samedi 26 septembre 2009

INGRID BÉTANCOURT: UN TÉMOIGNAGE INACHEVÉ



Les Québécois et les Canadiens ont été bien attentifs au passage de cette femme qui ne laisse personne indifférent, quelque soit les idéologies, les appartenances politiques, les croyances religieuses. C’est donc avec beaucoup de respect et d’attention que j’ai suivi ses déplacements et sa participation aux diverses émissions de radio et de télévision. On l’a honorée à l’Assemblée Nationale du Québec tout comme à la Résidence officielle de la Gouverneure générale du Canada. Sa visite s’est terminée avec une émission spéciale de Radio-Canada, réalisée, pour la circonstance, dans le grand hall du complexe Desjardins.

Tout en reconnaissant la grande valeur de cette femme qui a tenu bon dans les épreuves de la vie tout comme dans les combats où l’ont conduite les idéaux de justice, d’honnêteté, de franchise, je me suis tout de même demandé d’où venait cette engouement de la part des gouvernements, de Radio-Canada et de Reporters sans frontière pour en faire une « icône ». Plutôt reconnue par son passé comme une personne de « gauche », voilà que la « droite » s’en empare pour en faire l’héroïne d’une histoire pas encore totalement déchiffrée. Que s’est-il donc passé entre le jour de son enlèvement par les Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC) et celui de sa libération par l’armée colombienne? Il y a là une énigme qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Personnellement, je crois profondément en la sincérité d’Ingrid Bétancourt qui a eu l’honnêteté de dire, lors de son passage à l’émission 24 heures en 60 minutes, qu’elle n’arrivait pas encore à dire ce qu’elle pensait vraiment, mais qu’elle y travaillait.

J’ai trouvé tout à fait normal qu’on l’interroge sur sa captivité dans la jungle colombienne, sur ses souffrances, ses angoisses, sa vie avec ses ravisseurs et les autres otages. Elle a parlé de la « loi de la jungle » que les animateurs de l’émission, par des interventions subtiles, ramenaient constamment aux militaires de la FARC, alors qu’elle l’étendait à tout le monde. Ce type de comportements, dit-elle, se retrouve également chez les otages eux-mêmes et dans les gouvernements qui s’alimentent de la corruption, de la tromperie, des privilèges consentis aux plus offrants et n’offrent guère d’espoir aux jeunes. Elle a eu des mots très forts sur les effets néfastes de l’humiliation que certains font subir aux autres. Cette méchanceté, cette haine, cette vengeance font oublier l’humanité des personnes qui en sont les victimes. Ces propos m’ont ramené l’image des deux membres des FARC, tabassés et neutralisés devant elle par les soldats de l’armée colombienne, image transmise la veille dans le cadre des Grands reportage de Radio-Canada, portant justement sur sa libération. À ce que je sache, ces deux membres des FARC, devenus à leur tour des otages, n’étaient pas armés. On dit même qu’ils auraient été complices de l’armée colombienne pour livrer les otages en échange d’une amnistie et de leur retour à la vie civile. Cette question n’est pas encore éclaircie. Ingrid Bétancourt pense que non alors que d’autres pensent que oui dont cet avocat colombien qui a témoigné dans le reportage de R.C. .

Ce « mode d’emploi » de l’armée colombienne pour libérer Ingrid et les deux otages américains n’était pas sans soulever la question sur l’avenir de la libération des centaines d’autres otages. Au moment où elle allait s’engager à émettre quelques commentaires sur le sujet, on l’a aussitôt orientée sur une autre question qui allait évidemment faire perdre le filon de la réflexion qui était alors amorcée. Il eût été intéressant que l’animatrice, Anne-Marie Dussault, laisse Ingrid Bétancourt poursuivre sa réponse ou sa réflexion sur le sujet. Personnellement, je vois mal une négociation entre deux adversaires dont l’un se moque éperdument de la parole donnée.

Avant la libération d’Ingrid Bétancourt, nous avions été témoins de libérations d’otages sous l’égide de la sénatrice Cordoba et du Président Chavez. Déjà, à ce moment, nous avions vu ce manque de fiabilité dans le comportement du Gouvernement colombien. On se souviendra que des preuves de vie de certains otages étaient alors attendues pour que le Président Chavez les remette lui-même au Président de la Colombie et à celui de la France où il était attendu. Or le porteur de ces preuves de vie, avait été arrêté et mis en prison par l’armée colombienne et les preuves en question avaient été retenues par le Gouvernement colombien sans que le Président Chavez en ait été avisé avant son départ pour la France. Chavez s’est donc retrouvé plutôt embarrassé par cette situation pour le moins incongrue.

