mercredi 19 février 2014

Washington et le Vatican: un même combat en Amérique latine




Ce n’est un secret pour personne que Washington, centre du pouvoir de l’empire, s’intéresse particulièrement à l’État du Vatican, centre du pouvoir religieux et politique des catholiques dans le monde.

Sous les deux derniers papes, l’alliance entre ces deux pouvoirs a été particulièrement intense et indéfectible. On n’a qu’à penser à la remise par le président G.W. Bush de la médaille de liberté au pape Jean-Paul II ou encore à cet anniversaire de Benoît XVI, célébrée dans les jardins de la  Maison-Blanche. Pour ceux et celles qui voudraient en voir toutes les ramifications et subtilités, je vous invite à lire cet autre article que vous trouverez ici.

L’arrivée du pape François  n’est pas sans susciter quelques inquiétudes à Washington. Son amour des pauvres devient de plus en plus dérangeant, d’autant plus qu’il commence à en identifier les causes structurelles, dont le capitalisme sauvage, l’individualisme, la cupidité et les ambitions de pouvoir. Les inégalités sociales sont de plus en plus criantes et la paix par les armes ne peut qu’engendrer plus de guerres.

Washington ne saurait demeurer les bras croisés comme si rien ne se passait. Il lui faut, comme il le fait dans la majorité des gouvernements du monde, placer de ses hommes sur qui il pourra compter à des postes stratégiques du pouvoir. Au Vatican, ce sont les postes près du pape. Le plus important de ceux-ci, après celui du pape, est celui de Secrétaire d’État du Vatican. Un poste central, comme l’est celui d’un premier ministre. Voici ce qu’en dit la Constitution Pastor Bonus :

« Relèvent de sa compétence les relations diplomatiques du Saint-Siège avec les États, y compris l'établissement de Concordats ou d'accords similaires, la représentation du Saint-Siège auprès des conférences et des organismes internationaux; dans des circonstances particulières, sur mandat du Souverain Pontife et après consultation des Dicastères compétents de la Curie, la préparation des nominations dans les Églises particulières, ainsi que la constitution de ces dernières ou leur modification; les nominations des évêques dans les pays qui ont conclu avec le Saint-Siège des traités ou des accords de droit international, en collaboration avec la Congrégation pour les Évêques. » 

Au moment d’écrire ces lignes, en juin dernier, ce poste de Secrétaire d’État du Vatican n’était pas encore comblé et le sort du cardinal hondurien, Oscar Andrés Rodriguez Maradiaga, pressenti par plusieurs pour ce poste, n’était pas encore scellé. Depuis lors, le nonce apostolique au Venezuela, Pietro Parolin, a été nommé secrétaire d’État du Vatican et le cardinal Maradiaga a été nommé coordonnateur du Comité spécial pour conseiller le pape sur la réforme de la Curie romaine. Des nominations qui ont certainement leurs secrets

QU’EST-IL DONC CE CARDINAL DU HONDURAS ?



Il s’agit évidemment d’un personnage important dans l’Église et, à ne pas mésestimer, dans la géopolitique de l’Amérique latine. À plusieurs, reprises le pape lui a signifié qu’il avait toute sa confiance.

Déjà en 2005, lors du Conclave pour élire le successeur du pape Jean-Paul II, il était sur la liste des candidats sérieux pour la papauté. À l’époque, il s’était acquis une certaine réputation d’un cardinal proche des pauvres et sympathique au courant de pensée de la théologie de libération. Cette réputation s’est vite évaporée lorsqu’il s’associa, en 2009, aux putschistes qui s’emparèrent, par la force, des pouvoirs de l’État, chassant par les armes le président légitimement élu, Manuel Zelaya. Ce 28 juin 2009 aura été déterminant pour découvrir derrière ce cardinal des pauvres, l’allié indéfectible de Washington et des oligarchies nationales. Avec la présence sur le territoire hondurien de deux bases militaires étasuniennes, tous ces hauts personnages se sentent en sécurité et en fraternité.

Ces évènements mirent à jour le personnage politique du cardinal. Nous savons que la décision du coup d’État a été prioritairement motivée par le fait  que le président Zelaya s’était joint au groupe de l'Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique - Traité de commerce des Peuples (ALBA - TCP).

