samedi 30 avril 2005

BENOÎT XVI: SUCCESSEUR DE PIERRE

BENOÎT XVI : SUCCESSEUR DE PIERRE

Benoît XVI succède d’abord et avant tout non pas à Jean-Paul II mais à Pierre, celui à qui Jésus a confié le mandat d’être le bon pasteur de son Église. Mais ce Pierre qui est-il vraiment ?

Il est évidemment celui qui, le premier, a su reconnaître en Jésus le Fils de Dieu. (Mt.16, v.16) « Heureux es-tu Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est au Cieux. » (Mt. 16, v. 17) Cette profession de foi, relevant totalement du Père, lui vaut cette consécration qui en fera la pierre d’angle sur laquelle Jésus bâtira son Église et contre laquelle la Puissance de la mort n’aura pas de force. (Mt. 16, v 18-19)

Il est également celui qui s’est mis au service de Satan en voulant empêcher Jésus d’aller à Jérusalem pour y souffrir de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes. Cette attitude, en soi louable, lui a toutefois valu les réprimandes acerbes de la part de Jésus. Cette scène, très peu commentée, mérite, me semble-t-il, d’être rappelée en son entier. Elle rappelle que rien n’est acquis de façon définitive.

« À partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour , ressusciter. Pierre le tirant à part, se mit à le réprimander, en disant : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera pas. » Mais lui se retournant, dit à Pierre : « Retire-toi ! Derrière moi Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt. 16, 21-23)

De toute évidence, personne n’échappe aux tentations de ce monde et à l’action de Satan, même pas Pierre qui vient pourtant d’être consacré pierre d’angle de l’Église.

Il est aussi celui qui a trahi Jésus après lui avoir juré que « même si tous tombent à cause de toi, moi je ne tomberai jamais…même s’il faut que je meure avec toi, non, je ne te renierai pas. » (Mt. 26, vv33-35) Pourtant, le coq n’avait pas chanté encore trois fois que déjà il avait trahi son maître à trois reprises.

Il est enfin celui dont la parole seule n’est plus suffisante pour convaincre Jésus de son amour. Il doit s’en remettre entièrement à ce dernier : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t’aime. » (Jean, 21, v.17)

Ces mises en scène des diverses attitudes de Pierre rappellent que le mandat de ce dernier et de ceux qui lui succèderont repose avant tout sur l’accueil de la Volonté du Père, sur l’affranchissement des pouvoirs de ce monde et enfin sur l’humilité et l’indulgence. À l’exemple de Pierre, tous doivent se rappeler qu’ils ne succèdent pas à Jésus, toujours présent et Tête vivante de son Église. Il est toujours là avec son Esprit pour veiller au grain et à sa croissance. Il sait l’amour que chacun lui porte.

Oscar Fortin

samedi 23 avril 2005

LE CANADA ET LA COMMISSION INTERNATIONALE DES DROITS DE L'HOMME

Le scandale des commandites, la mort du Pape et l’élection de Benoît XVI ont laissé peu de place dans les medias pour commenter et analyser les positions adoptées par le Canada à la Commission internationale des Droits de l’homme.

Si le Canada a voté avec les Etats-Unis pour condamner nommément Cuba, il s’est par contre abstenu de s’allier à ce dernier pour demander « que le Groupe de travail sur la Détention arbitraire, le Rapporteur spécial sur la Torture, le Rapporteur spécial sur le Droit de toute personne à la jouissance du niveau le plus haut possible de santé physique et mentale et le Rapporteur spécial sur l’indépendance de juges et d’avocats, déterminent sur le terrain la vérité de graves accusations qui pèsent aujourd’hui sur le gouvernement des Etats-Unis à cause de leurs actes contraires aux droits de l’homme et à la dignité des prisonniers qu’ils gardent à Guantánamo. » Granma international.