Inutile de dire que le cas d’Ingrid Bétancourt a toujours été hautement politique et il eût été inconcevable pour le gouvernement de G.W. Bush et celui d’Uribe que sa libération et celle des otages américains soient réalisées grâce aux bons offices du Président Chavez, ennemi déclaré de Bush et peu courtisé par Uribe. Ce fut donc une période difficile pour les familles des otages placées dans cette guerre politique où les intérêts de ces derniers passaient avant ceux des otages. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le bombardement en Équateur qui a éliminé le principal négociateur des FARC visant la libération d’Ingrid et d’autres otages. C’est également dans ce contexte qu’il faut comprendre la guerre verbale entre le Venezuela et la Colombie. C’est également dans ce contexte qu’a été préparée la mission colombienne de libération d’Ingrid et des deux otages américains. En utilisant l’insigne de la Croix rouge internationale, pratique qui va à l’encontre des ententes internationalises de Genève, et en revêtant les symboles de la télévision vénézuélienne, l’armé colombienne a évidemment trompé la vigilance des FARC. Par contre, le « fairplay » des échanges antérieurs n’était tout simplement plus au rendez-vous. Le jour où Ingrid Bétancourt arrivera à dire vraiment ce qu’elle pense, qu’elle saura toute la vérité sur la possible entente de l’armée avec les deux membres des FARC et qu’elle reverra le traitement infligé à ces derniers par l’armée colombienne, peut-être changera-t-elle d’idée sur la perfection de ce « mode d’emploi ».

J’ai été particulièrement ému par ces paroles d’Ingrid Bétancourt à un intervenant qui lui demandait si elle avait pardonné à ses geôliers : « j’ai pardonné à mes geôliers et je les aime. Je pense qu’on ne peut arriver à réconcilier les personnes et les groupes par la force des armes, mais en les aimant et en leur donnant l’opportunité de s’intégrer pleinement à la société. » Ces propos étaient tout indiqués pour ouvrir le débat sur ce qu’elle pensait des efforts déployés actuellement par la sénatrice Cordoba et d’autres intervenants pour la libération des otages restés prisonniers des FARC. Plus que tout, il eût été intéressant d’avoir son opinion sur l’approche très militarisée de l’actuel gouvernement qui veut en finir avec les FARC en les éliminant physiquement, sans égard pour les risques encourus par les otages. Elle n’aurait pas manqué, j’en suis assuré, de se dissocier de cette approche et de poser des questions sur la pertinence des sept bases militaires consenties à l’armée américaine sur le sol colombien. Une présence qui ne peut que faire monter la pression de la violence.

Sa foi, son humanisme, ses engagements en faveur d’une justice sociale toujours plus accessible aux laissés pour compte de la société de consommation en font une alliée inconditionnelle de l’approche conciliante de négociations politiques pour résoudre les problèmes de violence en Colombie. Si elle n’a pas eu l’opportunité de développer sa pensée sur ce sujet précis, elle s’est toutefois dite favorable à l’existence d’une véritable démocratie participative qui ouvre la démocratie représentative à une plus grande participation du peuple à l’exercice du pouvoir. À cette fin, elle ne voit aucune objection à ce qu’un Président puisse se présenter autant de fois qu’il le voudra. Ce sera toujours le peuple qui décidera de son sort. Elle est donc favorable à la tenue du référendum en Colombie. On se souviendra qu’un tel référendum avait fait crier bien du monde lorsque Chavez avait demandé la même chose au peuple vénézuélien. Une situation semblable se passe actuellement au Honduras, mais cette fois l’oligarchie et l’armée ont fait un coup d’état militaire contre le Président, Manuel Zelaya. Une simple consultation du peuple sans aucune implication légale a suffit pour que les dissidents prennent les armes et sortent du pays, manu militari, le Président élu par le peuple. Curieusement ceux qui ont honoré Ingrid Bétancourt de tous les honneurs sont les mêmes qui se font les plus discrets actuellement sur ce qui se passe au Honduras. Reporters sans frontière s’est gardé de condamner les atteintes aux droits de la liberté de presse et les atteintes aux droits humains de journalistes, de même que nos gouvernements et médias ont été plutôt silencieux sur les aspects pervers de ce coup d’état militaires et de ceux qui en sont les auteurs.

L’histoire de cette jeune femme, avec déjà tout un vécu, demeure une histoire à suivre. Je souhaite qu’elle retrouve pleinement sa liberté ainsi que la capacité d’exprimer vraiment ce qu’elle pense au plus intime d’elle-même. Comme elle l’a dit « elle y travaille fortement ». Ce jour nous voudrons te revoir Ingrid avec encore plus de vérité et de solidarité humaine.

Oscar Fortin
Québec, le 25 septembre 2009
http://humanisme.overblog.com/

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