mercredi 18 octobre 2006

LETTRE OUVERTE À LUCIEN BOUCHARD

Monsieur,

L’observatoire auquel vous a conduit votre brillante carrière professionnelle et politique donne à vos propos une crédibilité toute spéciale et en assure une diffusion dont peu peuvent se vanter. Votre dernière entrevue à TVA et dont la teneur a été reprise par bon nombre de nos quotidiens témoigne du fait que vous êtes toujours aussi généreux dans vos confidences, spontané et sincère dans vos propos. Vous n’avez vraiment pas votre pareil pour mettre en évidence, par des images fortes, certaines idées maîtresses. Je me souviens de cette image du « huissier qui frappe à la porte de la résidence de nos enfants » pour saisir leurs biens afin de payer la dette que nous leur avons laissée. Ou encore, cette toute dernière qui révèle, sous forme d’un aveu, que votre génération qui est aussi la mienne « s’est payé la traite », à même les générations futures.

J’ai toujours eu de la difficulté à comprendre qu’un « ensemble de personnes ayant à peu près le même âge à la même époque » (génération) soit responsable de la dette de toute une Société. Une génération, telle que définit par Le Petit Larousse, n’est pas socialement et économiquement parlant une réalité homogène. Si nous étendons notre regard à tous les gens de notre âge, nous réaliserons qu’il y a des agriculteurs, des ouvriers, des secrétaires, des femmes de ménage, des malades, des technocrates, des professionnels, des ouvriers, des sans abris, des PDG de grandes entreprises et tous les autres. Il est évident qu’ils ne se sont pas tous « payé la traite » de la même façon.

Vous êtes bien placé pour témoigner des multiples groupes de pression et d’intérêts qui cherchent constamment à s’approprier les leviers des pouvoirs politiques, économiques et sociaux. Je ne pense pas que ce soit toujours pour le mieux être de l’ensemble de la Société. Vous pourriez sans nul doute nous en dire long sur les ambitions des uns, sur les luttes de pouvoir des autres, sur le jeux de coulisses et les diverses formes de chantage. Bien des lois peuvent ainsi être modifiées, bien des mesures fiscales peuvent être introduites pour en accommoder certains et en soulager d’autres. Tout cela a un coût. La nature humaine, étant ce qu’elle est avec ses travers, ne disparaît pas avec la fonction pas plus que le jugement et l’intelligence ne viennent avec les titres.

Vous avez été au cœur de bien des décisions et la Société que nous avons aujourd’hui vous en est redevable pour beaucoup. Je ne doute pas un instant que vous puissiez aligner bien des noms de personnes et de sociétés qui « se sont payé la traite » durant toutes ces années. De grands chantiers ont été lancés : Terre des Hommes, le Métro de Montréal, le Tunnel Hyppolite Lafontaine, la Baie James, les Jeux Olympiques, la création de Sociétés d’État, l’implantation du Réseau Collégial, celui de l’Université du Québec et quoi d’autres encore. Rien n’était trop beau pour les administrateurs et gestionnaires de ces projets. Une nouvelle classe de technocrates et d’entrepreneurs, toutes générations confondues, venait de naître.

C’était, comme vous le suggérez, la caisse à ciel ouvert pour un certain nombre de personnes et de sociétés, sans doute de notre génération, mais aussi de celles qui nous ont précédés et suivis. Ne fallait-il pas développer de nouvelles entreprises, rendre l’éducation accessible à toutes les personnes en besoin de formation, ouvrir les hôpitaux à tous les malades et assurer un minimum de bien-être aux laissés pour compte de la société, toutes générations confondues ? S’il y a eu abus, erreurs d’appréciation, mauvaise organisation, ne faut-il pas en chercher la cause là où se prennent les orientations et là où se gèrent les décisions?

Alors pourquoi, pour expliquer la dette, ne pas parler directement des problèmes de gestion et d’administration, des choix politiques, économiques et sociaux inappropriés, d’abus de pouvoir dans certains cas, de classes sociales peu préoccupées du bien commun de l’ensemble de la société plutôt que de ramener le tout à notre génération plutôt égoïste, irresponsable et peu soucieuse de l’héritage à laisser à ses enfants ? Vous serez d’accord pour dire avec moi qu’une Société ne saurait se ramener à une « génération ». Elle est essentiellement faite de toutes les générations qui lui sont contemporaines.

Des années 1950 à aujourd’hui, beaucoup de chemin a été parcouru. Nos parents n’ont pas eu besoin de créer le conflit des générations pour nous ouvrir les portes de l’avenir et nous confier le développement du Québec. S’il y a eu des ratés, de grâce, qu’on n’en fasse pas porter le fardeau sur ceux qui n’y sont pour rien.

Ces temps-ci, pour qui écoute la télévision et lit les journaux, il n’est pas nécessaire d’attiser le conflit des générations. Il s’attise déjà suffisamment par lui-même et dans bien des cas de façon tragique. De grâce, Monsieur Bouchard, n’ajoutons pas consciemment ou non, par certains de nos propos, aux drames qui hantent la vie de tellement de familles.

Avec mon respect et mon amitié

Oscar Fortin
740, Ave Québec
Québec (Qué)
G1S 2X5

http://humanisme.over-blog.com/article-1269670.html
http://humanisme.over-blog.com/article-1922506.htmlobre 2006



3 commentaires:

Anonyme a dit...

