lundi 7 février 2011

À MON FRÈRE BENOÎT XVI

Cher frère,

Je me permets cette lettre dans l’Esprit de celui qui nous unit et dans cette foi qui fait de nous des êtres nouveaux, des témoins du Règne du Père sur terre. La voie par laquelle nous le sommes est celle qui nous a été tracée par Jésus de Nazareth lui-même, cet homme sans lequel aucune église chrétienne ne saurait exister. Il est « Dieu avec nous », la réplique parfaite du Père. «Qui me voit, voit le Père» disait-il à ses disciples. Nous savons que la volonté de ce Père était pour lui un absolu non négociable.

Les Évangélistes nous ont laissé de nombreux témoignages de cet absolu dans la vie de Jésus. Il y en a toutefois deux qui ne prêtent à aucune équivoque : celui des trois tentations au désert et cet autre au jardin de Gethsémani. Dans le premier cas, au désert, nous voyons un Jésus qui, bien qu’affaibli par un jeûne de quarante jours, ne laisse place à aucune concession, à aucun compromis avec son interlocuteur qui dispose pourtant d’un plein pouvoir sur toutes les nations de la terre. Pour Jésus, la voie choisie par le Père, n’est pas celle qui passe par des alliances avec les puissances qui dominent les peuples et les nations, alliances qui comportent inévitablement des compromis Dans le second cas, au jardin de Gethsémani , Jésus est confronté également à un choix terrible entre la volonté de son Père qui le conduira inévitablement à la mort de la croix et certains arrangements et compromis, toujours possibles, lui permettant d’éviter ces souffrances et cette fin douloureuse. Là encore son dernier mot est « que ta volonté soit faite et non la mienne ». N’est pas ce Jésus, fidèle à la Volonté de son Père, qui fonde l’Église dans ce qu’elle est et dans ce qu’elle fait?

En tant que successeur de Pierre ne vous incombe-il-pas, en ces temps que sont les nôtres, de faire en sorte que l’Église soit la plus transparente possible à cet esprit et à cette fidélité de Jésus à son Père? Je reconnais avec vous que nous héritons d’une Église qui a traversé plus de 20 siècles d’histoire, y laissant bien des traces, des bonnes et des moins bonnes. Si de nombreux témoins en ont assuré toute la vitalité et la transparence en assumant pleinement les impératifs évangéliques du règne du Père que sont la justice, la vérité, le partage, la solidarité, la compassion, la miséricorde et l’amour, d’autres, par contre, en ont faite la maison des grands et des puissants de ce monde.

Mieux que moi, vous connaissez toute cette histoire de la transformation des premières communautés chrétiennes, vivant des dons de l’Esprit, soutenues et orientées par les apôtres et les disciples. Elles ont été progressivement transformées en une institution ecclésiale, en tout similaire aux institutions royales et impériales du quatrième et cinquième siècle. D’une Église de service et de communion, d’entraide fraternelle et de solidarité avec les plus nécessiteux, elle est alors devenue une Église de pouvoir, hiérarchisée, centralisée. La foi qui était un vécu, est devenue une doctrine (dépôt) qui n’a cessé de se développer tout au long des siècles alors que sa pratique s’est transformée en cultes. Dans cette Église hiérarchisée et professionnalisée, plus de place pour les prophètes et les voix discordantes. Même l’Esprit Saint doit dorénavant passer par cette autorité ecclésiale pour y distribuer ses dons, ne disposant plus de la liberté de le faire comme bon il l’entend. L’autorité dont vous a investi l’institution ecclésiale n’a-t-elle pas concentré dans la fonction que vous occupez tous les pouvoirs, tant ceux de l’Esprit-Saint que celui des prophètes dont vous seul pouvez en assurer le discernement? Ainsi, les voix discordantes doivent trouver refuge ailleurs ou faire aman honorable.

