samedi 31 octobre 2015

« SI LA BAGARRE EST INÉVITABLE, IL FAUT FRAPPER LE PREMIER »


POUTINE EST À PRENDRE AU SÉRIEUX




Ce serait une grave erreur pour l’Occident et ses dirigeants de ne pas prendre au sérieux ce que dit Poutine. Il n’est pas du genre à parler pour ne rien dire. Ce qu’il a à dire, il le dit sans élever le ton et sans effet oratoire. Les mots sont pesés, les pensées sont claires et ses intentions sont sans équivoque. On se souviendra de son intervention, l’an dernier, à la rencontre de Valdaï, où il avait précisé les défis à relever de la part des puissances qui conditionnent les destinées de ce monde.

« …le monde s'est engagé dans une époque de changements et de mutations profondes, époque où nous devons tous faire preuve d'un degré élevé de prudence et d'une capacité à éviter les démarches irréfléchies".

Cette année, à l’occasion de sa rencontre avec les experts internationaux, réunis à Sotchi pour la XIIe édition du club de discussion de Valdaï, il a de nouveau pris la parole dans un contexte où les problèmes semblent s’accentuer plutôt que de diminuer. Le conflit en Ukraine n’est toujours pas résolu. En Syrie, le droit international de l’État syrien est toujours bafoué par la coalition occidentale qui ignore la souveraineté et l’indépendance du peuple syrien. Elle recrute, forme, arme et finance une soi-disant armée de libération syrienne (ALS) pour lutter contre l’armée syrienne et le gouvernement de Bachar Al-Assad. Pendant ce temps, les terroristes de l’État islamique étendent leur influence et leur domination sur le territoire syrien et, au lieu de disparaître sous les frappes de la coalition occidentale, ils se sont renforcés. Ce fut à tout le moins le cas jusqu’à ce que la Russie intervienne en réponse à l’appel du président Bachar Al-Assad.

« Les États-Unis possèdent un grand potentiel militaire, mais il est toujours difficile de mener un double jeu : lutter contre les terroristes et en même temps en utiliser certains pour poser des pions sur le damier du Moyen-Orient dans leur propre intérêt. Il est impossible de vaincre le terrorisme si l’on utilise une partie des terroristes comme un bélier pour renverser des régimes que l’on n’aime pas. On ne peut pas ensuite se débarrasser de ces terroristes. C’est une illusion de croire qu’on pourra les chasser du pouvoir. Le meilleur exemple nous est donné par la situation en Libye. On espère que le nouveau gouvernement pourra stabiliser la situation, mais ce n’est pas le cas pour l’instant ».

Ce double jeu des États-Unis et de ses alliés agace d’autant plus Vladimir Poutine qu’il rend pratiquement impossible toute action concertée pour se libérer de l’État islamique et du terrorisme, quelle que soit la forme qu’il prend. Il n’y a pas, comme il le dit dans une autre partie de son intervention, un terrorisme modéré et un terrorisme cruel. Dans les deux cas on tue et l’on assassine, faisant fi de tout droit et de toute loi.

« «Il ne faut pas diviser les terroristes entre modérés et non-modérés. On voudrait savoir la différence. Les experts disent que les terroristes «modérés» décapitent les gens de façon modérée ou tendre»

Deux conflits majeurs permettent de cerner avec précision ce qui sépare l’approche de la Russie de celle des États-Unis et de L’Europe.

En Ukraine, la Russie a toujours soutenu que le conflit en est un entre le Donbass et le gouvernement central de Kiev. Il appartient donc au gouvernement de Kiev de reconfigurer la constitution en concertation avec les gouvernements du Donbass (Donetsk et Lougansk) de manière à respecter leurs particularités culturelles et leur autonomie comme peuples. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en est arrivé Minks2. À ce jour Kiev se résiste à cette concertation assurant un statut particulier pour cette région du sud-est de l’Ukraine.

Les États-Unis, n’ayant pas participé directement à ces négociations de Mink2 n’en continue pas moins à apporter leur soutien au gouvernement central de Kiev en lui fournissant des armes et en formant des soldats pour lutter contre les populations du Donbass.

