mercredi 18 avril 2007

« LETTRE À MON AMI GUILLERMO »

Cher ami,

Tu ne peux pas savoir tout le bien que tu m’as fait lors de mon séjour au Chili. L’homme que j’ai découvert en toi m’a profondément inspiré et surtout m’a ouvert les yeux sur des réalités encore insoupçonnées. Tu as été pour moi une révélation profonde de ce Jésus de Nazareth en qui je dis croire beaucoup. Ta manière d’être et cette façon de répondre aux moindres appels m’ont été de grande inspiration de vie.

Je sais que ton histoire n’a pas été des plus faciles, ni pour toi ni pour tes proches. L’alcoolisme qui a été pendant de nombreuses années ton vice et ton guide t’a fait connaître les bas fonds de la misère humaine, te conduisant même à des actes de violence à l’endroit de tes plus proches. Sans t’abandonner, ils ont toutefois voulu se protéger en t’interdisant la maison, tout en te laissant tout de même une pièce, un peu comme une remise, dans la cour avant de la maison. C’est là que tu as entreposé tes outils d’ouvrier et de maçon ainsi que le matériel qui t’était nécessaire pour les fois où tu allais travailler. Tes rares économies qui passaient pratiquement toutes au service de ton vice ont fait en sorte que tu ramassais tout ce qui pouvait te servir pour tes travaux. C’est ainsi que ta petite pièce de 3 mètres par 4 mètres te laissait à peine l’espace pour ton lit, ton vieux frigidaire dont la porte était retenue par un élastique et un petit poêle à deux ronds pour faire chauffer ta nourriture. Dire que tout ce que nous voyons sur cette photo était dans ta pièce.

Je te connais depuis plus de 30 ans et, en dépit du vice qui était le tien, j’ai toujours ressenti beaucoup d’amitié et de l’admiration. Je me rappelle ta disponibilité pour faire de petits travaux chez ta belle-mère, l’amour et ta présence auprès de tes trois enfants que tu accompagnais ici et là et que tu gâtais avec une glace ou une sucrerie. Comment ne pas rappeler ces Jours de l’An où tu venais servir tout le monde sans te servir toi-même, danser la "cueca" avec ta belle-mère, puis une fois tout le monde parti se coucher, faire le ménage jusqu’aux petites heures du matin. Seulement alors, tu partais en me disant: "je vais maintenant fêter mon Jour de l’An". Jamais ta générosité ne t’a démenti pas plus d’ailleurs l’attrait que tu as toujours eu auprès de tes enfants, lorsque jeunes, et maintenant de tes petits enfants. La patience que tu as à leur endroit, ta disponibilité qui est sans limite, font de toi un être exceptionnel. De plus ,tu as l’art de les amuser et de les faire rire.

J’ai connu ta mère, une femme qui a enveloppé de son amour tes enfants et qui s’est montrée d’une aide extraordinaire pour ton épouse et pour toi. Bien des fois je priais Dieu pour qu’il te sorte de ce vice. Je n’y voyais vraiment pas d’issu. Même une fois, tu te souviens, nous t’avions accompagné chez des évangélistes qui avaient un centre de traitement de l’alcoolisme. Après trois jours tu as compris que ce n’était pas ta place et tu décida de partir. Tu as d’ailleurs quelques bonnes anecdotes à raconter sur ce séjour. Nous avons eu le plaisir d’en entendre quelques unes qui nous ont fait rire jusqu’aux larmes, surtout comptées par toi. Il faut croire que ton heure n’était pas arrivée. Ton destin était autre et ta vérité ne t’y conduisait pas encore.