Vous conviendrez avec moi que l’Église, à la tête de laquelle vous ont placés vos frères cardinaux, n’est plus une référence à cette manière d’être et de vivre, inaugurée en Jésus de Nazareth et témoignée par les premières communautés chrétiennes. Le pasteur n’est-il pas devenu un personnage avec ses titres et habillements, les disciples, des fonctionnaires répondant aux impératifs du culte, alors que la moralité, telle que définie par l’institution, devient le code permettant de classifier le bien et le mal? Dans tout cela, que sont devenus l’Évangile et Jésus de Nazareth? S’il n’y aucun doute que l’Église soit vraiment dans le monde, comme l’a demandé Jésus, il y en a, par contre, beaucoup qui doutent quant à savoir si elle s’en est vraiment protégé. « Je ne te demande pas de les ôter du monde mais de les garder du mauvais. » (Jn. 17,15). Or, l’église que je vois dans le cadre de ses institutions, dans ses réseaux de nonciatures apostoliques et d’évêques, que je vois dans ses célébrations cultuelles et ses alliances avec les grands de ce monde, est non seulement dans le monde, mais elle en fait partie. Comment voulez-vous que le souffle de l’Esprit puisse y passer si elle est à ce point liée à ce monde, ce même monde que Jésus de Nazareth est venue dénoncer et dont le livre de l’Apocalypse nous dit le sort qui lui est réservé?

Vous n’êtes évidemment pas l’unique responsable de cette Église dont vous héritez comme Pape. Il vous appartient toutefois de briser les chaînes qui la rattachent aux puissances de ce monde et, à ouvrir ses portes aux prophètes qui proclament un retour à ce Jésus de Nazareth, à la bonne nouvelle d’un règne nouveau aux humbles et aux exclus de la terre. De partout des voix s’élèvent, encore tout récemment en Allemagne, votre terre natale, des théologiens vous ont écrit pour que le pouvoir retourne dans les communautés chrétiennes, que les évêques se remettent à l’écoute de ce qu’elles ont à dire et qu’ensemble, ils redeviennent lumière du monde. Nombreux sont ceux qui demandent que le sacerdoce soit repensé en fonction des services exigés par la communauté et que cette dernière décide de ceux ou celles qui en assumeront les fonctions, qu’ils soient ou non mariés, indépendamment du sexe qui les définit. Croire que le Christ est toujours celui qui édifie son Église et que l’Esprit y distribue ses dons comme bon il l’entend, c’est croire inévitablement en leur présence dans ces communautés. La volonté du Père n’exige-t-elle pas de vous cet acte de foi, comme il l’a exigé de Jésus au désert et au jardin de Gethsémani?

Vous ne serez pas seul. Vous y découvrirez des communautés de partout à travers le monde, portées par l’Esprit et les impératifs évangéliques, qui vous y accueilleront comme l’authentique successeur de Pierre. Vous y retrouverez de nombreux théologiens et prophètes, particulièrement fascinés par la figure de Jésus de l’histoire, par ses engagements de vie et ses solidarités humaines. Ils sont allés là où il allait, c'est-à-dire auprès des pauvres, des malades, des exclus, des ouvriers, des mineurs, des pécheurs, des incrédules et des croyants. Ils se mirent à l’écoute de tous ces gens. Ils y ont fait entendre le Jésus de l’Histoire, mais aussi le Jésus Ressuscité, toujours là auprès d’eux. Ils ont repris ses paroles d’espérance, parlant de l’homme nouveau, parlant des béatitudes, du règne du Père, dénonçant l’hypocrisie, la tricherie, le mensonge, la cruauté des puissants à l’endroit des faibles et ceux et celles qui se portent à leur défense. Vous y découvrirez l’Église toujours vivante et libre, capable de soutenir les faibles et de dénoncer ceux et celles qui mettent sur le dos des autres des fardeaux qu’ils ne sauraient porter eux-mêmes.

