jeudi 11 février 2016

LE PAPE FRANÇOIS ET LE PATRIARCHE KYRILL



UNE RENCONTRE HISTORIQUE





Le 12 février 2016, sur l’Île de  Cuba, la majeure des Antilles, les deux grands représentants des Églises chrétiennes de l’Occident et de l’Orient, séparées depuis plus de 962 ans, se rencontreront pour la première fois. Le pape François et le patriarche Kirill en seront les principaux protagonistes. Le premier, représente plus d’un milliard de catholiques et, le second, représente environ 150 millions de chrétiens orthodoxes. Les deux se réclament du même Évangile  et proclament le même avènement du règne de Dieu proclamé et réalisé en Jésus ressuscité et dont le retour est imminent. 


Le patriarche Kirill est né le 20 novembre 1946 à Leningrad, d'un père prêtre. Son grand-père Vassili, qui est prêtre lui aussi, a été déporté au Goulag des îles Solovki par le régime communiste, pour activités religieuses et terminera sa vie pourchassée en raison de sa défense de la foi chrétienne. En 1965, il entreprend des études en théologie dont il deviendra titulaire dans les années 1970. En 1976, il est consacré évêque. Ce fut une période où il assuma diverses responsabilités. De 1989 à 2009, année de sa nomination comme Patriarche, il fut représentant des relations extérieures du Patriarcat. Il est également un des principaux auteurs de la doctrine sociale de l’Église orthodoxe russe. Il animait également une émission télévisée hebdomadaire où il répondait en direct aux questions des téléspectateurs.

« Jugé parmi les « plus ouverts sur le monde extérieur »[réf. nécessaire] au sein de la haute hiérarchie de l'Église orthodoxe russe, après la mort d'Alexis II, il a été nommé patriarche par intérim, chargé de diriger l'Église orthodoxe de Russie jusqu'à l'élection du successeur. Le 27 janvier 2009, il est officiellement élu patriarche de Moscou et de toute la Russie, prenant ainsi la tête de l'Église orthodoxe russe par 508 voix sur 700. »

Il faut également noter qu’il est, depuis 2006, coprésident de la Conférence mondiale des religions pour la paix et membre de la commission russe des relations entre l'État et les Organisations religieuses.

De toute évidence, il s’agit d’un homme de grande foi religieuse et d’une ouverture incontestable sur les défis qui se posent en notre temps : telles la justice, la paix, l’unité dans la diversité et la multipolarité. Il porte en lui une vision orientale de la foi ainsi qu’une vision d’un monde multipolaire et multicentrique. De quoi faire le rapprochement de ces deux thèmes avec l’Église.



En Occident, nous connaissons plus et mieux le pape François. Les  médias et ses nombreux voyages, nous le révèlent chaque jour un peu plus. Ses deux principaux écrits Evangelii Gaudium et Laudato si ont suscité de nombreuses réactions et ont fait beaucoup parler.  Plus que tout, son style de vie et son engagement, sans équivoque, au service des sans voix, des démunis et des sans-défenses en font un pape qui se gagne l’amour et le respect des croyants, mais aussi de nombreux incroyants.

Il est né en Argentine, en 1936, d’un père italien immigrant et d’une mère  également d’une famille italienne immigrante. Nous savons qu’il a fait des études de technicien en chimie avant d’entrer chez les jésuites où il a poursuivi ses études en théologie. En 1969, il est ordonné prêtre et en 1974, à peine âgé de 36 ans, il est nommé Provincial des jésuites pour la région de Buenos Aires. Ce sera une période difficile qui le mettra à l’épreuve sur bien des fronts. Il a dû vivre la prise du pouvoir politique par une Jungle militaire qui n’y allait pas avec des gants blancs pour faire le grand ménage de tout ce qui avait une odeur de solidarité et de justice sociale.  Bien des évêques se prêtaient à ce grand ménage et Bergoglio, ce provincial de nombreux jésuites solidaires des pauvres a dû manœuvrer de son mieux entre une hiérarchie complaisante envers les dictateurs (ils étaient 3) et des pasteurs engagés auprès des plus démunis. Plusieurs années plus tard, il dira qu’il était trop jeune pour assumer une telle fonction d’autorité.

Le 23 mars 2013, à la suite de la démission du pape Benoît XVI, il fut élu Pape.  Son arrivée au Vatican en a rendu plusieurs nerveux. Les scandales surgissaient d’un peu partout et il fallait colmater au plus vite la source donnant lieu à autant de scandales. Ce fut là son mandat principal, comme chef de cet État, d’y faire un grand ménage et redonner  ainsi au Vatican toute la transparence et la sobriété qui correspondent avant tout  à une  Église, d’abord au service des pauvres, des humbles, des laissés pour compte. Son arrivée au Vatican n’aura pas modifié son mode de vie et, sans l’imposer à qui que ce soit, il l’assume sans retenue au milieu des siens. Comme on dit, il ne prêche pas seulement en paroles, mais il pose des gestes qui leur donnent un sens. Cela dérange beaucoup et n’est pas sans lui susciter nombre d’ennemis, tant à l’interne qu’à l’externe. Sa vision sociale, ses critiques du système capitaliste, le scandale du 1% qui possèdent le 99% des richesses de la terre sont autant d’éléments qui n’en font plus un fidèle serviteur de ce système.