« « D'abord évoquée par Hugo Chávez, président du Venezuela, lors d'un sommet, en décembre 2001, des chefs d'État de la Communauté caribéenne, l'ALBA a été officiellement lancée en avril 2005, par la signature d'un « traité commercial des peuples » entre Cuba et le Venezuela. La Bolivie, le Nicaragua, la Dominique et le Honduras se sont depuis associés à l'initiative, qui visait d'abord à promouvoir une alternative à la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques) promue par Washington. »

La question de la quatrième urne pour une consultation de la population n’aura été qu’un prétexte sans aucun fondement.

Les habitués de l’histoire récente de l’Amérique latine savent très bien qu’aucun coup d’État ne serait possible sans l’accord et l’appui de l’Église institutionnelle. Le Honduras n’échappe pas à cette règle.

Le cardinal a été impliqué dans des rencontres préparatoires à ce coup d’État. Il  ne pouvait ignorer que le motif invoqué pour le renversement du président légitime, à savoir une consultation non contraignante sur la pertinence de faire voter la formation d’une constituante lors du prochain scrutin présidentiel, ne comportait aucune intention de la part de ce dernier de demander un second mandat. Dans les circonstances, c’était même impossible. Le président Zelaya n‘était aucunement candidat à cette élection. Ceci ne modifia en rien son appui à ce coup d’État militaire, jugé tout à fait légal par lui et la conférence des Évêques.

De plus, il ne pouvait ignorer que la signature au bas de la soi-disant lettre de démission du Président était une falsification de la signature de ce dernier et une manœuvre déloyale pour faire avaler cette couleuvre (coup d’État) à l’opinion mondiale. Loin d’en dénoncer le caractère criminel, il fit comme si rien n’en était.

Il savait que les États-Unis, à travers sa base militaire au Honduras et son ambassadeur, étaient directement impliqués dans ce coup d’État. Il n’en dira rien.

Pendant toute la période de répression qui a suivi, il s’est fait bien silencieux sur les crimes commis. Des journalistes ont été assassinés et des dirigeants syndicaux éliminés. On ne l’a pas vu s’élever contre des militaires et ces élites qui menaient l’État comme bon leur semblait. Pour un sympathisant de la théologie de libération, comme certains aimaient à le dire, c’était une volte-face à la démocratie et aux laissés pour compte.

Sa partisannerie et ses choix idéologiques se révélèrent pleinement dans l’homélie qu’il prononça, le 3 février 2010, à l’occasion de la messe d’Action de grâce en l’honneur du nouveau président, Porfirio Lobo. Voici un extrait de ces mots élogieux qu’il a eu à l’endroit du principal putschiste, Roberto Micheletti :

« Aujourd’hui est un jour spécial pour rendre grâce à Dieu, par la Vierge Marie, pour notre Honduras, pour la liberté, la souveraineté et l’indépendance que Don Roberto Micheletti a su défendre avec les forces armées et aux côtés des milliers de Honduriens qui veulent faire partie des solutions, non des problèmes ».

Le 10 février 2010, il en rajoutait en présence des nouveaux élus :

« Réjouissez-vous, chers frères et chères sœurs, vous qui êtes appelés à diriger ce pays. Dieu vous a choisis, car Dieu bénit le Honduras ».

« Nous voulons que règnent parmi nous la communion, la fraternité, la réconciliation et la paix ».

« Nous nous réjouissons dans le Seigneur quand un Hondurien respecte un autre qui pense différemment, quand nous ne nous traitons pas comme des ennemis, mais comme des frères, quand nous nous regardons dans les yeux et nous reconnaissons le fils de Dieu, du même père, du Honduras et de Notre-Dame de Suyapa ».

« Nous sommes pleins d'espérance, car nous savons que l'humanisme chrétien guidera cette nouvelle étape du Honduras, et souhaitons pouvoir tous collaborer à ce projet pour le bien de la nation ».

Voilà bien un discours qui mériterait à lui seul une analyse approfondie. Toutefois, on peut se poser dès maintenant une question de fond. Pourquoi n’avoir pas tenu ce discours aux oligarchies et aux putschistes avant qu’ils commettent leurs crimes, en juin 2009? Loin de là, il suggère même que les élus de Dieu, que sont les nouveaux dirigeants oligarchiques, sont les authentiques porteurs de l’humanisme chrétien et que les autres, ceux qui les ont précédés, n’étaient ni les élus de Dieu, ni les porteurs de l’humanisme chrétien. De quoi faire réfléchir sur l’idéologie qui le guide.

