dimanche 30 janvier 2005

LA FOI DU VINGT-ET-UNIÈME SIÈCLE

Deux mille ans se sont écoulés depuis l’histoire de Jésus de Nazareth. Né humblement à Bethléem, il grandit à Nazareth, puis prêcha la bonne nouvelle aux humbles et aux petits de la terre, à toute personne de bonne volonté, guérissant des malades, dénonçant l’hypocrisie des pharisiens et des docteurs de la loi, pardonnant les péchés et annonçant l’avènement d’un monde fondé sur un ordre nouveau. Il parla d’un Père céleste avec qui il ne fait qu’un et d’un Esprit qui transforme les cœurs et témoigne de sa mission. Il fut évidemment arrêté puis condamné par les pouvoirs en place à mourir sur une croix. Selon le témoignage de ses proches, il ressuscita le troisième jour et après quelque temps, en compagnie de ses disciples, à qui il rappela qu’il était venu non pas pour être servi mais pour servir, il disparut, mais non sans leur avoir préalablement promis d’être avec eux jusqu’à la fin des temps.

Cette histoire de Jésus se retrouve amplement décrite dans les Évangiles rédigés quelques années plus tard par ses disciples. L’historien Josète, contemporain de cette époque, fait également référence à ce Jésus qui parcourait la Palestine et qui fut condamné à mort sous le règne de Ponce Pilate. D’autres écrits du premier siècle, dont les apocryphes, ont également mis en évidence divers aspects de cette histoire de Jésus.

Depuis lors, cette histoire a connu bien des rebondissements. Tellement qu’aujourd’hui les pouvoirs les plus contradictoires en arrivent à s’en réclamer pour fonder leurs actions meurtrières. Il y a bien sûr l’action meurtrière des guerres, mais également et plus subtilement l’action meurtrière de l’exploitation de la grande majorité des hommes et des femmes de la planète ainsi que le gaspillage des ressources au profit des grandes puissances. Par centaines de milliers les gens meurent de faim, d’épidémie de toute sorte. Pourtant la terre a tout ce qu’il faut pour nourrir tout son monde et éliminer la plupart des maladies dûes à une mauvaise gestion des ressources. Les responsables de ces maux sont pour la plupart les défenseurs des valeurs de l’Occident chrétien.

Les églises qui ont pris la place de Jésus s’ajustent dans la pratique de la viee aux discours des puissants et en deviennent des alliés. Leur organisation, leur doctrine, prennent toute la place. Le messager est de moins en moins transparent au message. De plus en plus de personnes se disent croyantes à Jésus, au message évangélique tout en prenant leur distance par rapport aux églises. Elles découvrent qu’elles peuvent s’approprier le témoignage de Jésus sans pour autant s’engager dans des organisations religieuses et se soumettre à des directives morales émanant de ces dernières. De plus en plus de gens assument en leur âme et conscience les décisions qu’ils prennent, échappant ainsi au contrôle des institutions religieuses sans pour autant échapper au contrôle de leur conscience et du jugement de Dieu.

Le constat peut se résumer ainsi :

1. le libéralisme économique, sous contrôle de l’Occident chrétien et plus particulièrement des maîtres du capital, impose ses règles de productivité, d’efficacité et de rentabilité au reste du monde rendant ainsi le développement équitable impossible au niveau de la planète. Le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser;

2. les églises et les organisations religieuses, devenues pour un grand nombre des alliées, combattent ceux et celles qui tendent à modifier cet ordre des choses. Les condamnations répétées de la théologie de la libération et de ceux qui s'en inspirent en est une faible illustration. Il n'est donc pas surprenant qu'elles soient de plus en plus perçues comme des héritages culturels qui répondent davantage à des valeurs de civilisation et de pouvoir qu’à des valeurs évangéliques.

La solidarité qui émane des Évangiles s’étend à la dimension de la planète et questionne fortement les solidarités locales, nationales, régionales qui se développent au détriment de cette solidarité planétaire. Le maintien de nos niveaux de vie et de nos privilèges de consommateurs dont nous jouissons dans cet Occident chrétien ne peut se faire qu’en maintenant dans la famine et l’isolement des centaines de millions d’humains. La terre, ce grand village, est le bien commun de tous les humains de la terre. Ce message de Jésus de Nazareth repose sur des valeurs qui n’ont pas beaucoup à voir avec celles qui inspirent les dirigeants de nos sociétés de consommation et de capitalisation. Ce sont deux mondes. Se référant à ce dernier, Jésus déclare que son royaume n’est pas de ce monde. Le 21ième siècle sera le siècle de la Solidarité. S’il faut s’opposer à la mondialisation des lois du marché, il faut par contre devenir des promoteurs de la mondialisation des lois de la Solidarité.

LES DEUX ROYAUMES

La mission de Jésus débute avec le récit de Jean-Baptiste qui prêche un changement de vie, pas seulement individuelle, mais également dans les relations avec les autres.

" Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. (Mt.3)

Aux pharisiens et sadducéens qui venaient se faire baptiser pour se donner bonne conscience et surtout laisser d’eux-mêmes une bonne image, il a ces paroles plutôt dures :

" Engeance de vipères, qui vous a suggéré d'échapper à la Colère prochaine ? Produisez donc un fruit digne du repentir.. et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : "Nous avons pour père Abraham. " Car je vous le dis, Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham. » (Mt.3)

Jean qui prépare la voie à celui qui vient et dont il n’est pas digne de dénouer la courroie de ses sandales indique sans équivoque qu’un changement profond s’impose dans les comportements et la manière de voir les choses. Les belles paroles ne suffisent plus et les apparences ne comptent plus.

Jésus se présente donc au baptême de Jean et, investi de l’Esprit, il se rend au désert pour se soumettre aux trois grandes tentations qui guettent tout grand leader et toute personne.

RÉCIT DE LA RENCONTRE DE JÉSUS ET DE SON ADVERSAIRE DANS LE DÉSERT

Les Évangiles (Luc et Mathieu) nous disent que Jésus, après avoir reçu le baptême de Jean et être investi de l’Esprit s’est rendu au désert pour y être mis à l’épreuve. Il est certain que ce récit ne peut reposer que sur des confidences faites par Jésus aux siens. Il n’y avait aucun témoin pour assister à la scène. Il est fort probable que Jésus, voulant illustrer les difficultés que ses disciples auraient à rencontrer a raconté cette expérience personnelle. Après 40 jours de jeûnes et de prières, il a évidemment eu faim et a vu l’ampleur de sa mission. C’est alors que Satan (adversaire en hébreux et calomniateur en grec), sans doute sous l’apparence d’un jeune homme intelligent et bien mis, s’en approche et amorce un dialogue des plus civilisés.

D’abord, voyant qu’il a faim, il lui suggère d’utiliser son pouvoir divin pour satisfaire cette faim qui le ronge en transformant une pierre en pain. Au fond, l’idée n’est pas si mauvaise et reflète une certaine sensibilité de Satan à l’endroit de la situation de Jésus. Le jeûne n’a-t-il pas assez duré et ne peut-il pas satisfaire ses besoins en faisant appel aux pouvoirs divins dont il est investi ? S’il faut attendre que quelqu’un vienne lui apporter de quoi manger, il peut attendre encore longtemps. Pour reprendre une expression que nous utilisons souvent en nous-mêmes, « il n’y a pas de mal à se faire du bien » ou encore « on n’est jamais si bien servi que par soi-même » surtout après une période d’aussi grande privation et au moment où le besoin est si fort.

"Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre qu'elle devienne du pain. "(Lc.4)

Jésus ne le voit pas de la même façon. Il a évidemment faim et ressent sûrement beaucoup d’autres besoins. Par contre, il a un autre interlocuteur, son Père, à qui il s’en remet complètement. Ne donne-t-il pas à manger aux oiseaux du ciel et aux animaux de la terre? N’est-il pas celui en qui le Père a mis toute sa complaisance ? Il s’en remet donc à ce dernier et il n’est pas question que son pouvoir divin soit mis au service de la satisfaction de ses propres besoins. Son pouvoir n’est pas là pour satisfaire ses besoins personnels. Ces derniers doivent plutôt être subordonnés et servir à sa mission.

L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. (Mt.4)

Son interlocuteur, voyant sa détermination à s’en remettre à Dieu, l’amena sur une haute montagne et là lui proposa un « pacte » qui lui permettrait de réaliser sa mission : dominer le monde sans devoir passer par le dur chemin de la souffrance. Pourquoi, au fond, se donner autant de peine, s’il est possible de s’entendre en faisant quelques compromis en échange d’avantages évidents de part et d’autre ? La vision qu’a Satan de la mission de Jésus c’est qu’il vient pour reprendre possession du monde. Alors aussi bien s’entendre pour mieux se le partager.

"Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes; car elle m'a été donnée, et je la donne à qui je veux. Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi."

La proposition n’est-elle pas ce qu’il y a de plus raisonnable : je te donne plein pouvoir sur tous les royaumes de la terre en échange du respect de mon autorité sur toi. Jésus est évidemment conscient que bien des embûches et des souffrances seraient ainsi évitées. Mais, ce n’est pas la voie choisie. Ce ne sont même pas ces royaumes ni la puissance de Satan sur ces derniers qui l’intéressent. Il n’est pas à la recherche d’une couronne de domination. Le royaume pour lequel il est venu n’a rien à voir avec celui de son interlocuteur. Il prend donc ses distances par rapport à tout compromis ou situation de dépendance qui le lierait à autre chose qu’à ce pour quoi il est venu. Il n’est au service d’aucun roi, d’aucun maître. De plus le royaume pour lequel il est venu n’obéit pas aux mêmes lois que celles qui régissent les royaumes sous la domination de Satan.

