samedi 21 mai 2005

LES CONVENTIONS DE GENÈVE ET LA LUTTE AU TERRORISME : UN CHOIX ÉDITORIAL


Monsieur le Directeur,

Je sais que l’information comporte des choix et que ces derniers ne peuvent plaire à tous. D’autant plus que la mondialisation des communications ouvre la porte à un éventail insoupçonné de nouvelles qu’un seul journal ne saurait reproduire dans leur totalité. La diversité des journaux ainsi que des idéologies qui les supportent permettent toutefois d’en reproduire passablement, répondant ainsi aux attentes d’un grand nombre.

Je lis, depuis des années, de façon passablement assidue, Le Devoir. Son niveau intellectuel élevé, la qualité et la diversité des sujets abordés, l’ouverture de ses pages aux diverses tendances en ont fait un ami. Je regrette toutefois que cet engouement s’évapore toujours un peu plus chaque jour. Je ne vous cacherai pas que l’exemple de l’édition du 21 mai n’aide pas à remonter la pente. Je m’explique.

En première page figure l’article du journaliste Guy Taillefer sous le titre « Cuba sera bientôt libre », promet Bush, accompagné d’une photo couleur 5X5. Les barreaux de la clôture à travers lesquelles apparaissent trois personnes peuvent facilement s’assimiler à ceux d’une prison. Je n’ai évidemment rien à ce que M. Taillefer se joigne au journal Le Monde, BBC, AFP et Reuters pour reproduire le point de vue de Washington en cette semaine qui a été pleine de rebondissements. En effet, il y a eu le regroupement de plus d’un millions de cubains et cubaines qui ont marché dans les rues de la Havane, mardi le 17 mai, pour protester contre toutes les formes de terrorisme et pour dénoncer la présence en sol étasunien de Luis Posada Carriles, responsable, entre autres, du sabotage d’un avion de ligne cubaine en 1976 et de plusieurs actes terroristes à la bombe dans les hôtels de Cuba dans les années 1990. Il y a eu également, pas plus tard que vendredi, le 20 mai, une déclaration de Fidel Castro faisant état des efforts de collaboration avec les Administrations étasuniennes pour lutter contre le terrorisme. Plus d’un demi millions de personnes s’étaient déplacées pour la circonstance. De tout cela pas un mot dans l’analyse du journaliste Guy Taillefer, pas plus d’ailleurs sur les interdits de Washington empêchant les citoyens étasuniens de voyager à Cuba. Si encore Le Devoir ouvrait ses pages papiers pour faire le débat, ce serait un moindre mal. Mais non, nos droits de réplique sont renvoyés à l’édition électronique de votre journal, n’atteignant pas le même auditoire et ne permettant pas un débat ouvert. L’accès au « balcon » n’est pas autorisé.

À la limite, je puis comprendre qu’il y ait des pressions et qu’elles soient plus facilement assimilables lorsque le journaliste en partage les affinités idéologiques. Le point le plus grave n’est toutefois pas là. Un autre évènement autrement plus important et transcendant cette fois, publié à la section B, page 4 sous le titre « L’humiliation », a de quoi soulever des questions sur le contenu des messages et la place que nous leur accordons. Il est question de la photo de Saddam à moitié nu, mais plus que tout du rapport de plus de 2000 pages qui nous apprend que le sort infligé aux prisonniers afghans fut quasi identique à celui imposé aux prisonniers irakiens et que le Président Bush a décrété que, la guerre aux terroristes n’étant pas une guerre conventionnelle, les Conventions de Genève ne s’appliquaient pas.

N’y a-t-il pas là de quoi faire la Une de votre édition du samedi et matière à un éditorial de fond sur la lutte au terrorisme et le droit international? Les valeurs que portent Le Devoir n’auraient-elles pas dû le conduire dans cette direction, surtout au moment où de nombreux pays latino américains, dont le Venezuela, mettent au défi la Maison Blanche d’être cohérente dans sa lutte au terrorisme et réclament l’extradition vers le Venezuela du terroriste Luis Posada Carriles ex agent de la CIA et présentement protégé par l’Administration Bush?

Monsieur le Directeur, bien que je sache que cette lettre ne trouvera pas l’espace voulu dans l’édition papier de votre journal, j’ai cru de mon devoir d’attirer bien humblement votre attention sur cette mission d’une information libre et ouverte. Nous nous en porterons tous mieux

Bien à vous

Oscar Fortin

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