GENEVE (AP) – « La Commission des droits de l'Homme des Nations unies a débouté Cuba jeudi de sa demande d'enquête sur les conditions de détention au camp pour terroristes présumés de la base américaine de Guantanamo, située à Cuba. Huit des 53 pays membres ont soutenu la résolution, contre 22 qui s'y sont opposés et 23 qui se sont abstenus. Le texte voulait obliger le gouvernement américain «à autoriser une mission impartiale et indépendante à enquêter sur les faits» à Guantanamo. Aux côtés de Cuba s'étaient ralliés la Chine, le Zimbabwe, l'Afrique du Sud, le Soudan, la Malaisie, le Guatemala et le Mexique, soulignant «les inquiétudes sérieuses» exprimées par des experts onusiens sur la situation des prisonniers de Guantanamo. »

Pourtant un rapport remis à l'ONU en mars dernier souligne de graves manquements des Etats-Unis au respect des droits de l’homme en Afghanistan et en bien d’autres endroits dans le monde. En voici quelques extraits :

"Les forces de la coalition doivent arrêter de se placer au dessus de la loi", estime ainsi l'expert dans son rapport, en citant notamment des "sévices sexuels, passage à tabac, actes de tortures et utilisation de la force ayant entraîné la mort, dénuement forcé, aveuglement, privation sensorielle..."

En plus de leur caractère illicite et condamnable, ces pratiques "sapent la réalisation du projet national" et "créent un climat politique défavorable qui risque de faire échouer le processus de paix", déplore-t-il.

M. Bassiouni dénonce également le flou et l'impunité dont profitent les "sociétés de sécurité privées" occidentales qui assistent les forces de la coalition et l'armée afghane sur le terrain.

Ces sociétés privées, toute comme les forces de la coalition, "détiendraient des individus" dans des endroits non localisés", et donc hors de tout contrôle.

"Selon les estimations d'ONG internationales, plus de 1.000 personnes ont été placées en détention, souvent après avoir été arrêtées avec un recours à la force excessif et sans discernement", écrit M. Bassiouni, en regrettant que la coalition continue de lui d'interdire l'accès à ses prisons. »

Il n’est pas surprenant, dans pareilles circonstances, que le Canada perde de plus en plus de sa crédibilité et apparaisse de plus en plus comme le pantin de son puissant voisin du sud. Si scrupuleux à l’endroit de Cuba, ennemi à abattre des Etats-Unis, et si froid à l’endroit des agissements internationaux de son puissant voisin du sud, il fait preuve de peu de profondeur dans ses valeurs et de grande dépendance dans ses intérêts. Je ne pense toutefois pas que ce soit là l’expression de la volonté des canadiens, pas plus d’ailleurs que de la démocratie qui nous inspire. Sur le plan des croyances profondes, il n’y a pas de place pour l’usage du deux poids, deux mesures. Cet usage fait de nous des hypocrites.

J’ai honte de mon pays lorsqu’il se prostitue et sacrifie ce qu’il y a de plus profond comme valeurs de liberté et d’indépendance.


Oscar Fortin

vendredi 22 avril 2005

BENOÎT XVI À L'HEURE DE LA MATURITÉ DANS LA FOI

L’arrivée de Benoît XVI comme successeur de Pierre et pasteur de l’Église m’a plutôt laissé avec un goût amer et une profonde déception. À l’exemple de nombreux chrétiens et pasteurs, je me suis recueilli pour prier dans l’espoir d’y entendre l’Esprit Saint, âme de l’Église, de même que le Ressuscité, Tête bien vivante du Corps que nous formons tous, me faire comprendre où pouvait bien nous conduire ce choix.

Un peu comme pour les cardinaux au Conclave, une lumière s’est faite en moi et une première réponse m’est venue de Benoît XVI lui-même, plus particulièrement de l’homélie qu’il prononça à l’entrée du Conclave et que nous rapportait Le Devoir du 20 avril :

Nous ne devrions pas rester des enfants dans la foi, comme des mineurs ? Que signifie ne pas rester des enfants ? Paul dans sa lettre aux Éphésiens répond à cette question : « Ainsi nous ne serons plus des enfants, ballottés, menés à la dérive, à tout vent de doctrines, joués par les hommes et leur astuce à fourvoyer dans l’erreur. Mais, confessant la vérité dans l’amour, nous grandirons à tous égards vers celui qui est la tête Christ. Et c’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour. » Éphésiens, ch. 4, 14-16