Je m’arrête ici, frère bien aimé, vous assurant de mes prières. Puissent-elles être entendues et vous donner cette foi qu’a eue Jésus au désert et au Golgotha. Votre intelligence et votre sagesse qu’admire le monde, dissimule, je n’en doute pas, quelque chose d’encore plus grand et de plus précieux en vous : un cœur et une foi qui n’arrivent malheureusement pas à se libérer de cette rationalité, faite de postulats, de logique, d’abstraction de subtilité. C’est d’ailleurs cette rationalité qui vous conduit à ajuster les Évangile aux besoins des doctrines et vos Lettres et Messages apostoliques aux besoins des alliés que vous sentez le besoin de « ménager ».

Mon souhait est que vous vous retrouviez dans ce que vous avez de plus précieux, l’homme de cœur et de foi, enfin libéré et pasteur, pour de vrai, au service de Jésus et de son Royaume.Vous serez alors un juste et fidèle successeur de Pierre.

En toute fraternité

Oscar Fortin
Québec, le 7 février 2011

http://humanisme.blogspot.com/

10 commentaires:

Anonyme a dit...

Monsieur Fortin,

Encore un excellent texte qui nous ramène aux principes de base qui ont érigé le catholicisme. Hélas, ces principes ont vite été dissipés par la « monarchisation » de l’église et, plus particulièrement, par celle de son roi, le pape, entouré de ses courtisans, trop souvent mesquins et magouilleurs…tous plus monseigneurs les uns que les autres.

D’autre part, un pareil texte, même pour un non-croyant comme moi, a le grand mérite de nous enseigner à foison d’un point de vue humain. Il y a, dans vos lignes, plusieurs idées que tous, croyants ou non, devraient se faire un devoir d’y trouver l’inspiration nécessaire, si l’on veut et croit réellement aux possibilités d’un éventuel monde meilleur. Mais, pour incarner un tant soit peu cette volonté, cet espoir, là aussi, un peu à la manière des croyants, encore nous faut-il avoir cette espèce de « foi » aveugle nous permettant de croire que l’humain comprendra un jour, de telle sorte qu’il agira en fonction de son amélioration plutôt qu’à son propre profit mercantiliste. Car, selon moi, il en a bien besoin de cette amélioration, s’il ne veut pas un jour être relégué au rang de la pire brute de toute la création…

André Tremblay

Marius MORIN a dit...

M. Fortin, votre expression « frère bien aimé » m’a quelque peu fait sourciller. Vous décrivez très bien les liens entre l’Église et les institutions de pouvoir. Dans la théologie catholique, il y a un problème très grave relié à ce que vous dites concernant le pouvoir. Le pape parle toujours au nom de l’Église et de Dieu. En conséquence, il détient l’autorité et le pouvoir de Dieu sur les fidèles. Si Dieu n’existait pas, quel rôle joueraient le pape et la curie romaine? Le scientifique Galilée fut condamné par le pape Paul V au nom de Dieu, et il fut réhabilité par le pape Jean-Paul II au nom de Dieu. Comment toujours croire aux déclarations du pape au nom de Dieu? Dieu n'est pas à notre portée, « personne n'a vu à Dieu » (Jn 1, 18), même pas le pape, ni vous ni moi. Nous ne connaissons pas vraiment ce que Dieu pense et ce que Dieu veut. Nous ne connaissons que l’idée que nous nous faisons de Lui. Le Tout Autre, le Transcendant passe par notre humanité, il est passé par l’humanité de Jésus de Nazareth, celle des apôtres, celle des Évangélistes, celle des saints à travers les siècles, celle des prêtres, des évêques et des papes. Les mots humains sont limités quand vient le temps de dire le Mystère de Dieu, le mystère de notre foi chrétienne. Installé à la tête de l’Église, le pape Benoit XVI et les autres avant lui, ont trop souvent tendance à se prendre pour le vicaire de Dieu et de parler en son nom. Dieu brille par son absence, et par respect, laissons Dieu être Dieu.

Oscar Fortin a dit...