L’arrivée dans ta vie d’un petit fils est venue tout bouleverser. Tu lui as donné le meilleur de toi-même en le gardant, l’accompagnant, l’amusant. Il t’a donné tout l’amour qu’un enfant peut donner à un grand papa aussi gentil. Il allait souvent te voir dans ton coin, tout encombré, où on pouvait difficilement se faire un chemin. C’était pourtant son lieu de prédilection pour regarder la télévision et parler avec toi. Il savait quand tu avais bu et il te demandait pourquoi tu prenais autant de vin. Lorsqu’il se prépara avec d’autres pour sa première communion, le professeur leur expliqua que le vin à la messe se transformait dans le sang du Christ. Il a alors eu cette exclamation : « C’est donc pour ça que mon grand père boit beaucoup de vin. »

Un jour, m’as-tu raconté, tu as pris la décision, par toi-même, de mettre un terme à ce vice pour répondre à ton petit fils qui te demandait sans cesse pourquoi tu n’arrêtais pas de « boire de l’alcool». Il te disait que ce n’était pas bon pour ta santé et que tu sentais toujours le vin. Tu en es maintenant à plus de trois ans sans que ce vice redevienne le maître de ta vie. Tu vis dans la sobriété et tu es tout entier disponible à tes petits enfants, maintenant au nombre de 4, et aux travaux d’entretien qu’exige parfois la maison. Même si tu es toujours maintenu à l’écart de la vie familiale, tu n’en demeures pas moins attentif et aimable à l’endroit de tous et de toutes. Tu assumes ton passé et tu comprends ton présent.

Lors de mon dernier séjour, nous avons décidé de rajeunir ta pièce, toujours sans toilette et sans eau courante. À la tête de ton lit tu avais une image du Christ et quelques outils. Nous avons entrepris de la transformer en un « pan house » cinq étoiles. Ce fut un moment magnifique, même s’il m’arrivait d’élever le ton ou de faire mon petit « jos connaissant ». Tu prenais avec humour mes changements d’humeur et avec beaucoup d’humilité mes ordres pas toujours sur le meilleur ton. Je me souviens de ce jour où nous étions en plein travail et qu’un voisin t’informe qu’un de tes amis alcooliques venait de mourir. De retour à la maison tu t’es changé de vêtements et tu es allé à la maison où on gardait son corps. C’est même toi qui es allé faire les arrangements, le seul ami sobre du groupe, pour qu’un autobus puisse transporter la famille et les amis au cimetière. À travers tout cela j’ai appris beaucoup de toi et aussi de la vie. J’ai surtout compris qu’il ne fallait jamais juger qui que ce soit.



Voilà pourquoi, mon cher Guillermo, j’ai voulu, par cette lettre, te dire merci et partager avec d’autres ta richesse comme personne et comme grand papa. Même Lucas, mon petit fils, a découvert en toi un grand papa, pas comme les autres. Vous avez eu une relation magnifique tous les deux.



D’un ami qui t’aime et t’admire beaucoup.

Oscar Fortin

Québec, le 17 avril 2007

4 commentaires:

  1. Monsieur Fortin,

    Vous venez de me permettre de lire un très beau témoignage d'amour et d'amitié. Cette lettre à votre ami Guillermo est très belle. Elle est de celles que nous voudrions tous recevoir ne serait-ce qu'une fois au cours de notre vie.

    En passant, la disposition de vos photos à même le texte est extrêmement bien réussie : vous me donnerez votre secret.

    Ave !

    André.

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  2. André, si j'ai mis en ligne une telle lettre c'est que je suis convaincu qu'il y a des Guillermo dans bien des personnes et qu'ils méritent tous une reconaissance quelque part. Le fait d'écrire cette lettre m'a profondément uni à la vie, m'a fait découvrir que l'humilité, la patience et la compréhension étaient des couronnes royales qui donnent à l'humain toute sa richesse. C'est donc un regard positif et rafraichissant sur les humbles de la terre.

    Oscar

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  3. Monsieur Fortin,

    Si, comme plusieurs, j'étais, un gérant d'estrade, je vous dirais que je vous approuve à 110%. Mais, comme je ne le suis pas, je me contenterai de vous dire que j'approuve complètement ce commentaire que vous venez d'écrire au sujet de la lettre à votre ami.

    Bonne journée,

    André.

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  4. Non seulement votre commentaire m'honore, mais plus que tout, nous connaissant suffisamment l'un et l'autre, il me rapproche encore davantage de cette partie non visible de l'iceberg que nous sommes tous.

    Bonne journée et merci pour votre commentaire.

    oscar

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