Cette référence au texte de Saint Paul que cite Benoît XVI dans ses premiers versets mais que j’ai cité en entier pour la circonstance, nous rappelle que le Christ tête est celui qui distribue les dons et les activités selon la mesure de chacun. Il nous dit que la foi qui nous habite est celle qui nous incite à prendre nos responsabilités dans la vérité et dans l’amour selon la mesure de la grâce de Dieu en chacun de nous. Ainsi, être adulte dans la foi c’est d’abord et avant tout être attentif à cette foi, don de Dieu, que nous portons en nous et qui guide notre vie. Les doctrines et les idéologies, les convictions fondées davantage sur les astuces d’hommes plus préoccupés de pouvoir et de manipulations que du témoignage de Jésus venu d’abord et avant tout pour les pauvres, les pécheurs, les humbles, les laissés pour compte et pour toutes les personnes de bonne volonté ne doivent pas nous distraire des impératifs que la foi fait naître en chacun de nous.

J’ai alors compris, à la lumière de cet extrait de Paul, que l’arrivée de Benoît XVI allait nous obliger à prendre en main notre propre foi et à l’assumer, avec la grâce de Dieu, au meilleur de notre conscience.

La deuxième réponse m’est venue d’un courriel de Top Chrétien.com, fait inusité et quelque peu providentiel dans les circonstances. Jamais par le passé je n’avais reçu ce type de courriel:

Ephésiens 3.17-20.
« Que le Christ habite dans vos coeurs par la foi! Plongez vos racines dans l’amour et soyez solidement construits sur cet amour. Alors vous serez capables de comprendre avec tous les chrétiens la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de l’amour du Christ. Vous connaîtrez cet amour qui dépasse tout ce qu’on peut connaître. Vous recevrez toute la vie de Dieu, et il habitera totalement en vous. Dieu agit en nous avec puissance. Et quand nous lui demandons quelque chose, il peut faire beaucoup plus! Oui, sa puissance dépasse tout ce qu’on peut imaginer! »

Là encore, la réponse est à l’effet que nous devons assumer notre propre foi, les décisions qu’elle nous inspire et nous fait vivre dans la sérénité et l’amour. Nous ne devons plus attendre, comme un enfant, qu’on nous dise quoi faire, quoi penser, quoi dire. L’heure de la maturité dans la foi est arrivée. Il appartient dorénavant à la conscience de chacun, habitée par le Christ et son Esprit, d’être le guide de sa vie. Il est évidemment du devoir de chacun de s’informer, de méditer les attitudes du Christ dans son milieu de vie, d’être à l’écoute de la parole de ses pasteurs, de celle de ses prophètes d’hier et d’aujourd’hui, de prendre en considération les divers enseignements de ses théologiens et docteurs, de se laisser inspirer par le témoignage de vie d’hommes et de femmes de bonne volonté. Ainsi, soucieux de toujours plus d’amour dans la vie et de vérité avec soi-même et les autres chacun prendra les décisions les mieux éclairées et les plus conformes à sa situation. Personne d’autre ne peut agir à sa place. C’est sans doute pour ces motifs que Jésus a, maintes fois, insisté pour que nous ne jugions pas, même pas la prostituée Marie Magdeleine. Il a également insisté sur le fait qu’Il se réservait le pouvoir et la responsabilité de départager, lors du jugement dernier, le bien et le mal. Il nous invite à attendre le temps de la moisson pour départager le bon grain du mauvais.

Ainsi, faut-il croire que l’Esprit Saint a choisi, non sans l’aide active d’une majorité de cardinaux, Benoît XVI comme pasteur universel de l’Église pour nous forcer à assumer nos propres responsabilités et à devenir matures dans la foi ? Comme l’écrivait Louis O’Neill dans un article publié dans le journal Le Soleil du 20 avril : « Le pape est garant de l’unité ecclésiale, mais il n’a pas pour mission d’imposer l’uniformité. L’Esprit Saint intervient à tous les échelons de la vie ecclésiale—et dans toutes les confessions chrétiennes—à la manière d’un vent dont on ne sait pas d’où il vient et où il va. »

