mardi 1 février 2005

LE MAL QUI TUE L'HUMAIN

Bien des maux existent. Ils sont tous porteurs d'une brisure, d'une souffrance. Pour certains, ce sera la maladie, pour d'autres, des conditions matérielles de vie intenables, pour certains autres, ce sera un travail perdu ou inaccessible, une famille brisée, un couple démantelé, une dépendance incontrôlable...Si tous ces maux affectent profondément la vie, blessent à divers degrés l'être humain dans sa personne et sa dignité, ils ne tuent pas l'humain.

Le mal qui tue l'humain n'est pas toujours celui que l'on retrouve dans la pauvreté qui sillonne les rues de nos grandes villes, qui se cache derrière les portes closes de demeures anonymes, qui se manifeste dans les larmes de l'enfant affamé, qui se révèle dans la situation du père et de la mère mis à pied ou dans celle de la personne âgée abandonnée. Tout en étant des tragédies, ces maux peuvent souvent se transformer en sources de vie, en gestes de solidarité, en forces de courage et de lutte, en prises de conscience de valeurs qui élèvent et humanisent. Ils peuvent donner naissance à de nouvelles relations humaines fondées sur le respect et l'estime, sur la simplicité et la vérité, sur la gratuité et le partage. Ce sont des maux qui rappellent les limites de notre itinérance et forcent au dépassement dans la recherche d'une plus grande vérité et justice. Ils sont souvent un passage incontournable qui humanise et fait grandir.

Le mal qui tue l'humain est, pour sa part, beaucoup plus discret, mais combien plus dévastateur. Il prend souvent la forme de la vertu, de l'intelligence, de la beauté, de la bonté, de la générosité. À la manière d'un caméléon il se fond dans les couleurs de son environnement. Comme un parfum, il se répand sur toute la personne, mais comme un cancer il détruit tout. Ce mal porte plusieurs noms: la suffisance des arrivistes, la servilité des misérables, l'hypocrisie et le mensonge des opportunistes, le calcul intéressé des ambitieux. Il vit de la manipulation et de la tricherie. Ce mal pous­se à écraser pour mieux s'élever, à dominer pour mieux régner, à charmer pour mieux posséder. C'est le mal de l'âme. Il sape à sa base toute possibilité de relations humaines vraies et par le fait même toute possibilité de véritables communautés de vie.

Ce mal qui tue l'humain est latent en chaque être humain, en chaque personne. Il est là derrière chaque masque que nous portons, chaque rôle que nous nous donnons. Personne n'en est exempt. Tous, nous pouvons en être atteints et, à moins d'une bonne dose d'humilité et d'une grande liberté intérieure, ce mal s'installera aux commandes de nos vies. Il s'im­posera et tuera lentement mais sûrement toute possibilité de relations humaines fondées sur l'estime, le respect, la vérité. Il tuera l'humain et avec lui l'amour qui lui donne son sens.

Croyants ou pas, l'histoire de ce Jésus crucifié pour avoir démasqué les mille et une facettes de l'hypocrisie et de la supercherie n'est pas sans nous inviter à prendre conscience de ce mal qui tue en nous et chez les autres ce qu'il y a d'humain. Cette seule prise de conscience sera déjà le commencement d'une vie nouvelle. L'humain y retrouvera son sens.


Oscar Fortin

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