En Syrie, la Russie reconnaît la légitimité de l’État syrien ainsi que celle de son président, Bachar Al-Assad. C’est d’ailleurs à l’invitation de ce dernier que la qu’elle intervient pour lutter contre les terroristes de l’État islamique qui n’ont rien à voir, comme tel, avec le peuple syrien. Par contre, les groupes armés, d’une soi-disant opposition syrienne, profitent de la présence de l’État islamique pour accentuer leurs actions contre l’armée régulière et le gouvernement de Bachar Al-Assad. À plusieurs reprises, la Russie a demandé aux États-Unis qui l’accusent de bombarder cette armée de l’opposition qu’ils soutiennent en armements, en formation et en argent de leur fournir la liste des positions de l’ALS. Tout ceci pour éviter de les prendre pour cibles. Cette requête est demeurée sans réponse. Pour la Russie, Il appartiendra à l’armée régulière syrienne de les combattre ou aux responsables politiques des deux groupes en litige de résoudre entre eux, leurs différents. Pour Moscou, ce sera toujours le peuple syrien qui devra avoir le dernier mot concernant le choix de ses dirigeants et le régime politique de l’État.

Quant aux États-Unis et ses alliés, ils ne reconnaissent pas la légitimité du gouvernement dirigé par Bachar Al-Assad et n’en tiennent aucunement compte dans leurs interventions en Syrie. Ils recrutent des mercenaires d’un peu partout à travers le monde pour grossir les rangs de l’ASL. Cette opposition armée n’est en rien comparable avec les combattants du Donbass, en Ukraine. Dans ce dernier cas, ce sont les populations locales, soutenues par leurs gouvernements régionaux, qui réclament un statut spécial qui respecte leur particularité culturelle et ethnique.

Il est évident que les approches ne sont pas du tout les mêmes et que les fondements qui les soutiennent ne répondent pas aux mêmes principes.

Pour la Russie, il est prioritaire de respecter le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de celui des États à jouir pleinement de leur indépendance et souveraineté.

Pour les États-Unis et ses alliés européens, le principe qui sous-tend tous les autres est celui de la subordination des régimes politiques et économiques à leurs intérêts. La gouvernance mondiale recherchée nivelle le principe des nations et, avec ce dernier, celui de leurs droits.


Cette rencontre sur trois jours des principaux acteurs concernés dans cette guerre en Syrie n’a malheureusement pas donné les résultats escomptés. Les États-Unis ont décidé d’envoyer des militaires en Syrie pour soutenir l’armée d’opposition syrienne et poursuivre ainsi leurs actions contre le gouvernement syrien. Cette décision prend la forme d’une véritable provocation contre l’intervention russe en Russie. Sous des dehors de promoteur de la paix en Syrie, John Kerry se moque éperdument de la Russie et de son ministre des relations internationales, Serguei Lavrov. Il parle et agit comme si les États-Unis avaient toujours bien en main le leadership de la lutte contre le terrorisme et des voies à suivre pour rétablir la paix en Syrie.

Cette intervention du secrétaire d’État, John Kerry, ne prend aucunement en compte l’approche russe de la lutte contre l’État islamique pas plus d’ailleurs que celle de la reconnaissance légitime du Gouvernement syrien. Plus tôt, le chef de la diplomatie russe s’était prononcé pour un règlement politique du conflit syrien impliquant la participation du président Bachar Al-Assad et la participation de l’ensemble de l’opposition syrienne non armée.

Il faut dire que les provocations des États-Unis contre la Russie ne manquent pas. Tout est mis en œuvre pour discréditer ses interventions en Syrie et minimiser ses succès. Sur la scène européenne, l’étau se resserre autour de la Russie. Sur ce dernier point, la Russie a servi un sérieux avertissement à l’OTAN.

"Il s'agit du rapprochement de l'OTAN et de ses infrastructures militaires vers nos frontières, ce qui constitue un phénomène que nous considérons comme indésirable et dont nous expliquons depuis longtemps les potentielles conséquences dangereuses", a déclaré le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov à la question de commenter les informations parues dans le WSJ.