Cette réponse, obtenue dans la prière, m’a réconcilié avec cette nomination qui est une occasion nouvelle donnée à tous les croyants de devenir adulte dans la foi. Temple de l’Esprit Saint, chacun dispose du nécessaire pour aller de l’avant dans la confiance et la liberté des enfants de Dieu. N’entrons-nous pas ainsi dans une ère nouvelle où se confirme cette prophétie de Jérémie :

« Quand arrivera le temps, je réaliserai avec mon peuple une autre alliance :Je mettrai ma Loi en son intérieur, je l’écrirai dans leurs cœurs. Je serai leur Dieu et il sera mon peuple. Ils n’auront plus à s’enseigner mutuellement se disant les uns aux autres : connaissez Yahvé. Ils me connaîtront déjà tous, du plus grand au plus petit. »

Oscar Fortin, théologien

lundi 11 avril 2005

UN PAPE POUR UNE ÉGLISE VIVANTE


L’Église, telle que nous la connaissons aujourd’hui, met particulièrement en évidence les personnages qui y occupent des postes de direction : le Pape, les Cardinaux, les Évêques, les prêtres et bien évidemment quelques uns des témoins dont les engagements de vie sont tout à son honneur : ceux que nous appelons les bienheureux et les saints. Les baptisés figurent également sur la liste, mais beaucoup plus comme des disciples à l’écoute de leurs pasteurs. Ils sont perçus, plus souvent que moins, comme des consommateurs de la sacramentalité, des croyants en une doctrine et des pratiquants d’une morale de vie.

Le Christ et l’Esprit Saint sont évidemment présents dans cette Église, mais leur présence, à l’ombre des dirigeants, va de haut en bas, c’est à dire du Pape aux baptisés en passant par les Évêques et les prêtres. Leurs initiatives demeurent encadrées par la voie hiérarchique qui en assure l’orthodoxie. S’il y a des voix discordantes ou prophétiques qui se font entendre en dehors des voies officielles, elles seront rarement perçues comme inspirées par Jésus de Nazareth ou l’Esprit Saint. D’ailleurs nous vivons en un temps où il semble n’y avoir que très peu de prophètes. Plus de 40 ans après Vatican II, force est donc de constater que l’Église, communauté de tous les croyants en Jésus de Nazareth, n’est pas parvenue à s’imposer à une Institution encore fortement centralisée, plus préoccupée de doctrine et de morale que d’Évangile. Son appel à la conversion est plus souvent en fonction d’un retour à la pratique religieuse et à l’Institution qu’à une remise en question de notre manière d’être dans le monde.

Au moment où on se prépare à élire le successeur de Pierre, il n’est pas superflu de remettre en évidence les principales caractéristiques de l’Église telle qu’elle a pris naissance dans les premières communautés chrétiennes.

« Il y a un seul Corps et un seul Esprit…À chacun…la grâce a été donné selon la mesure du don du Christ…Et c’est Lui qui a donné certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres encore comme évangélistes, d’autres enfin comme pasteurs et chargés de l’enseignement… C’est de lui que le Corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour. » (Éphésiens. 4,4-16)

Il est donc évident que l’Esprit et le Christ sont au centre de l’Église et qu’Ils y occupent la toute première place. Ce sont eux qui distribuent les tâches et les dons de manière à ce que ce Corps croisse et se développe dans l’amour. Sans diminuer en rien la responsabilité des apôtres (Pape, évêques, prêtres), ces derniers n’ont pas le monopole de l’action de l’Esprit Saint qui agit au cœur de l’Église. Ainsi, personne, hors le Christ et son Esprit, n’a ce monopole de la pensée et de l’action de l’Église. Il y a là une autonomie de foi et de vie qui échappe à tout contrôle absolu de l’extérieur. C’est d’ailleurs dans cette autonomie de foi et de vie que se développent la conscience humaine et la responsabilité personnelle et communautaire.

Il y a donc une première conclusion à tirer de cette dynamique de l’action de Dieu dans l’Église : TOUS DOIVENT ÊTRE OUVERTS ET ATTENTIFS À CETTE ACTION QUI S’EXPRIME À LA FOIS PAR LES PASTEURS, PAR LES PROPHÈTES, PAR LES ÉVANGÉLISTES, LES ENSEIGNANTS, LES BAPTISÉS ET TOUTE PERSONNE DE BONNE VOLONTÉ. Il ne fait aucun doute que le prochain Pape devra être en mesure de témoigner de ces dons de Dieu qui se manifestent un peu partout dans le monde et d’être en mesure d’inviter tous les croyants et les personnes de bonne volonté à être à leur écoute. La voix des anathèmes et des condamnations devrait normalement laisser plus de place au « mea culpa », non pas seulement pour les siècles passés mais aussi pour les temps présents.