Monsieur Fortin,

Je croyais que cette lettre ouverte à monsieur Lucien Bouchard serait beaucoup plus virulente qu'elle ne l'est en réalité. Et je vous avoue que je m'en réjouie.

Il est vrai que, lorsque monsieur Bouchard parle, il attire presque toute l'attention des médias. Il a une crédibilité et un charisme peu communs. Chose certaine, aucun politicien actuel, incluant l'inéfable Jean Charest, cela va de soi, ne peut se targuer de posséder un tel ascendant...

Je suis complètement d'accord avec vous, lorsque vous écrivez: «« Alors pourquoi, pour expliquer la dette, ne pas parler directement des problèmes de gestion et d’administration, des choix politiques, économiques et sociaux inappropriés, d’abus de pouvoir dans certains cas, de classes sociales peu préoccupées du bien commun de l’ensemble de la société plutôt que de ramener le tout à notre génération plutôt égoïste, irresponsable et peu soucieuse de l’héritage à laisser à ses enfants ? Vous serez d’accord pour dire avec moi qu’une Société ne saurait se ramener à une « génération ». Elle est essentiellement faite de toutes les générations qui lui sont contemporaines »».

Par contre, même si l'intervention de monsieur Bouchard n'a pas été des plus habiles, je pense qu'il faille l'analyser dans sa finalité et non pas à partir des sabots qui l'ont amenée à notre connaissance. En effet, malgré les constats de plus en plus nombreux, les condamnations de quelques coupables, la fraude et l'escroquerie ont encore pignon sur rue dans nos administrations publiques, quelque soit le palier où elles se situent: selon moi, un coup de barre s'impose et ça presse. Une sortie comme celle que vient de faire Lucien Bouchard ne peut faire autrement que de fouetter le contribuable québécois. D'ailleurs, les réactions qui ont suivi cette entrevue de monsieur Bouchard en font une démonstration fort probante.

Il faut provoquer le débat, même si ça peut faire mal en passant. Ces « dommages collatéraux » sont bien minimes, surtout lorsqu'on les compare à ceux que crée un criminel tel que G. W. Bush en assouvissant sa soif intarrissable de faire la guerre...de tuer pour tuer...de tuer pour du pétrole et les quelques compagnies américaines qui en tirent leurs profits. À ma manière et dans une mesure beaucoup plus humble et effacée, je fais partie de ceux qui aiment provoquer les débats. Non pas le débat en tant que fin en soi, mais comme véhicule privilégier pour permettre à un groupe donné, voire même à une collectivité de s'esprimer, de se questionner sur son présent et ce, avec son avenir comme toile de fond. Mes interventions pour que ces discussions se concrétisent n'ont pas toujours été des plus heureuses ni des plus habiles, mais elles ont toujours été faites de bonne foi. Elles ont aussi atteint leur fin dans la grande majorité des cas.

Il m'est donc difficile de critiquer monsieur Bouchard sur le fond de l'entrevue qu'il a accordée à TVA. Je reconnais cependant que cette intervention de monsieur Bouchard n'a pas été l'une de ses plus habiles. Mais, malgré cela, le propos ne m'a pas choqué, loin de là. D'ailleurs, les commentaires provenant de « l'estrade politique » étaient beaucoup moins virulents en cette fin de semaine qu'ils ne l'ont été au lendemain de l'entrevue. Non seulement ces commentaires éaient-ils plus concilliants, mais plusieurs d'entre-eux allaient même, de façon réservée, jusqu'à donner raison à monsieur Bouchard: il n'était donc plus question de le crucifier comme ça semblait être le cas au début de la semaine. Quant à votre souhait d'une identification de celles et ceux qui se sont empli les poches à nos dépends, je pense qu'elle sera l'objet d'une future intervention de monsieur Bouchard. Et avec les réactions qu'il a suscitées de toutes parts cette semaine,je serais très étonné qu'il attende longtemps avant d'intervenir à cet égard.

Je vous souhaite un bon dimanche,

André Tremblay.

Oscar Fortin a dit...

C'est avec grand intérêt que j'ai lu votre commentaire. Vous avez choisi la sagesse plutôt que l'émotion, la prudence plutôt que la provocation. Je souhaite, tout comme vous, que Monsieur Bouchard aille plus loin que provoquer un débat, mais s'y inscrive en y apportant d'autres commentaires et en réagissant aux interventions que ses propos suscitent. Il a à son avantage cette vitrine extraordinaire des medias, mais en même temps cette responsabilité qui l'oblige à bien mesurer ses interventions. J'espère qu'il ne réservera pas ses principales interventions au parterre sélecte des étudiants de l'Université McGill. Je pense qu'il y a beaucoup d'organismes, populaires et syndicales, et de milieux universitaires qui seraient heureux d'échanger avec lui sur ces questions. Un contact, quoi, avec un monde plus largement représentatif du Québec.

Anonyme a dit...

Monsieur Fortin,

C'est justement l'ampleur des réactions qu'a suscitées son intervention qui me fait croire qu'il reviendra sur ce sujet, afin de précisier ses propos. Il a la réputation d'être un homme de devoir et j'y crois. Pour cette raison, il interviendra.

Quoiqu'il en soit, il aura fait couler beaucoup d'encre et de salive cette semaine. Peu de politiciens, qu'ils soient Québécois, Canadians ou Américains peuvent se vanter d'avoir un tel impact sur la société québécoise. De quoi rendre encore plus furieux « la belle-mère » jalouse et « Me, Myself and I » du P.Q. Jacques Parizeau!

Passez une Sainte journée,

André Tremblay.