Merci, M.Morin pour votre commentaire. Il est vrai que personne n'a vu Dieu, sauf Jésus en qui je crois. Par contre je n'ai plus à chercher Dieu au delà de l'homme. Lorsque Jésus dit "qui me voit, voit le Père" il nous ramène les deux pieds sur terre. Il nous suffit de découvrir cet homme dans toutes ses dimensions humaines pour savoir qui est Dieu. Ce dernier est venu à nous, nous libérant de la tâche impossible pour nous d'arriver jusqu'à lui. Alors bienvenu dans l'humanité "Dieu" en Jésus.

Anonyme a dit...

Si dieu existe…et s’il se voit, en nous regardant aller, nous les supposés « êtres suprêmes » de sa création, il doit avoir bien honte de contempler ce qu’il a créé !

André Tremblay

Anonyme a dit...

je crains que vous ne confondiez Golgotha et Gethsemani.

Oscar Fortin a dit...

Merci anonyme pour la précision. J'ai apporté la correction correspondante. Il s'agissait bien du jardin de Gethsemani et non du Golgotha, bien que la proximité et la nature de l'évènement de ce dernier soient indissocialbes de celui de Gethsemani. Il est toutefois important que la correction soit apportée et je vous en remercie.

Oscar Fortin a dit...

M. Tremblay votre interrogation sur le regard que porte Dieu sur ses créatures, "êtres suprêmes" de sa création nous oblige à le lui demander, ne pouvant, nous-mêmes, nous mettre à sa place. Il faut tout de même reconnaître qu'au nombre de ces créatures il y en a qui atteignent des niveaux de perfection très élevés et d'autres des niveaux très bas. La dynamique évolutive entre ces deux extrêmes nous cache sans doute un produit final dont il pourra être fier....

La vision de Teilhard de Chardin nous donne cette perspective d'optimisme qui n'est pas évident au premier coup d'oeil. Seul le regard sur des millénaires d'évolution permet de découvrir l'émergence d'une conscience qui enveloppe toujours plus la conscience de tous les humains. Il appelle cette conscience: la conscience des conscience. Le passage de l'ALPHA à l'OMEGA, du Verbe créateur au Verbe existant. La croissance de la rose, vue à mi chemin de son développement ne donne pas l'aperçu du jardin de roses qu'elle deviendra. Nous ne sommes qu'à mi-chemin de notre devenir.

Anonyme a dit...

Monsieur Fortin,

Nous ne sommes peut-être qu’à mi-chemin de notre devenir, mais au rythme avec lequel nous la traitons, il serait surprenant que notre planète terre soit en mesure de parcourir l’autre moitié de ce chemin…
Y aurait-il là une impasse ?

André Tremblay

Oscar Fortin a dit...

Le passage d'une ère à une autre nous enseigne la capacité extraordinaire qu'a la nature de se régéner non seulement en évoluant, mais aussi en se transformant d'un niveau qualitatif à un autre niveau. D'animal qu'il était, il est devenu l'homme que nous connaissons. Quelle sera la suite? Dieu seul le sait et au cas, comme vous dites, qu'il n'existerait pas, alors que chacun y aille de ses propres hypothèses.

Signomin a dit...

En tant que fidèle catholique, je dois dire , Oscar, que ce serait pour moi un grand malheur si le Saint-Père suivait vos conseils (ce qu'à Dieu ne plaise!) et renonçait à sa fonction de guide, car - pour des raisons qui, semble-t-il, vous échappent - nous avons essentiellement besoin de ce guide.Que ne jouissez-vous en paix de la liberté qui est la vôtre de prier et croire comme vous l'entendez (car cette liberté existe sans conteste de nos jours)? Ainsi vous ne risqueriez pas de faire obstacle à la liberté de ceux qui veulent continuer à rester simplement fidèles au magistère. Si vous parveniez à convaincre le Pape de renoncer à son autorité, je ne pourrais plus la suivre. En revanche, ma fidélité ne vous empêche pas d'être libre. Simple question de respect de l'autre, ne trouvez-vous pas?