Une deuxième conclusion s’impose d’elle-même : Toutes les questions de morale trouvent ultimement leur réponse dans la conscience responsable de chaque croyant. Chacun sait répondre au meilleur de sa connaissance et selon le don de Dieu aux défis que la vie lui apporte. Que ce soit des questions sur la vie, la mort, la contraception, le divorce et tout ce qui peut se présenter, chacun est ultimement seul à discerner sa propre réalité et ce qui répond le mieux au sens du bien dans tel ou tel cas. À ce sujet, Jésus a une parole sans équivoque : ne jugez pas et il ajoute pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté qu’il est venu pour les malades et non pour ceux qui sont en santé. En ce sens le prochain Pape devrait être en mesure de reporter au niveau de la conscience personnelle et de l’Esprit Saint présent dans le cœur des croyants la responsabilité des décisions à prendre sur les questions de l’Euthanasie, de l’avortement, du mariage des personnes du même sexe, de la contraception, finalement de tout ce qui interpelle le monde contemporain. Si elle donne des orientations sur le caractère absolu de certaines valeurs comme le bien, le mal, la vie, la mort, le vrai, le faux, elle en laisse la gestion à la conscience personnelle de chacun qui chemine dans la relativité des conditions d’existence. La présence de l’Esprit Saint dans leur vie, aussi réelle et efficace que celle présente dans le conclave, saura aider chacun à faire la part des choses et à défaut de s’y conformer selon les impératifs de leur conscience à en reconnaître les faiblesses.
La troisième et dernière conclusion qui se dégage porte sur une nécessaire décentralisation de l’Institution qui se doit d’être davantage préoccupée d’Évangile que de doctrine, de manière d’être que de morale, de solidarité et d’ouverture d’esprit que de discipline et de pratique religieuse. Nos églises de pierres pourront tomber, mais celles faites de chair ne feront que croître. Le prochain Pape devra croire pleinement au Ressuscité et en l’Esprit Saint, tous deux très présents dans le monde ainsi qu’à leur action dans les Églises locales et dans le cœur de tous les chrétiens et de toutes les personnes de bonne volonté. Il saura ainsi leur laisser toute la place qui leur revient. Ainsi agissa Pierre avec Paul et toutes les initiatives qui surgissaient sous l’action de l’Esprit Saint dans les premières communautés chrétiennes.


Oscar Fortin





vendredi 1 avril 2005

JEAN-PAUL ll :HOMME AUX MULTIPLES FACETTES

Jean-Paul II laisse un héritage dont la véritable portée se mesurera dans les années à venir. Sa conception de l’Église et de l’unité des chrétiens tout autant que celle du monde et de sa libération alimenteront pour encore longtemps historiens et théologiens, Sa forte personnalité, ses convictions profondes et son sens de la communication en ont vite fait un personnage central à la croisée des deux siècles. Associé à la chute de l’Union soviétique et à la fin des régimes communistes dans les pays de l’Est tout autant qu’à la mise au pas des évêques et des prêtres engagés dans l’action inspirée par la théologie de libération en Amérique latine, ses prises de position politique ne sont pas sans soulever de nombreuses interrogations. Certains n’hésitent pas à parler de deux poids deux mesures selon que la lutte porte sur l’élimination du communisme dans les pays de l’est ou selon qu’elle porte sur la mise au pas des théologiens de la théologie de la libération et des mouvements qu’elle inspire particulièrement en Amérique latine.

