La promotion du cardinal Ouellet au poste de Préfet de la Congrégation des Évêques et Président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine nous rappelle le caractère étatique du Vatican et la nature de son fonctionnement. Le Pape, élu par ses pairs cardinaux, est le grand patron, celui qui « a les deux mains sur le volant ». Il choisit ses collaborateurs les plus proches en les nommant à la tête des différents « ministères » qui structurent le fonctionnement de l’État du Vatican. C’est lui qui nomment les cardinaux et choisit les évêques.
Le système par lequel tous ces hauts personnages se retrouvent à ces fonctions de prestige n’a rien à voir avec ce que nous pourrions appeler une quelconque démocratie. Les croyants et les croyantes n’ont aucune intervention structurelle leur permettant d’élire leurs représentants aux diverses fonctions qui sont inhérentes à tout État moderne. Ils assistent, comme tout le monde et sans droit au chapitre, aux nominations qui se font et aux orientations qui sont prises.
Cette situation, suite au long pontificat de Jean-Paul II, suivi de celui de Benoît XVI qui va dans le même sens, prend actuellement un caractère très particulier : les nominations des évêques et cardinaux, faites au cours des 32 dernières années, ont été inspirées, pour leur grande majorité, par une même idéologie religieuse (traditionnaliste), politique (néolibérale) et particulièrement centrée sur le culte liturgique et l’autorité institutionnelle. Ainsi, le Vatican présente l’image d’une Église qui se définit davantage par l’esprit d’un « parti unique », dominé par une même idéologie à la fois politique et religieuse et ayant bien en main les divers leviers du pouvoir de l’État du Vatican et de ses ramifications à travers le monde. Il a plein contrôle sur ses « membres » que sont les évêques et les cardinaux qui lui doivent d’être ce qu’ils sont devenus.
Dans ses alliances politiques, le Vatican est en étroite relation avec les Puissances dominantes de l’Occident avec qui il partage l’idéologie du néolibéralisme. Il leur assure son appui, souvent ouvertement, parfois discrètement. Par exemple, en Amérique latine, il appuie les démocraties dominées par les oligarchies et se montre résistant aux démocraties participatives. Il lui arrive même de soutenir ouvertement des coups d’État militaire, comme ce fut le cas au Honduras, il y a à peine un an. Il se garde bien de critiquer les guerres menées en Afghanistan ainsi que les préparatifs d’une éventuelle guerre contre l’Iran. Dans ses encycliques, il sait utiliser les mots et les formules qu'il faut tout autant que passer sous silence certains faits dans le but de ne pas offusquer ses alliés.
Le Vatican est l’Église dont la face visible est le Pape avec ses cardinaux et ses évêques. Ils sont comme l’incarnation de Jésus de Nazareth dans le monde. D’ailleurs, l’image qui figure derrière le Pape lorsqu’il donne sa bénédiction du balcon de St-Pierre n’est pas celle de Pierre dont il est le successeur, mais celle du Ressuscité dont il est devenu le représentant officiel, comme si ce dernier n’était pas déjà bien présent dans cette « Galilée » devenue le monde.
Mais qu’en est-il vraiment de l’Église, celle dont nous parle l’apôtre Paul et dont témoignent les premiers chrétiens?
Pour Paul, l’Église est ce CORPS vivant dont la TÊTE est le Christ et dont les croyants et croyantes, unis par l’Esprit de ce dernier, sont les membres. D’ailleurs, c’est cet Esprit qui distribue, comme bon lui semble, les divers dons permettant au CORPS de fonctionner dans la diversité et l’harmonie de ses différentes composantes.
«A l'un, c'est un discours de sagesse qui est donné par l'Esprit ; à tel autre un discours de science, selon le même Esprit ; A chacun la manifestation de l'Esprit est donnée en vue du bien commun; à un autre la foi, dans le même Esprit ; à tel autre les dons de guérisons, dans l'unique Esprit; à tel autre la puissance d'opérer des miracles ; à tel autre la prophétie ; à tel autre le discernement des esprits ; à un autre les diversités de langues, à tel autre le don de les interpréter. Mais tout cela, c'est l'unique et même Esprit qui l'opère, distribuant ses dons à chacun en particulier comme il l'entend. » (1Cor.12, 7-11) Vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ, » Éphésien 4, 11-15)
Cette vision de l’Église dont l’épicentre n’est aucun « membre » en particulier, mais le Christ et son Esprit bien à l’œuvre dans le cœur d’hommes, de femmes et d’enfants de toutes races, couleurs, langues et nations se retrouvent difficilement dans l’organigramme de l’État du Vatican. Non pas que les successeurs des apôtres et leurs fonctions n’aient pas leur importance, mais ils doivent s’harmoniser avec celles des autres membres de ce CORPS dont le Christ est toujours la TÊTE. Dans sa lettre aux Éphésiens, Paul apporte cette autre précision en relation à ceux et celles qui constituent les fondations sur lesquelles le Christ édifie ce Corps qu’est l’homme nouveau dont le ressuscité est le premier né.