CRÉPUSCULE  D’UN MONDE CONDUISANT À L’AURORE D’UNE ÈRE NOUVELLE





Il s’agit bien d’une rencontre historique dont la symbolique peut être perçue sous bien des angles.  C’est devenu un cliché que de dire que l’humanité soit arrivée à une croisée fondamentale où des choix doivent être pris sur les plans politiques, économiques, environnementaux, sociaux, religieux, etc. Dans tous les cas, il y a un retour aux sources de ce qui  est à la base de tout.  Les Églises pas plus que les Sociétés n’y échappent. Le pape François et le patriarche Kirill en sont bien conscients.

Pour les chrétiens, le retour aux Évangiles et au témoignage de ce Jésus de Nazareth est devenu un incontournable. Aucune doctrine, aucune liturgie, aucun mode de vie ne peuvent se substituer à ces deux références fondamentales. Tous et toutes ont à s’ajuster à ces derniers.  Il est évident que  cette foi chrétienne s’est laissée envahir tout au long des siècles par des doctrines, des règlements, des ajustements circonstanciels, des alliances et des complicités avec d’autres pouvoirs, etc. Aujourd’hui, nous voyons bien où tout cela nous a conduits. Les Églises ont pour ainsi dire perdu de vue l’essentiel pour s’adonner à la survie d’Institutions qui ont pratiquement perdu, elles-mêmes, tout leur sens.

Je pense que nos deux interlocuteurs, un peu comme le firent au début de l’ère chrétienne, Pierre et Paul,  vont échanger sur cette multipolarité  dont on parle tant dans le sens à donner à la gouvernance du monde. Il ne fait pas de doute que l’Église catholique, sous la gouvernance du Vatican, a encore des pas de géant à faire pour assurer pleinement cette multipolarité. Cette approche permet aux diverses Églises chrétiennes de vivre  unies dans la diversité. Le point de ralliement, étant toujours les Évangiles et Jésus de Nazareth, ressuscité. À ceci nous pourrions ajouter tous ces témoins qui en assument dans leur vie les conséquences.

Il n’y a pas de doute que la question des guerres au M.O.  et dans le monde se fera également en prenant en compte cette réflexion sur la multipolarité. Il n’y a plus de place pour un monde unipolaire sous la gouverne d’un seul gouvernement aux intérêts duquel tous les autres gouvernements de la terre doivent se soumettre. C’est malheureusement le cas avec les États-Unis qui s’imposent comme maître du monde. C’est également toujours le cas avec l’État du Vatican qui s’impose à toute la chrétienté.

Le pape François, fortement sollicité par les lobbyistes de l’OTAN  et de Washington, n’a pas hésité à inviter toutes les forces militaires et politiques de l’Occident  à revoir leur approche de leurs interventions au M.O..

« Le pape considère que "l'Occident doit faire une autocritique" sur comment il a affronté la situation "en Libye d'avant et après l'intervention militaire". Alors que sur l'Irak et les "Printemps dénommés arabes", " il était possible d’imaginer ce qui allait se passer, a assuré le pontife, qui a expliqué que les analyses du St-Siège et de la Russie, sur ce sujet, coïncidaient en partie, quant à ce qui allait se passer. »  (trad, de l’auteur)

 On voit ici que le pape François prend ses distances par rapport à l’Occident et qu’il se rapproche davantage de l’approche russe sur ces questions.  Un point, à n’en pas douté, qui sera abordé avec le Patriarche lorsqu’ils parleront de la Syrie, de Libye, d’Ukraine.

Le 12 février au soir et les jours qui vont suivre, nous en saurons beaucoup plus. Par cet article, je veux tout simplement assurer le contexte et permettre d’en savoir un peu sur les personnages en question.

La photo a été prise à Cuba montrant tout à la fois les vagues qui s’abattent sur tout au long de la promenade du Malocon, les nuages noirs qui laissent entrevoir au loin une partie de la Havane et un soleil au crépuscule porteur de lumière conduisant vers l’aurore d’un nouveau jour. Une symbolique d’un monde unipolaire, générateur de guerres et de famines, qui bascule vers un monde multipolaire générateur de paix et de mieux êtres pour tous et toutes.


Oscar Fortin
Le 11 février 2016






2 commentaires:

  1. Ce qui m’a impressionné dans cette rencontre historique, c’est l’intensité de l’échange de leur regard qui frappe. Le pape François, 79 ans, et Kirill, dix ans de moins, ne se quittent pas des yeux, contemplant ce moment tant attendu depuis plus de mil ans. Les sourires ne sont pas larges mais profonds et pleins de respect. J’imagine que les deux principaux sujets de leur rencontre furent la persécution des chrétiens au Moyen-Orient et la perte des valeurs chrétiennes du monde occidentalisé.

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  2. Voici la déclaration officielle dans sa version française. Le pape François et le patriarche Kirill se sont accueillis en se rappelant qu'ils étaient des frères.... Une rencontre, comme dit M. Morin, de grande profondeur humaine et spirituelle.

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