jeudi 28 juin 2012

FERNANDO LUGO, PRÉSIDENT DU PARAGUAY






UNE DESTITUTION PRÉSIDENTIELLE EN MOINS DE 24 HEURES

Aux États-Unis, on se souviendra que les procédures et les enquêtes visant la mise en accusation du président Richard Nixon devant la Chambre des représentants ont duré près de 15 mois. Il s’agissait du scandale du Watergate, qu’il avait lui-même commandé. Le 5 août 1974, avant sa mise en accusation par la chambre des représentants, il avait alors décidé de démissionner,

Le cas du président Clinton dura pratiquement une année et prit fin avec la décision du Sénat de rejeter la mise en accusation, votée par la Chambre des représentants.

Dans les deux cas, les inculpés ont eu largement le temps pour de se défendre et faire valoir leurs droits.

Au Paraguay, il en fut autrement avec le président Fernando Lugo. En moins de 24 heures, il fut soumis au jugement politique de destitution de la chambre des députés et du Sénat. On lui présenta les cinq chefs d’accusation portés contre lui et on lui donna deux heures pour assurer sa défense. Le jugement de destitution a été aussitôt prononcé puis suivi par l’assermentation d’un nouveau président.


1. En tant que Président de la République d’être responsable des affrontements entre paysans et policiers à Curuguay, lesquels se soldèrent avec la mort de 11 paysans et de 6 policiers.

Le député Oscar Tuma argumenta que ces morts sont dus à l’incompétence de Lugo. Depuis qu’il exerce la Présidence, il a favorisé la violation du droit de propriété et la haine entre les classes sociales. Il y a, de plus, des évidences qui démontrent que ce fut un acte prémédité et à ce titre il devrait être soumis non seulement au jugement politique, mais aussi au jugement pénal.
À cela, le député Carlos Liseras ajoute que Lugo et plusieurs de ses ministres maintiennent dans la Police des agents criticables, dont Arnaldo Sanabria Moran, considéré comme un des responsables.
2. Les députés mentionnent également les opérations de sécurité menées à terme dans les départements de San Pedro et Concepción contre l’Armée du peuple paraguayen (EEP).
3. Le député Jorge Avalos Marin rappelle l’invasion des terres dans la localité  de Nacunday par les paysans. Selon lui les forces armées ont été utilisées pour créer une situation de panique.
4. Le législateur José Lopez Chavez, signale l’autorisation donnée par le Président à un groupe de jeunes, sous la direction de l’ex-ministre Camilo Soares, d’occuper le Commandement d’Ingénierie de l’armée. Les forces armées ont été humiliées, parce qu’ils utilisèrent des bannières  avec des références politiques.
5. En dernier lieu, ils lui reprochent d’avoir signé le Protocole de Usuaia II, type d’engagement démocratique, qui autorise les pays du Mercosur à bloquer les pays qui brisent ou se prépare à briser l’ordre démocratique. Cette signature constitue un attentat contre la souveraineté du Paraguay. 
La signature du protocole permet de couper l’approvisionnement en énergie au Paraguay et de fermer les frontières. Cela viole les principes commerciaux et est une atteinte contre les peuples. Montre un profil élevé d’autoritarisme.

QUI EST FERNANDO LUGO?

Il est cet évêque catholique qui décida, après avoir renoncé à sa charge épiscopale,  de s’engager dans l’action politique. À la tête d’une coalition de divers partis politiques, il se présenta comme candidat aux élections présidentielles de 2008. Il est élu président de la République avec 40.8% des voix contre 30.8% pour sa rivale. À peine investi comme Président, il nomme la première ministre autochtone du Paraguay aux Affaires indigènes, Margarita Mbywangi, une Guayaki et ancienne esclave11.

Le ton est donné. Ses priorités politiques, économiques et sociales seront inspirées, entre autres,  par les problèmes de pauvreté, la corruption, la distribution des terres. Il se préoccupera des droits des indigènes et du respect de leur culture. Son action sera toutefois limitée du fait qu’il ne contrôle pas le Sénat et que sa majorité à la chambre des députés n’est due qu’à la coalition et à la présence du parti libéral auquel appartient le vice-président. Ce dernier aura vite pris ses distances d’avec le Président et il en deviendra même un adversaire.