Je vous réfère à un article, écrit sur le sujet en juillet 2009. Il y a aussi ce débat qu’a suscité cette invitation de l’Institut catholique de Paris au cardinal Maradiaga pour en faire un Docteur honoris causa. Sur cette question, je vous réfère également à cet article de Golias. Cette cérémonie, suite aux nombreuses protestations, fut annulée.

Nous sommes évidemment loin de la présentation que nous en fait Wikipédia. Tout ne s’arrête pas là. Il est devenu l’homme charnier de Washington pour ses relations avec l’Église et l’Amérique latine.

UNE STRATÉGIE POUR REPRENDRE LE POUVOIR

De nombreux évènements et de nombreuses analyses permettent de décoder une stratégie d’intervention qui transforme en sauveur celui qui ne l’est pas et en diable les autres. Nous pourrions l’appeler la stratégie des deux extrêmes en vue de créer l’espace nécessaire pour qu’un nouveau sauveur y passe.

Nous savons par expérience de vie qu’entre deux extrêmes, il y a toujours ceux et celles qui font figure de gros bon sens et qui se présentent comme une alternative raisonnable à ces deux extrêmes. Pour cela, il faut évidemment qu’existent ces deux extrêmes ou à défaut de leur existence, il faut les créer.

L’exemple parfait pour bien faire comprendre cette approche me vient du discours développé par certaines autorités ecclésiales. Dernièrement, le pape François dans son exhortation apostolique a dénoncé avec force un de ces extrêmes représentés par ces forces occultes des finances et de l’économie qui ravale la personne humaine à un déchet pour les vidanges. Le nom de cet extrême est le capitalisme et l’impérialiste.

Alors que reste-t-il comme alternatives? Inévitablement pour plusieurs, les regards se porteront sur les pays émergents de l’Amérique latine qui s’inspirent d’un socialisme qu’ils disent du XXIe siècle. Or, ce socialisme, nous le savons, est la bête noire des épiscopats latino-américains et par coïncidence des États-Unis, lesquelles tiennent lieu et place de l’empire. Se pose alors la question de savoir comment, sans nier les propos du pape François, se défaire de cette alternative plutôt gênante pour l’épiscopat latino-américain et pour l’empire avec qui il coopère.

Ici, entre en action notre cardinal Maradiaga. Voici un extrait de l’entrevue accordée à des journalistes, lors de son passage à Berlin en janvier dernier. Dans cette entrevue, il en remet sur les déclarations du pape en parlant de l’échec de la globalisation et de la corruption endémique qui atteint tous les dirigeants latino-américains. Du même souffle, il en fait tout autant avec le socialisme du XXIe siècle qu’il associe au Venezuela et qu’il qualifie non pas seulement d’un échec, mais d’un « grand » échec. Que reste-t-il alors si ce n’est l’arrivée d’un printemps latino-américain qui fera apparaître de nouvelles figures pour une nouvelle gouvernance. Un espace nécessaire pour que Washington et ses alliés reprennent, sous des dehors de renouveau, le contrôle des gouvernements sous la forme, sans doute, d’un humanisme chrétien, version Maradiaga.

Religion digital rend compte sous le titre : Maradiaga : « La globalisation a été un échec : elle est une mascarade pour un monopole dissimulé » d’une entrevue accordée par le cardinal à des journalistes. Je traduis pour vous le compte rendu écrit en espagnol.

« Lors d’une rencontre avec les journalistes à Berlin, Rodriguez Maradiaga, salésien et président de Caritas international, considéra que la politique en Amérique latine est devenue une « industrie » où le principal est le profit personnel de la  classe dirigeante et non la recherche du bien commun.

Cette situation a généré une corruption incroyable, accompagnée d’une grande « impunité » cause des profondes inégalités qui divisent le sous-continent, laquelle constitue un des problèmes majeurs d’Amérique latine.

Cela conduit à la tentation d’un autre type de gouvernance, donnant l’exemple du Venezuela, dont le système est également un grand échec et qui, selon lui, comporte la même corruption, mais sous un autre visage.

