier. Mieux vaut revenir à nos bonnes liturgies d’antan, à nos pratiques cultuelles traditionnelles. Que le clergé réintègre les sacristies et qu’il laisse aux évêques la responsabilité de gérer les préoccupations sociales, politiques et économiques. Les prêtres et théologiens engagés socialement et politiquement, ici au Québec comme ailleurs dans le monde, en savent quelque chose.

Elle a trois grands chevaux de bataille : l’avortement, les moyens de contraception et le mariage des personnes de même sexe. S’il y a d’autres problèmes, aucun ne vient chercher autant d’énergie et d’engagements que les trois mentionnés plus haut. S’il y a la pauvreté, les guerres, des injustices, il faut évidemment s’y attarder, mais un peu comme quelque chose d’inévitable. Des alliances plus ou moins officieuses avec les dirigeants politiques et les grandes fortunes font en sorte que les déclarations officielles, encycliques, lettres pastorales, sont formulées de telle manière que personne de ces bonnes gens ne trouve à y redire. Par contre si des gouvernements émergents, comme c’est le cas en Amérique latine, s’en prennent aux privilèges et pouvoirs indus des oligarchies, alors, là, ils deviennent de solides alliés de ces dernières.

Voilà donc l’Église, celle qui remplira les 2000 sièges de la Basilique et que le monde entier pourra regarder, certains avec complaisance, d’autres avec dégoût.

Pourtant, me semble-t-il, les consignes données par Jésus à ses apôtres et disciples sont suffisamment claires pour ne pas prêter à confusion. Je me permets d’en relever quelques unes :

« Il leur dit : "Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler Bienfaiteurs. Mais pour vous, rien de tel. Au contraire, que le plus grand parmi vous prenne la place du plus jeune, et celui qui commande la place de celui qui sert. » Lc. 22, v.25-26

« Il appelle à lui les Douze et il se mit à les envoyer en mission deux à deux, en leur donnant pouvoir sur les esprits impurs. Et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route qu'un bâton seulement, ni pain, ni besace, ni menue monnaie pour la ceinture. "Allez chaussés de sandales et ne mettez pas deux tuniques." Mc. 6, 7-9

À ces directives, Jésus ne manque pas de relever également les graves déviations qui guettent ceux qui accèdent à des postes d’autorité comme chez les scribes et les pharisiens. Parlant de ces derniers il dit :

"En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes. C'est ainsi qu'ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges. Ils aiment à occuper le premier divan dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues, recevoir les salutations sur les places publiques et à s'entendre appeler Rabbi par les gens. » Mt. 23, 5-7

« Pour vous, ne vous faites pas appeler Rabbi : car vous n'avez qu'un Maître, et tous vous êtes des frères. N'appelez personne votre Père sur la terre : car vous n'en avez qu'un, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler Directeurs : car vous n'avez qu'un Directeur, le Christ. » Mt. 23,8-10

Y A-T-IL VRAIMENT MATIÈRE À FÊTER?

Je suis croyant catholique et je n’ai pas le cœur à la fête. Ma foi est essentiellement et fondamentalement en Jésus de Nazareth, porteur d’une bonne nouvelle pour toute personne de bonne volonté, que le Père a ressuscité d’entre les morts et établi juge suprême de tous les humains dont nous sommes.( Act. 17, 31 ) Mon appartenance à l’Église se rattache à un engagement sans marchandage au service de la justice, de la vérité, de la solidarité, de la compassion et de la vie, cette dernière, accessible à tous et à toutes de manière à ce qu’elle fleurisse à l’image de son créateur.

Nous en sommes encore où les 2/3 de l’humanité ne peuvent y arriver et ceux qui le peuvent se laissent souvent emporter par la superficialité de la consommation et l’indifférence face aux autres. Nous soutenons des guerres qui tuent sans que nous sachions à qui et à quoi elles servent. En même temps nous condamnons des femmes qui, en conscience, se voient obligées de se faire avorter. Les arguments s’ajustent aux objectifs poursuivis. La cohérence n’est évidemment pas toujours au rendez-vous. La crédibilité en prend pour son rhume. Le dernier débat sur la question de l’avortement en est une claire illustration.