« Vous êtes intégrés dans la construction dont les fondations sont les apôtres et les prophètes, et la pierre d'angle Jésus-Christ lui-même. C'est lui qui assure la solidité de toute la construction et la fait s'élever pour former un temple saint consacré au Seigneur. » (Ép. 2,20-21)
Cette référence aux prophètes prend un sens particulier pour les temps que nous vivons. Elle nous interpelle sur la place qu’occupe effectivement les prophètes dans la vie de l’Église d’aujourd’hui et celle que l’institution ecclésiale leur reconnaît dans son fonctionnement. Nous savons que les prophètes n’ont jamais eu la vie facile avec les détenteurs des pouvoirs politiques et religieux qu’ils interpellaient en leur rappelant leurs obligations à l’endroit des valeurs fondamentales de la justice, de la vérité, de la compassion, de la solidarité et de la vie. Ils ne se gênaient pas pour dénoncer le faste dont ils s’entouraient et la corruption à laquelle ils s’adonnaient. Rien pour s’en faire des amis.
Cette fonction de prophètes existe toujours même si leurs voix n’arrivent pas toujours à se faire entendre. Leur sort n’est guère différent de celui des anciens. Ils rappellent les valeurs fondamentales des Évangiles ainsi que les directives laissées par Jésus à ses disciples d’aller de par le monde annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, la délivrance aux captifs, l’avènement d’une humanité nouvelle, fondée sur la justice, la vérité et l’amour. Ils dénoncent à temps et à contre temps le tripotage des pouvoirs, la richesse et la vanité de nombre de ses dirigeants, les alliances avec ceux-là même qui tiennent en esclavage les deux tiers de l’humanité. On les fait taire, on les condamne, on ramène leurs propos à de pures bavardages ou encore à des idéologies qui n’ont rien à voir avec la doctrine de l’Institution ecclésiale. Si le Concile Vatican II a ouvert ses portes à la voix des prophètes, ces dernières ont vite été refermées. Pour les retrouver, il faut aller dans la diaspora, là où l’Évangile de la solidarité fleurit, là aussi où le sang des martyrs coule. Nos médias occidentaux et le Vatican lui-même se font bien discrets sur ces témoins qui sillonnent les bidonvilles des grandes agglomérations urbaines, qui parlent le langage de Jésus de Nazareth, qui proclament la libération annoncée au prix de leurs vies. Que de morts ont marqué de leur sang ces terres de l’Amérique latine et d’ailleurs dans le monde, ce monde dans lequel nous vivons présentement! Cette Église là n’a pas sa place au Vatican, elle n’a pas de "Congrégations" ou de "ministères" qu’elle investirait pour agir en son nom.
De petites communautés se forment, méditent sur les Évangiles et la vie de Jésus, partagent entre elles leur espérance et leur foi dans l’avènement d’une Humanité nouvelle. Des pasteurs et des théologiens les y accompagnent souvent au mépris de leurs propres autorités.
Mais qui est-il donc ce JÉSUS DE NAZARETH, personnage central des multiples églises chrétiennes et évidemment de l’Église catholique? Sans lui aucune de ces églises n’aurait sa raison d’être. Qui est-il donc?
Entré dans le monde par la voie étroite de la pauvreté et de l’humilité, il sera consacré comme fils de Dieu lors de son baptême. Son séjour au désert révèlera les grandes orientations de sa mission qui transformeront l’histoire du monde. C’est là qu’il affronta, symboliquement, les trois grandes puissances qui retiennent prisonnière l’humanité dans ce qu’elle est devenue : l’avoir pour se gaver, le pouvoir pour dominer, le paraître pour impressionner. Nous connaissons les réponses qu’il a apportées à chacune d’elles et la distance qu’il a prise par rapport à celui qui s’en faisait le promoteur.
