« Un empire n’existe que
par ses subordonnés. Le jour où ces derniers décident de ne plus en être, il
perd toute sa raison d’être. »
L’Organisation des États américains (OEA) se réunira
à Panama les 10 et 11 avril pour son VIIè Sommet. Une rencontre qui fera
histoire. Pour la première fois, depuis ces Sommets, inaugurés, en 1994, Cuba
en fera partie comme membre de plein droit. On se rappellera que sous la
pression des États-Unis, Cuba avait été exclue et ne pouvait participer à ces
Sommets.
Il importe de rappeler que la création de l’OEA
a pour premier objectif des pays membres « un ordre de paix et de justice, de maintenir leur
solidarité, de renforcer leur collaboration et de défendre leur souveraineté,
leur intégrité territoriale et leur indépendance »
Si tel était le cas, il faudrait se réjouir de la
déclaration des pays membres de la CELAC faisant de l’Amérique latine et des
Caraïbes un territoire de paix. Il faudrait également se réjouir de
l’affirmation toujours plus forte de l’indépendance et de la souveraineté des
peuples et des États de la région. IL faudrait en même temps condamné cette
présence massive des bases militaires étasuniennes dans différents pays du
Continent de même que l’usurpation de territoire comme c’est le cas en
Argentine avec les Malouines occupées par la Grande-Bretagne, et comme c’est
également le cas à Cuba où toute une partie de son territoire, Guantanamo, est
occupée par les États-Unis, signataire de la Charte de l’OEA.
Cet objectif honorable doit se comprendre comme devant
être soumis à la régence des États-Unis qui s’assureront que l’indépendance et
la souveraineté recherchée tout comme la protection des territoires nationaux
cadrent bien avec les objectifs et les intérêts des États-Unis d’Amérique. Ceci
explique le fait que son influence lui ait permis,
tout au long de ces années, d’imposer sa vision et ses volontés sur le
Continent. Il s’assurera que les dirigeants des soient des alliés fidèles à ses
politiques. Il se fera le promoteur de la création d’une Commission
interaméricaine des droits de l’homme qu’il s’abstiendra de signer lui-même. Un
outil fait sur mesure pour décider les pays où ces droits sont bafoués,
lesquels sont par hasard les pays qui résistent à toute puissance impériale. C’est
actuellement le cas pour le Venezuela qui est devenu tout d’un coup une grande
menace pour la sécurité nationale des États unis et auteur du non-respect des
droits de l’homme.
Cette lune de miel de l’OEA comme outil de contrôle et de manipulation
des pays du Continent a connu ses
premiers affrontements au Sommet de Québec, en 2000, avec la participation
de ce nouveau président du Venezuela, Hugo Chavez. Ce dernier s’est permis
d’aborder certains sujets, dont celui de la démocratie participative, nouveau
concept mettant en relief les limites des démocraties représentatives. Il
demanda alors aux pays membres de se prononcer pour faire de la démocratie
participative l’outil privilégié des peuples pour exercer le pouvoir de façon
de répondre en priorité au bien commun de tous et de toutes. Sa proposition, comme
il fallait s’y attendre, ne fut pas acceptée.
Le second signal d’un changement dans le comportement des pays de l’Amérique latine s’est
manifesté au IVe Sommet de l’OEA, en 2005, à MAR de Plata. À cette époque, l’Argentine
était sous la gouvernance d’Hector Kirchner, celui qui avait sauvé le pays du
désastre économique des années 2000-2003. Il était donc l’hôte de ce Sommet, particulièrement
important dû au fait qu’il traiterait de l’établissement d’une zone de libre-échange
à laquelle les États-Unis et ses alliés tenaient à tout prix. Ce fut un échec
retentissant. Un bloc important de l’Amérique latine, avec à sa tête Hugo
Chavez et Nestor Kirchner s’opposèrent à un tel accord de zone de libre-échange,
soutenus, en cela, par les mouvements
sociaux. Pour une fois, l’Amérique latine disait non aux volontés de
l’Empire.
Le troisième signal, sans doute le plus important de tous, est celui du regroupement de
tous les pays de l’Amérique latine derrière le Venezuela pour condamner le
Décret qu’a signé le président Obama dans lequel il déclare le Venezuela comme
une menace sérieuse à sa sécurité nationale et réclamer sa suppression.
L’Amérique latine, depuis le début des années 2000, s’est dotée de
nombreux regroupements d’intégration régionale : UNASUR, ALBA, CELAC,
MERCOSUR. Ce sont là des instances qui grugent sur le monopole exercé
traditionnellement par les États-Unis sur les activités économiques, politiques
et sociales. Tout cela se réalise sous la mouvance des nouvelles démocraties
participatives qui renforce le pouvoir des peuples sur leur devenir collectif.
Il est bon de rappeler que c’est ce pouvoir du peuple qui fit déraper le coup
d’État, réalisé au Venezuela, en avril 2002. C’est également le peuple qui
sauva à plusieurs reprises Evo Morales, devenu depuis son élection en 2005,
l’ennemi à abattre. Ce fut également le cas, en équateur, lorsque le peuple est
venu, en 2010, à la rescousse de Rafael Correa pris au piège par une fraction de
l’armée et de la police nationale.
Que va-t-il donc se passer à
ce VIIè Sommet à Panama ?
Le président Obama, avec son projet de Décret, a annulé complètement
les effets positifs sur lesquels il aurait pu compter pour redorer son image et
celle de son pays à l’endroit des représentants de l’Amérique latine et des
Caraïbes. En même temps qu’il reconnaissait que la politique des sanctions
contre Cuba depuis plus de 50 avait été un fiasco, il entame l’usage de moyens
semblables contre le Venezuela, allié indéfectible de Cuba. Peu de temps après,
il arrive avec un décret qui devient, techniquement une véritable déclaration
de guerre contre le peuple vénézuélien. Ce fut l’élément déclencheur d’une
mobilisation continentale et même mondiale en soutien au Venezuela et de
condamnation. Près de 10 millions de signatures du peuple vénézuélien et des
centaines de milliers d’autres d’un peu partout à travers le monde.