Lorsque je regarde l’Institution ecclésiale telle qu’elle se présente au début de ce XXIème siècle, je me désole. Les fenêtres ouvertes sur le monde par le Concile Vatican II ont été refermées et les réformes profondes qui y avaient été amorcées sur les ministères, la collégialité, l’exercice du pouvoir et l’engagement dans le monde, ont été archivées. Nous nous retrouvons avec un pouvoir excessivement centralisé, de quoi nous interroger sur la liberté de l’Esprit Saint de distribuer ses dons comme bon il l’entend. (Cor. 1, ch.12, v. 8-11) L’Église, qui devrait être la championne de la liberté d’expression est devenue une véritable machine à censure pour toutes les personnes en poste d’autorité. Le résultat est la « langue de bois » qui se répercute d’un évêque à un autre, d’un responsable à un autre, sous prétexte d’assurer l’unité. Si des chrétiens s’expriment, comme je le fais actuellement, on se garde bien de mettre à leur disposition des tribunes pour en assurer la diffusion et la discussion au sein même de l’organisation ecclésiale. À l’occasion, certains journaux ou médias se feront même rappeler à l’ordre et seront discrètement invités à ne pas donner trop d’espace « aux lamentations de ces malheureux qui ne sont jamais contents et que tout ce qu’ils savent faire c’est de critiquer ».

Je ne crois pas que l’Église pour laquelle des milliers de personnes ont donné leur vie et continuent de le faire dans certaines régions du monde ait été celle-là. Elles en auront été, peut-être, des victimes mais non des témoins. Le temps n’est vraiment pas à la complaisance et aux célébrations. L’héritage du cardinal à l’Église de Québec sera fortement marqué par un retour à l’intégrisme religieux et aux aspects institutionnels de l’appareil ecclésial. Son rejet de la confession collective, ses luttes contre le mariage des personnes de même sexe, sa condamnation, sans trop de nuance, de l’avortement et des personnes qui en sont les responsables, ses silences sur la guerre en Afghanistan, sur les scandales qui minent les fondements de nos sociétés, sur les manipulations dont nous sommes tous victimes, nous révèlent un personnage qui répond bien au profil recherché par ceux qui ont le contrôle du Vatican. Sa nomination n’est pas une véritable surprise.

La communauté chrétienne de Québec souhaiterait bien que son successeur apporte plutôt une ouverture de l’Église à sa mission fondamentale au service d’une Humanité en quête de justice, de vérité, de compassion, de solidarité. Que la collégialité et le partage des responsabilités deviennent un acte de foi dans l’Esprit qui peut agir en tous et toutes. Si l’invitation à cette fête parle uniquement de Monsieur le Cardinal, il faudrait que son successeur soit davantage identifié au bon « Pasteur » dont nous parlent les Évangiles.


Oscar Fortin
Québec, le 22 juillet 2010

2 commentaires:

Michel a dit...

Bonjour Oscar,
Tu as raison: ce n'est pas un jour de fête pour l'Église du Québec. Ce jour augure plutôt des lendemains sombres: condamnation de ceux et celles qui ne suivent pas les directives venues d'en haut, insensibilité aux appels des marginaux, référence unilatérale à la tradition.
J'espère que le silence relatif de plusieurs évêques du Québec va se traduire par une absence ou un refus de participer à cette célébration.
Continuons de rebâtir une communauté des disciples de Jésus qui préfèrent les dernières places et emportent avec eux le minimum pour annoncer l'Évangile de la Résurrection.
Michel Bourgault

Oscar Fortin a dit...

Merci Michel pour ce commentaire. Il est dommage que la région de Québec ne puisse compter sur des regroupements pouvant prendre la parole au nom de ces chrétiens que je qualifie souvent "hors des murs" mais non moins engagés au service de la Bonne Nouvelle de l'Évangile.