Dans le scénario des trois tentations Jésus se révèle être profondément lié à son Père et, de ce point de vue, il témoigne d’une incorruptibilité totale. Il nous dit que l’humanité à laquelle il nous convie prend racine non pas dans l’avoir, mais dans l’être, non pas dans la domination, mais dans la justice et la vérité (le règne de Dieu), non pas dans le paraître et le prestige des apparats, mais dans l’humilité et la confiance. Voilà, tracée dans ses points les plus fondamentaux, la voie par laquelle Dieu se laissera découvrir et rendra possible l’avènement d’une humanité crée à son image et ressemblance.
De retour du désert, Jésus prit donc le bâton du pèlerin pour annoncer la bonne nouvelle à toute personne de bonne volonté. Au temple, où il se rend le jour du sabbat, on lui demande de faire la lecture d’un passage du prophète Isaïe : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur. » (…) « Aujourd'hui, ajouta-t-il, s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture. » (Lc. 4, 18-21)
Ses trois années de prédication, de témoignages et de vie partagée avec ceux et celles qui l’accompagnent nous le révèlent profondément solidaire de tous ceux et de toutes celles qui souffrent de ces déséquilibres engendrés par ces trois grandes puissances qui s’arrogent tous les pouvoirs. Il guérit les malades, donne la vue aux aveugles, fait marcher les paralytiques, console les affligés, nourrit les affamés, pardonne aux pécheurs. S’il s’entoure de disciples, il s’attache également des femmes qui l’accompagneront jusqu’au pied de la croix. À Cana, il participera à la fête et au Golgotha, il prendra sur lui la souffrance de l’humanité rejetée. Il est bien présent au cœur de cette humanité qui ne peut demeurer indéfiniment entre les mains de ceux et celles qui se l’accaparent pour eux-mêmes. Il est là pour briser les chaînes de l’esclavage, du mépris et de la dépendance. « Il a déployé la force de son bras, il a dispersé les hommes au cœur superbe, Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles, Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides. »(Lc. 1, 52-53) Il dénonce la manipulation que font de la Loi les pharisiens pour mieux couvrir leur hypocrisie.
Ce Dieu, qui se révèle en Jésus, a en horreur les personnes de mauvaise foi, celles qui ne s’intéressent pas à la vérité, mais à leur vérité et pour lesquelles toutes les manipulations sont bonnes. Leurs armes sont le mensonge déguisé en vérité, la tricherie en héroïcité, les biens mal acquis en aumônes, leurs intérêts en bien commun du peuple. Jésus de Nazareth nous ouvre les yeux sur ce monde qui ne peut d’aucune manière se confondre avec celui qu’il vient inaugurer et dont il fait de nous tous les disciples et témoins par son Esprit.
À ses apôtres, il laisse la consigne que le plus grand se fasse le plus petit, que le maître se fasse le serviteur et qu’ils soient tous et toutes les témoins de ce monde nouveau. "Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures, ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton : car l'ouvrier mérite sa nourriture." Mt. 10,9-10) "Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement."
Pour conclure, nous pourrions dire que la foi à laquelle nous convie Jésus de Nazareth est celle qui fait de chacun de nous des êtres nouveaux, non plus soumis aux impératifs des trois grands pouvoirs qui dominent l’humanité (l’avoir, la domination et le paraître) mais à ceux qui la servent et lui permettent de devenir de plus en plus à l’image de la « communauté divine ».
C’est à travers ce prisme de l’être nouveau que le Vatican et les diverses communautés chrétiennes doivent faire et refaire constamment leur examen de conscience. L’Esprit de Jésus de Nazareth n’a pas changé, il est toujours le même. Peut-il vraiment se reconnaître dans l’État du Vatican et ceux qui en assument les principales fonctions? Est-ce là le prisme à travers lequel le monde peut le reconnaitre? Avoir la foi ce n’est pas tellement adhérer à une doctrine, à une idéologie ou à un gourou quelconque mais c’est devenir un être nouveau dans la manière d’être dans ses relations avec les divers pouvoirs qui dominent aujourd’hui le monde et gardent captive l’humanité. Le croyant est celui qui porte les valeurs du royaume dans le quotidien de sa vie et qui ne laisse place à aucun marchandage de ces valeurs avec les puissances de ce monde. Comme Jésus au désert il dit non à la corruption et il dit oui à la solidarité humaine fondée sur la justice, la vérité et l’amour.
Oscar Fortin
Québec, le 2 juillet 2010
Bonjour Oscar,
RépondreEffacerQuel merveilleux texte sur l'Église vaticane et ses représentants. Malheureusement nous n'avons, comme chrétiens, pas grand chose à dire. Cependant le centre de notre foi est le même hier, aujourd'hui et demain, Jésus le Maître de Nazareth. Bravo et continue de nous enrichir de tes profondes réflexions.