Ce sont les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes qui vont se
présenter en compagnie du Président de Cuba, Raoul Castro à ce Sommet des
Amériques. Ils vont réclamer qu’Obama annule son décret contre le Venezuela, qu’il
dégage ses bases militaires du territoire de paix qu’est devenu celui des Caraïbes
et de l’Amérique latine, qu’il donne suite à l’article 1 de la
constitution de l’OEA qui demande de respecter l’indépendance et la
souveraineté des États. Il ne fait pas de doute qu’ils vont également insister
pour que le blocus contre Cuba soit levé immédiatement et que soit mis fin à
l’approche impériale qui caractérise les politiques des États-Unis avec les
pays latino-américains et Caribéens.
Ce serait rêver en couleur que de penser que le président Obama
s’incline devant ces demandes. Par contre, il lui faudra sauver la face d’une
façon ou d’une autre. Il pourra compter, je pense bien, sur la présence du
représentant du papa François en la personne du Secrétaire général du Vatican,
Pietro Parolin. Je ne doute pas un instant que ce message du pape François aura
été minutieusement concerté avec Washington de manière à avoir un impact
positif sur son image sans trop nuire celle des autres participants. Je ne
serais pas surpris que le Vatican demande à Obama de retirer son Décret en
échange des prisonniers réclamés par la droite vénézuélienne et une délégation
d’ex-présidents de divers pays de l’Amérique latine qui seront à Panama pour
présenter cette requête.
Je ne vois pas comment le Venezuela pourrait répondre positivement à ce
marché de dupes. Les prisonniers sont en prison pour des crimes commis alors
que le Décret d’Obama n’a aucune base juridique internationale. La procédure de
justice suit son cours dans le cadre d’une Constitution reconnue par le peuple
et respectée par le gouvernement.
On verra bien, si l’essentiel de l’information, couvrant ce Sommet,
portera prioritairement sur ce qui va se passer à l’extérieur du cénacle de ce
sommet. Il faut en être bien conscient, la guerre qui va se livrer à Panama,
lors de ce Sommet, va en être une de communication. À cette fin, deux
évènements majeurs vont se produire, impliquant des représentants, bien
sélectionnés, de milieux sociaux dont un premier groupe se portera à la défense
de l’impérialisme et contre ceux qui s’y opposent et un second groupe qui
s’affirmer anti-impérialiste et en faveur des pays émergents.
Le premier groupe se réunira sous le chapeau du Sommet
de la société civile auquel participeront, pour la très grande majorité,
des représentants opposés aux gouvernements du Venezuela et de Cuba. Les
organisateurs de ce Sommet, dont l’une des principales représentantes est la Panaméenne
Magaly Castillo, une personne très proche de l’Ambassade des Etats-Unis à
Panama. Elle fait partie d’une organisation qui opère sous de nom d’Alliance
citoyenne pour la Justice. Elle fut honorée, en 2012, par l’Ambassade des États-Unis à Panama du
prix international des Femmes courageuses, que lui ont présenté Hilary Clinton
et la première dame des États-Unis, Michelle Obama. Des représentants
d’organisations sociales de Puerto Rico, du Mexique, de Cuba, se virent refuser
leur participation à ce Sommet. Ils ne répondaient pas aux critères de
sélection.
Au même moment se déroulera le Sommet des Peuples qui se définira comme
anti-impérialiste et qui regroupera les représentants de toutes les
organisations sociales, clairement engagées dans cette lutte. À ces rencontres
participeront certains présidents des pays émergents comme Evo Morales et
d’autres comme Maduro et Ortega.
Il ne fait pas de doute que ce Sommet des Peuples, se déroulant simultanément
avec celui des présidents de l’OEA, attirera l’attention des médias et permettra
ainsi au président Obama d’échapper aux médias et de respirer un peu mieux.
Les 9, 10 et 11 avril nous révéleront les stratégies des uns et des
autres et nous verrons bien quel avenir peut avoir cette organisation qu’est
l’OEA. Par ses principes et objectifs, elle est incompatible avec
l’impérialisme de sorte que ses membres ne sauraient s’accompagner d’un
représentant impérial en son sein.
Le président de Cuba peut nous réserver des surprises en cette première
présence à ces Sommets de l’OEA. Il est également possible que ce soit le chant
du cygne du monde unipolaire soumis à un grand patron qui décide de ce qui est
bon et pas bon pour lui.
Une chose est certaine, c’est que l’Empire se retrouve face à un
Continent qui lui dit non, c’est fini, nous ne sommes plus tes dépendances.et
nous n’avons plus besoin d’un empire pour nous dire ce qu’il faut faire ou ne
pas faire. On peut se demander jusqu’à quel point l’OEA saura résister à ces
contradictions internes impliquant un membre qui se considère toujours comme
l’empereur du continent et des peuples qui se considèrent de plus en plus comme
souverains et indépendants de tout empire?
Oscar Fortin
Québec, le 8 avril 2015
Dans le but d’éclairer les lecteurs, je précise que font partie de l’OEA, 35 États indépendants des Amériques, incluant le Canada, à la table gouvernementale du Continent, et qu’il y a aussi 69 autres pays observateurs permanents. Les principaux piliers de cet organisme continental sont la démocratie, les droits de l’homme, la sécurité et le développement.
RépondreEffacerMerci Marius pour ces précisions
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