Pour quand l’arrivée d’un printemps latino-américain, se demanda le cardinal hondurien, faisant le rapprochement avec ce qui s’est passé avec les révolutions qui ont pris leur envol en 2011 dans le monde arabe. »

Voilà, la table est mise pour que l’empire, amant de cette démocratie sur laquelle il a plein contrôle, s’implique et rende possible les conditions à une révolution dont le premier objectif sera de mettre fin à ce socialisme du XXIe siècle et à reprendre le contrôle des états qui s’en sont fait un guide.

Il faut dire que le cardinal n’a pas perdu de temps à analyser ce qui se passe en Bolivie, en Équateur et même au Venezuela. Il n’a pas pris plus de temps pour s’arrêter à la dynamique des organismes régionaux comme le MERCOSUR, UNASUR, CELAC, ALBA, etc. En somme, il ne voit pas qu’existe déjà un printemps latino-américain en pleine expansion, un printemps qui se réalise non pas par la casse et les homicides, mais par la démocratie. De ce printemps, il préfère l’ignorer, le passer sous silence, le fondre dans le générique de « toute l’Amérique latine » corrompue.

Il saute aux yeux que l’intervention du cardinal se situe dans le cadre d’un plan global, sans doute mis en place par Washington et certaines autorités ecclésiales, dont le cardinal lui-même. 

Ainsi, le gros méchant loup de la globalisation deviendra, cette fois, vêtu de l’habit du bon pasteur,  le sauveur d’un monde rongé par la corruption et l’utopie trompeuse. Sans rien perdre de ses prérogatives antérieures, il saura donner à toutes ses interventions l’allure de la modération et du gros bon sens. Les socialistes méchants auront été rayés de la carte et les capitalistes sans conscience auront retrouvé leur place sur des dehors plus charmants et plus humains. Également, sans doute, plus généreux avec Caritas international.

L’émérite pape Benoît XVI, dans son livre Jésus de Nazareth, tome 1, parle également d’un manque d’alternative à ce capitalisme, se gardant bien, toutefois, de parler de cette alternative que peut représenter le socialisme du XXIe siècle en vigueur en Bolivie, en Équateur, au Venezuela, au Nicaragua. Il nous recommande plutôt ce passage du prophète Ezéquiel, 9,4 qui nous invite à une résistance passive.

 « à ces personnes qui ne se laissent pas entraîner à se faire complices de l’injustice devenue naturelle, mais qui au contraire en souffrent. Même s’il n’est pas en leur pouvoir de changer dans son ensemble cette situation, ils opposent au règne du mal la résistance passive de la souffrance, la tristesse qui assigne une limite au pouvoir du mal » (p.108).


Le cardinal Maradiaga, homme d’action, ne l’entend pas de cette manière. Il déclare, de son autorité épiscopale et sans d’autres explications que sa conviction personnelle, que le régime en développement au Venezuela est un grand échec et que le temps est venu pour ouvrir la voie à un printemps latino-américain. Par contre, pas question pour lui de réclamer ce printemps pour son pays, le Honduras, un des pays les plus pauvres et où la violence est la plus grande. C’est plus facile pour lui de parler de l’Amérique latine dans son ensemble et du Venezuela en particulier.

Il ne fait pas de doute que les derniers évènements de violence au Venezuela, ceux qui prirent leur envol le 12 février dernier, se présentent comme une réponse à son appel pour un printemps latino-américain.

Washington, avec un tel homme d’Église, peut dormir en paix dans sa lutte pour reconquérir les pays qui se sont affranchis de son pouvoir de domination. Pas surprenant que les épiscopats latino-américains s’associent à ce mouvement de reconquête de l’empire.

Le cardinal deviendra le prophète qui aura annoncé ce jour de la libération des peuples de l’Amérique latine. La violence et le pillage, ainsi que les morts feront évidemment  partie, pour ces nouveaux libérateurs, des dommages collatéraux ou, si l’on peut le faire croire, d’une répression excessive de la part du gouvernement.

Les médias, bien rodés à la pensée unique, sauront formater les esprits pour dire que l’Amérique latine vit des temps nouveaux. Sans doute comme ce fut le cas en Irak, en Libye, en Égypte, et maintenant en Syrie.

Avec le cardinal Maradiaga et le secrétaire d’État du Vatican, Pietro Parolin, solidaire de l’épiscopat vénézuélien, Washington et le Vatican marchent main dans la main. Que le Peuple vénézuélien et tous les autres qui avancent sur la même voie se le tiennent pour dit !!!

Oscar Fortin
Québec, le 17 février 2014
http://humanisme.blogspot.com

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