En dépit de tout cela, il parvient à faire avancer certains dossiers et à mettre en place des mesures de nature à améliorer le sort des plus défavorisés. Malheureusement, c’est déjà trop pour les opposants de l’extrême droite qui l’accusent d’être communiste, de la gauche radicale, de suivre les politiques de Chavez au Venezuela et de Morales, en Bolivie. Des accusations qui n’ont aucun fondement objectif. Dans les circonstances, il aura été tout au plus un président progressiste.

LE PARAGUAY

C’est ce petit pays d’un peu moins de sept millions d’habitants, dominé pendant des décennies par le parti  Colorado, de droite. En 1954, il y a un coup d’État militaire, dirigé par Alfredo Stroessner, qui régnera en maître absolu, jusqu’à sa mort, en 2006. C’est la lune de miel des grands propriétaires terriens et des oligarchies alors que les paysans et les pauvres sont soumis à la main de fer du dictateur. Des milliers de morts et de disparus sont à mettre au bilan de ce dictateur sanguinaire pour les uns et protecteur pour les autres, c’est à dire de ce « 1% de la population qui contrôle 77% des terres cultivables, et de ces riches oligarques et des multinationales à qui appartiennent 98% des terres. Au Paraguay, on estime à plus de 300 000 le nombre de paysans sans terre. 

Pour en savoir plus sur la situation du pays au moment de la prise de pouvoir du Président Lugo, je réfère le lecteur et la lectrice à cet excellent article.

QUI SONT LES ACCUSATEURS

Les accusateurs sont les membres du Sénat, à 95% de l’extrême droite. Ils répondent de leurs actions d’abord et avant tout à de grands propriétaires et multinationales oeuvrant surtout dans les secteurs de la culture des terres. L’une d’elles est Monsanto.

EN CONCLUSION

Il ne fait aucun doute que les chefs d’accusation, portés contre le président Lugo, ne peuvent justifier un jugement politique de destitution sans que l’accusé ait tout le temps voulu pour replacer chacun de ces faits dans leur contexte et préciser, le cas échéant, le niveau de responsabilité qu’il y a assumé.

Lorsqu' UNASUR, regroupement des pays de l’Amérique du Sud, envoya une délégation spéciale pour rencontrer les députés et les sénateurs avant que ne se produise le jugement politique du sénat, il leur fut proposé de permettre au président Lugo d’avoir le temps nécessaire pour assurer sa défense. À cette proposition qui revenait sans cesse dans les échanges, la réponse était toujours la même : si nous retardons notre jugement politique, le peuple va venir manifester et ça va créer des problèmes.

De fait, la décision était déjà prise et les objectifs étaient de reprendre le contrôle de la présidence à 9 mois des élections générales, cette fois pour en avoir le plein contrôle.

Deux heures à un Président pour assurer sa défense, face à des accusations dont il vient de prendre connaissance, c’est ignorer complètement le droit à la défense juste et entière inclus dans toutes les chartes des droits de la personne. Si la Constitution paraguayenne permet le jugement politique de destitution d’un Président, elle ne peut toutefois pas ignorer la charte des droits fondamentaux des Nations Unies dont le Paraguay est signataire.

Ce type de comportement fait dire à la majorité des pays de l’Amérique latine et à plusieurs de l'Europe qu’il s’agit d’un coup d’État technique par lequel les oligarchies dominantes et l’empire qui les supporte ont repris le pouvoir de la Présidence en contournant la volonté démocratique du peuple. Ainsi, ils se donnent bonne conscience en se disant que le Président élu par le peuple a été mis à la porte sans qu’il y ait eu un seul coup de feu. Ils ont respecté, dans un esprit de légalisme étroit,  une procédure constitutionnelle tout en bafouant les droits les plus fondamentaux d’un Président à sa juste défense. Ce type de comportement me rappelle ces paroles de Jésus  de Nazareth dont ils confessent la foi. Ces paroles s'appliquent merveilleusement bien à tous ces oligarques civils et religieux qui se réjouissent d'avoir agi en respectant la constitution.

« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi ; c'est ceci qu'il fallait pratiquer, sans négliger cela. » Mt. 23,23

Oscar Fortin
Québec, le 28 juin 2012

Quelques références en français




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