Ses interventions en Pologne ont été autant d’appuis au regroupement des classes ouvrières et à l’action des chrétiens pour se défaire du régime communiste. Ses nombreux voyages dans sa terre natale et ses appuis sans équivoques à Lech Walesa et Solidarnosc en témoignent amplement. Nous y voyons un Jean-Paul II engagé et mobilisateur, aucunement préoccupé des frontières entre l’action ecclésiale et l’action politique. Le ton et les références ne sont pas à l’effet de travailler d’abord et avant tout à la conversion des cœurs et au respect de l’ordre établi mais bel et bien de faire valoir l’importance des libertés fondamentales et l’obligation de lutter pour les faire respecter. Il n’a pas manqué d’initiatives pour soutenir ce mouvement et tous ceux qui s’y engageaient. Nous connaissons les résultats de cette action menée avec courage et détermination. Elle a débordé les frontières de la Pologne pour s’étendre à tous les pays sous l’emprise de l’Union Soviétique. La chute du mur de Berlin en est un symbole historique.

Cette lutte anti-communiste de Jean-Paul II a vite rejoint les préoccupations anti-communistes des administrations étasuniennes des années 1980 en Amérique latine, particulièrement celle de Reagan. Il a vite été perçu comme un allié potentiel. Sa visite au Nicaragua nous rappelle cette réprobation, à sa descente d’avion, faite au père Ernesto Cardenal , alors ministre de la Culture dans le gouvernement sandiniste. Ce dernier, ancien moine, prêtre et poète bien connu participe avec trois autres prêtres au gouvernement sandiniste. Après avoir renversé le dictateur Somoza, allié de l’administration étasunienne, ce jeune gouvernement s’attaque à des réformes visant un changement profond de nature à enrayer la pauvreté et à développer une plus grande justice sociale. Les « Contras », bras armé de Washington ne lui laisse pas grand répit.
C’est donc avec beaucoup d’espoir que le peuple nicaraguayen attendait la visite de ce pape qui n’avait pas craint de s’allier à Solidarnosc pour combattre les puissants des pays de l’Est. Mais plutôt que de condamner avec force et sans ambiguïté l’action terroriste des « Contras » et à faire appel à la nécessité d’une plus grande justice social, il s’évertue à faire ressortir les dangers de systèmes politiques qui privent le peuple de sa liberté et le soumettent à des programmes athées ou à un matérialisme pragmatique qui lui enlève sa richesse transcendantale. Il assimile ainsi le gouvernement sandiniste, intégré par quatre prêtres et plusieurs croyants, à un gouvernement porteur du germe de l’autoritarisme et de l’athéisme. C’est ainsi que Jean-Paul II ouvre le dialogue avec ce jeune gouvernement désireux de plus grande justice sociale dans une partie du monde où la pauvreté et l’exploitation sont les plus criantes. Depuis lors nous avons eu accès à tous les dessous de ce qui a été défini comme le scandale de l’Irangate.

Au Salvador, le sort de, Mgr Oscar Romero assassiné par les militaires alors qu’il célébrait la messe n’a guère soulevé de façon percutante les réactions du Vatican. Cet assassinat n’était pas un acte gratuit mais bel et bien un acte prémédité contre une figure qui dérangeait dans ce petit pays dominé par l’oligarchie et contrôlé par les Etats-Unis. D’ailleurs, peu de temps avant, il s’était présenté à Rome avec un rapport étoffé sur les assassinats et les conditions de vie dans le pays. Toujours est-il que Jean-Paul II et le Vatican se sont fait alors bien discrets sur ce rapport et l’héroïcité de cet Évêque. On n’en a pas fait un martyr et encore moins un candidat à la sainteté.

Dix années plus tard, le 16 novembre 1989, ce sera au tour du recteur de l’université des jésuites (UCA) ainsi que six de ses collègues et deux employés laïcs d’être assassinés par une vingtaine de militaires commandités par le gouvernement salvadorien et Washington. En d’autres circonstances et dans d’autres lieux ces morts seraient vite devenus des martyrs et des saints. À Rome, le saint-père a plutôt exprimé beaucoup de peine et « assuré de sa prière ces âmes dont il souhaite que leur sacrifice n’ait pas été en vain, mais qu’il soit le germe de l’amour fraternel et de paix pour ce pays martyrisé d’El Salvador. » Nous sommes loin de la condamnation des assassins et du régime de terreur qui les soutient.

