samedi 22 janvier 2011

LETTRE AU MINISTRE DES AFFAIRES EXTÉRIEURES DU CANADA

Québec, le 22 janvier 2011

Honorable Lawrence Cannon, ministre des Affaires extérieures

Parlement canadien


Honorable représentant du peuple canadien,


Je viens de lire votre déclaration demandant au gouvernement d’Haïti de se soumettre aux recommandations du Rapport de l’OEA sur le premier tour des élections présidentielles. Vous savez, autant qu’un certain nombre d’entre nous, que cette intervention de l’Organisation des États américains (OEA) répond d’abord et avant tout à la volonté de Washington de modifier les résultats annoncés, plaçant Jude Célestin, candidat du parti gouvernemental, au second rang et, à ce titre, participant au second tour. Dans cette démarche, Mme Clinton a pu compter sur vous, sur le Secrétaire de l’Organisation des États américains (OEA) ainsi que sur la France, fort préoccupée par cette présence de M. Célestin.

Vous connaissez très bien l’OEA, ceux qui en sont les membres, ainsi que celui qui y agit en tant que Secrétaire général. Je n’ai pas à vous faire un dessein pour vous convaincre que ce dernier, M. Insulza, est un allié fiable sur lequel le Canada et les États-Unis peuvent compter. Il en a donné la preuve lors du coup d’État militaire au Honduras et encore tout récemment en faisant une déclaration, tout à fait hors de ses responsabilités de mandataire, contre la loi habilitante, votée par l’Assemblée nationale du Venezuela. Ce ne fut donc pas difficile de le convaincre de créer une commission spéciale de vérification de ce scrutin, jugé inacceptable dans le cadre des intérêts de Washington, de la France et du Canada. Par pur hasard, les trois pays sollicités par l’OEA pour composer l’équipe de vérification furent les mêmes qui exigèrent cette vérification. Des sept membres choisis, six étaient de ces pays. Il ne fallait pas être devin pour anticiper la conclusion principale, à savoir le passage de Célestin du deuxième rang au troisième rang et de Martelly, du troisième au second. Une opération beaucoup moins couteuse qu’un coup d’État, comme celui du Honduras ou encore celui du Venezuela, en 2002. Une simple prise de contrôle du scrutin suffit.

Par rapport au scrutin analysé par les spécialistes de l’OEA, je vous réfère à une étude indépendante réalisée par le Center for economic and policy research (CEPR) qui se demande comment l’OEA et le Conseil électoral provisoire (CEP) ont pu valider un tel scrutin. D’abord, les auteurs relèvent le taux de participation qui ne dépasse pas 22.9% de l’ensemble de l’électorat. De plus, Ils font ressortir que les deux candidats retenus pour le second tour ne vont chercher respectivement que 6% et 4% des votes de l’ensemble de l’électorat haïtien. Sur cette simple base, parler de démocratie et d’élection valide, est déjà fort problématique. Que dire maintenant de l’exclusion du parti le plus populaire, celui de M. Aristide, le Fanmi Lavalas? Une exclusion difficilement justifiable dans un contexte où il est question de démocratie. De quoi soulever de sérieuses questions sur le caractère démocratique d’un tel scrutin. Et maintenant que dire de la manipulation des votes, de l’achat des votes, de la corruption infiltrée à tous les niveaux des acteurs en présence? Voici ce qu’en disent les auteurs du Rapport :

« En se basant sur le nombre d’irrégularités, il est impossible de déterminer qui devrait accéder au second tour. S’il y a un second tour, il sera basé sur des suppositions et/ou des exclusions arbitraires. Le rapport note que les plus grands problèmes dans le processus électoral ont eu lieu avant le jour du suffrage : l’interdiction de scrutin d’une douzaine de partis (dont le parti le plus populaire), et la « tache gargantuesque » de tenter d’enregistrer des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays, une tache qui fut clairement un échec retentissant. »

Je suis convaincu de ne vous apprendre absolument rien en vous disant ces choses. Vous les savez encore mieux que moi et c’est là, justement, où le bas blesse. En effet, vous trompez les canadiens en taisant ces choses et vous videz de leur sens des mots qui ne devraient être utilisés qu’avec beaucoup de respect et de responsabilité. Lorsque vous parlez de la communauté internationale vous parlez du Canada, des États-Unis, de la France et de quelques autres alliés. Vous savez que la communauté internationale comprend 192 États et qu’on ne peut parler en son nom sans un certains sens de la responsabilité. Il en va de même pour le mot démocratie dont le sens est celui qui met directement le peuple en lien avec le pouvoir politique. Malheureusement, l’usage qui en est fait le plus souvent est pour couvrir des combines politiques, des intérêts corporatifs et oligarchiques.

Le Canada est un grand pays aux idées diversifiées et aux orientations souvent des plus contradictoires. Il y a toutefois un patrimoine fondamental de concepts qui ne doivent pas être récupérés et servir de couverture à n’importe quoi. C’est le cas pour la démocratie, la communauté internationale, le droit international, les droits humains. Plus importants encore sont ceux de la vérité, de la justice, de la liberté et de la solidarité. Le discours que vous maintenez ne peut que servir la désinformation des canadiens et, de ce fait, la démocratie pour laquelle nos soldats acceptent de faire la guerre, tuant et risquant leur propre vie.

Monsieur Cannon, l’élection d’un gouvernement ne se fait pas à Washington, mais ici au Canada. Je sais que les élus canadiens sont vite courtisés, aussitôt l’élection terminée, par les lobbies qui viennent de Washington et d’ailleurs. Toutefois, nous osons espérer que nos élus aient suffisamment d’étoffe et de fierté nationale pour leur résister et demeurer fidèle à leur électorat canadien et à leurs valeurs.

Parfois, il m’arrive de regretter ce temps de l’Honorable Lester B. Pearson, prix Nobel de la paix, au début des années 1960. Le Canada d’alors avait une personnalité internationale qui inspirait respect. Maintenant, il donne plutôt l’impression d’être un appendice de son voisin du sud dont les intérêts de solidarité ne sont pas les mêmes que les nôtres.

Oscar Fortin

Québec, le 22 janvier 2011


http://www.haitilibre.com/article-1963-haiti-social-les-causes-de-l-echec-de-la-communaute-international-en-haiti.html

http://www.vigile.net/Comment-reprendre-le-controle-d-un

http://www.cepr.net/index.php/other-languages/french-press-releases/une-verification-independante-des-resultats-des-elections-a-haiti-revele-des-irregularites-massives-au-dela-de-celles-constatees-par-loea-et-le-cep

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=22866


2 commentaires: