lundi 31 janvier 2005

LA PASSION DU CHRIST SELON GIBSON

Un film dont on parlera beaucoup. D’abord en raison du personnage central, Jésus de Nazareth, fondement de la foi chrétienne, mais aussi en raison de la manière avec laquelle le réalisateur, Mel Gibson, raconte la passion du Christ et évoque le mystère qui le conduit jusqu’à la mort sur la croix.

Certains commentateurs apportent un éclairage important sur le caractère plus ou moins historique, au sens que nous l’entendons aujourd’hui, de certaines références, paroles, attitudes ainsi que de l’importance accordée à certains épisodes de cette passion. Ils confirment toutefois le caractère tout à fait historique de ce Jésus, « un homme sage ayant fait de nombreux disciples parmi les juifs et les non juifs, condamné à mort par Pilate, à la suggestion des notables. » Les historiens et exégètes discuteront, sans doute encore longtemps, de l’intensité religieuse et politique de l’évènement. N’empêche qu’il a mobilisé dès les débuts suffisamment de monde pour donner naissance à ce qui deviendra par la suite la chrétienté. Ce n’est pas n’importe quel évènement qui peut avoir un tel effet. À ce titre le témoignage des premiers chrétiens doivent également s’ajouter au témoignage de l’historien Flavius Josèphe.

Au-delà des lectures historiques que nous pouvons faire du récit de La passion du Christ, il y a la lecture politique, théologique et mystique de l’évènement.. Si nous sommes choqués par la violence de la flagellation et de la crucifixion, il ne faudrait pas oublier que la haine et l’acharnement de cruauté dont nous sommes témoins, nous la portons tous quelque part en nous. L’histoire des peuples, des Églises de tous les temps et de tous les continents regorgent de ces horreurs. Si nous pouvions par la magie d’un laser spirituel voir ce qui se passe dans les prisons de chacun de nos pays, dans les chambres de tortures et dans les lieux secrets de l’anonymat de forces qui s’affrontent, les images projetées dans le film n’en seraient qu’un reflet.

Tout en visionnant le film, je voyais Victor Jara, un chanteur chilien, que les militaires frappaient et torturaient au vu et au su de milliers de prisonniers retenus au Stade nationale de Santiago du Chili au lendemain du Coup d’état militaire du 11 septembre 1973. On lui coupait les doigts morceaux par morceaux en lui demandant de continuer à jouer de la guitare et à chanter. Je voyais également cet uruguayen fait prisonnier en Argentine sous les militaires. Il s’appelait Miguel Angel Estrella et était un grand joueur de piano. On lui entrait des épingles sous les ongles et on lui demandait de jouer du piano sur le dessein d’un clavier placé sur une table… Combien d’autres ont passé par la même école de la torture et de la mort dont les formes n’ont d’égales que l’atrocité dont l’imagination humaine peut être capable. Un tortionnaire chilien s’est livré à une journaliste et raconte les diverses tortures dont il a été l’auteur. Son récit se retrouve dans un livre intitulé « ROMO, confessions d’un tortionnaire ». Des histoires d’horreurs comme pas possibles. Tout cela avec la bénédiction des bien pensants de nos sociétés, de nos églises et de la masse des gens plus ou moins informés de ces horreurs. Nous ne sommes pas différents de ceux et celles qui ont conduit Jésus à la flagellation, à la croix et à la mort. Notre responsabilité est peut-être encore plus grande parce qu’après deux mille ans de foi chrétienne nous savons ou devrions savoir.

Au-delà de cette fresque de la souffrance humaine, le Christ de la Passion nous indique la voie à suivre pour sortir de ce cercle vicieux de la violence. Le film ne laisse aucune ambiguïté quant à la nature de cette voie. Pierre doit rengainer son épée, le royaume de Jésus n’est pas de ce monde, s’il l’était son Père lui aurait envoyé depuis longtemps des anges pour assurer sa sécurité. Il nous dit qu’il faut aimer ses ennemis, ce qui est tout le contraire de les persécuter, de les torturer et de les tuer. Il nous invite à nous ouvrir à la vérité, ce qui est loin du mensonge systématique, de la tromperie et de l’hypocrisie. À ce titre, je ne partage pas la conclusion de certains qui craignent que ce film vienne renforcer les croisés de la guerre pour le bien, comme pourrait le souhaiter « une certaine Amérique de l’après 11 septembre.» Bien au contraire, aucune guerre ne peut être menée sous la bannière du Christ que nous présente La Passion de Gibson. Il est tout à l’opposé de ceux qui cherchent à bâtir un royaume terrestre, un empire enveloppé de valeurs chrétiennes, mais sans justice, sans partage, sans pardon, sans oubli de soi, sans universalité de valeurs partagées. Ce Jésus va chercher l’irrationnel de l’amour qui transcende les contradictions de la haine, de la cruauté, des ambitions de pouvoir pour en faire la loi de la nouvelle humanité appelée à vivre dans le royaume du Père. Nous sommes loin de la course aux armements, des guerres préventives ou de conquêtes, des jugements sommaires noyés dans la manipulation de l’opinion publique. L’humanité révélée dans le Christ est toute à l’opposé de l’humanité révélée dans le pouvoir de la domination et de la manipulation.

Croyants ou non croyants une humanité est à bâtir et il nous appartient de choisir la voie qui lui permettra d’émerger une fois pour toute dans la justice et le respect de tous. Ce n’est donc pas une question de juifs et non juifs, mais une question de foi en une Humanité faite pour autre chose que les guerres et les souffrances. C’est le défi que nous lance le Christ de la Passion de Mel Gibson ainsi que celui des Évangiles.

Oscar Fortin, théologien



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