Jésus lui répondit: Il est écrit: "Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul. "

Il n’y a donc pas de place pour quelque compromis que ce soit. La seule autorité qui s’impose est celle de son Père et c’est avec cette dernière seule qu’il va assumer sa mission. Pas question de compromis, de complicité, de connivence, d’aucune concession de quelque nature que ce soit. S’il faut souffrir, être persécuté, être rejeté et mourir pour réaliser la mission comme le veut son père, il passera par cette voie. Pas question de s’en remettre à quelqu’un d’autre, même en échange de tous les pouvoirs de la terre.

Encore là Satan, voyant sa détermination, l’amena sur le haut du temple et lui dit :

Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est écrit: Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet; Et ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre.

Cette suggestion, à l’effet de révéler sa divinité en se lançant du haut du temple pour que des êtres célestes viennent le déposer doucement devant des foules émerveillées, n’ouvre-t-elle pas la voie à une issue moins contraignante et plus efficace que d’entreprendre un long chemin de croix qui n’a pas beaucoup à voir avec l’enthousiasme des foules et le pouvoir merveilleux du divin. Il n’est pas sans savoir que la croix l’attend et que ce n’est pas la manière la plus évidente de manifester sa royauté et encore moins de se gagner l’admiration de l’humanité. C’est donner l’image d’un Dieu passablement faible et peu intéressant. Évidemment que le spectacle d’une descente du haut du temple portée par des êtres célestes aurait un meilleur impact et lui gagnerait plus facilement les foules. Là encore la voie choisie par son Père n’est pas celle proposée par Satan. Sa mission ne répond pas aux valeurs du monde placé sous le règne de ce dernier et ne peut d’aucune manière s'ajuster à ses critères. On ne peut demander à Dieu de faire des actions d’éclat comme le monde les aime pour montrer qui il est.

Jésus lui répondit: Il es dit: Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu.

C’est ainsi que prend fin la rencontre entre les défenseurs des deux grands biens qui se disputent l’humanité. Satan a le contrôle de tous les royaumes de la terre et il y développe les valeurs de la consommation, de la domination, du prestige. C'est pour ainsi dire le monde l'"avoir", du "pouvoir" et du "paraître". L’humanité cherche en ces dernières son bonheur mais sans jamais y arriver. Les famines, les guerres, les honneurs qui s’envolent, les réussites qui se transforment en échecs, les tromperies et les mensonges, enfin tout ce qui est enveloppé dans le temps et l’espace représente les valeurs et les limites du royaume de Satan. Jésus pour sa part vient inaugurer l’avènement d’un nouveau royaume où l'avoir devient partage, le pouvoir devient service et le paraître devient vérité. Les relations humaines ne seront plus sous le signe de la consommation, de la domination et des honneurs. Elles seront marquées par l’amour, la bonté, le pardon, le service, l’entraide, la solidarité, l’humilité, la paix, la justice. S’il y a consommation ce sera pour la partager, s’il y a de la domination ce sera pour servir, s’il y a recherche des honneurs ce sera pour les remettre aux autres.

LE MONDE ET L’ÉGLISE D’AUJOURD’HUI

Après deux mille ans d’histoire qu’en est-il de ce dialogue entre ces deux mondes, entre les représentants de ces deux royaumes? Il y a le monde des royaumes terrestres avec leurs puissances et dominations et il y a celui du Royaume céleste avec les Églises. Les Églises ont-elles les mêmes réponses que Jésus a données à Satan? S’en remettent-elles avec autant de détermination au Père ? Se démarquent-elles avec autant de fermeté que l’a fait Jésus de tout compromis, de toute complicité ? Auraient-elles des redevances, des promesses, qui les rendraient moins dérangeantes à l’endroit de certains pouvoirs ? Ont-elles cédé à la tentation de certaines complicités avec les pouvoirs de consommation, de domination et de prestige? Ne se retrouvent-elles pas dans la même situation que les synagogues au temps de Jésus ?

Nous résistons aux États laics, nous luttons pour maintenir nos écoles confessionnelles, nous négocions les privilèges fiscaux conquis avec les décennies. Au fond, nous négocions avec des pouvoirs autres que ceux du Père pour garder nos privilèges et avantages que nos liens privilégiés avec les pouvoirs nous ont permis de gagner….

Jésus nous dit : aucun compromis, aucune négociation, aucun intérêt pour ses disciples à entrer dans la vision d’un monde qui n’est pas celui du Père. « Mon règne n’est pas de ce monde et mon pouvoir n’a rien à voir avec ce dernier. » Aucun compromis n’est possible. Tout est entre les mains du Père et de Jésus de Nazareth, son envoyé au milieu des hommes.
Les églises et les croyants, en revenant à leurs racines évangéliques, retrouveront leur liberté face aux puissances de ce monde et ils développeront une solidarité sans équivoque avec tous les humains de la terre, en commençant par les chaînons les plus faibles que sont tous les laissés pour compte.
Oscar Foritn

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