Qui ne se souvient de sa visite à Santiago du Chili, alors sous le régime dictatorial du général Pinochet. Le monde s’attendait à une condamnation sans équivoque des tortures, des assassinats et de la privation des libertés fondamentales. Jean-Paul II s’est plutôt fait réconciliateur. Il s’est présenté en compagnie de Pinochet lui faisant l’honneur de sa bénédiction. Si ce n’eût été du courage d’une jeune femme pour dénoncer devant le Saint Père et le monde entier, lors de la messe papale, les assassinats, les tortures, les emprisonnements arbitraires et les manquements aux droits humains, ces sujets n’auraient pas percé le petit écran de millions de foyers dans le monde. Là aussi des chrétiens et des prêtres ont été assassinés pour leur foi en l’Évangile des pauvres. Ne mentionnons que ce missionnaire français, le père Dubois, tué d’une balle à la tête en provenance d’un militaire alors qu’il lisait sa bible dans sa petite résidence située dans un bidonville de Santiago.

Cette attitude de Jean-Paul II, plutôt contrastante d’avec celle observée en Pologne, et peu évoquée dans les présents reportages, reposerait-elle sur une entente tacite intervenue entre le Vatican et Washington ? Le père Pedro Miguel Lamet, jésuite et historien, rapporte dans son livre biographique « Jean-Paul II, le Pape aux deux visages » (Éditions Golias, 1998, p. 371)) une rencontre entre Jean-Paul II et l’homme de la CIA, Vernon Walters. Ce dernier raconte que « lors de cette rencontre, en date du 30 novembre 1981, ils parcoururent la géopolitique du monde et parlèrent de la théologie de la libération qui se répandait en Amérique centrale. Tous les deux se sont mis d’accord pour que les Etats-Unis et le Saint-siège s’emploient à exercer leur pouvoir afin d’empêcher son développement. »

Si une telle alliance s’avérait fondée elle expliquerait tout autant les silences du Vatican sur les régimes répressifs des militaires en Amérique latine que ses condamnations répétées de la théologie de la libération et de ceux qui s’en inspiraient. Bien sur on dira que le Pape a condamné le capitalisme et le communisme et fait appel à plus de justice sociale…. Mais ce qu’il faut voir ce sont les dispositifs mis en place par l’Institution ecclésiale pour contrer ces injustices et ces excès. Le Pape a condamné le blocus américain maintenu sur Cuba, comme il l’a fait également pour la guerre en Irak. Cependant dans un cas comme dans l’autre l’ensemble des leviers institutionnels n’ont pas été mis à contribution comme ils l’ont été pour lutter contre les meures contraceptives, le mariage des personnes de même sexe et la lutte contre le communisme. Encore tout récemment, au moment où l’administration Bush durcissait ce même blocus, il acceptait du Président américain la médaille de la liberté. De quoi faire réfléchir sur cette liberté partagée par le Vatican.

Au moment où cet homme nous quitte et que les cardinaux s’interrogent sur celui qui lui succèdera, l’évocation de ces prises de position contradictoires doit rappeler à tous que la liberté dont jouit le véritable prophète vient de Dieu et qu’elle fait bien mauvais ménage avec les compromis liés au pouvoir des puissants. Il en va de la crédibilité et de la catholicité même de l’Église, dans sa mission évangélisatrice et prophétique. Il est important que les pauvres de la terre et toute personne de bonne volonté puissent compter sur une parole et un engagement de l’Église qui ne soient pas dictés par les puissants de ce monde. La parole de l’Église doit être une parole signifiante pour tous les peuples de la terre et non pour quelques uns seulement.

Oscar Fortin
Note : Le lieutenant général Vernon Walters, de la CIA, a eu une longue entrevue avec le pape. Cette entrevue se trouve relatée dans les moindres détails dans le livre de Malinski, C. Berstein et M.Politi, Sumo Pontifice, pp. 334-344 .

« Walters étudie comment le pape peut être utile pour les Etats-Unis et pour l’Administration Reagan, notamment sur les questions concernant l’Amérique Centrale, le Proche-Orient, le terrorisme, le contrôle des armes et les affaires liées aux mœurs dans les affaires publiques. Walters est convaincu que le pape est un excellent conbustible pour les avions américains. »