Que va conclure Vladimir Poutine de tout cela?
Il est certain qu'il a décodé depuis un bon bout de temps la stratégie et les objectifs des États-Unis. Les comportements de ses "partenaires" occidentaux, comme il les appelle, lui confirment le fait qu'ils ne démordent pas de leur grand projet de s'asservir les nations et les peuples. La confrontation est de plus en plus plausible. Sur ce dernier point, John Kerry qui se dit optimiste quant à la non intervention de la Russie peut très bien se tromper. Il devrait plutôt prendre très au sérieux ces propos tenus par Vladimir Poutine à la tribune de Valdaï.
“Il y a 50 ans, à Saint-Pétersbourg, la rue m’a appris une règle : si la bagarre est inévitable, il faut frapper le premier.”
 L'Occident risque beaucoup à ne pas prendre au sérieux Vladimir Poutine. 
Oscar Fortin
Le 31 octobre 2015

samedi 24 octobre 2015

PSYCHOSE

NOTE: Certains lecteurs et lectrices ont fait référence tout dernièrement à cet article qui remonte à plus de six ans. Je l'avais, pour ainsi dire oublié. À le relire je l'ai trouvé particulièrement intéressant et toujours d'actualité. En somme, une manière originale de poser le problème de l'information et de la désinformation. Je laisse à chacun le soin de tirer ses propres conclusions.




L’état de santé d’une personne qui m’est très chère m’a conduit à en savoir plus sur ce type de maladie qu’est la psychose. C’est à la lumière des informations recueillies que j’ai pris conscience que je souffrais sans doute de cette maladie.

De fait, je vois des réalités qui ne sont pas perçues par les autres, je comprends des situations qui ne rejoignent pas mes interlocuteurs, je me retrouve dans un monde étranger à ceux qui m’entourent. N’est-ce pas là un premier indice de la psychose? Cette mise en garde étant établie, je me propose de partager avec vous certaines fabulations qui viennent me chercher, des imaginaires qui emportent mon esprit. Ainsi chacun saura que tout cela n’est pas vrai, que ce ne sont que des réalités qui circulent dans ma tête. Votre indulgence et compréhension me permettront d’exprimer ces choses sans me sentir coupable de le faire.

Ceux et celles qui me connaissent savent que je suis croyant en Jésus de Nazareth. Cette foi est là et m’accompagne partout où je vais. Je m’intéresse donc à tout ce qui la concerne et particulièrement à l’Église. C’est donc d’elle que je vais parler à partir de ma psychose.

Dans mon imaginaire, je vois Benoît XVI, son pasteur universel, marchant main dans la main avec les maîtres du monde, ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir de l’empire et de l’argent. Je le vois mettre à leur service toute son autorité et l’institution ecclésiale dont il est le chef. Il nomme évidemment à des postes stratégiques, comme ceux d’évêques et de cardinaux, des personnes dont l’orthodoxie sociale, politique et religieuse ne peut être mise en doute. Il donne des directives à ses lieutenants, en Amérique latine et partout dans le monde, pour qu’ils œuvrent en solidarité avec les autorités locales de manière à contenir les mouvements qui veulent modifier l’ordre établi qui les sert si bien. Là où la situation l’exige, il leur ordonne de combattre par tous les moyens les exaltés qui se laissent emporter par une certaine théologie de libération qui n’est rien d’autre qu’une « idéologie de pur bavardage ». Et là où des gouvernements sont parvenus à déjouer les pièges électoraux et à prendre le pouvoir en dépit des efforts faits pour les disqualifier, il les invite à se joindre aux forces d’opposition pour les discréditer. Je l’entends s’engager à ne pas attiser le feu de la controverse en prenant des positions de nature à incommoder ses alliés. Il se fait discret sur les guerres et percutant sur le terrorisme, sans toutefois en préciser la nature. Il a l’intelligence et la subtilité qui lui permettent d’éviter les obstacles tout en maintenant le cap sur les objectifs : sauver l’empire et ses valeurs.

Vous aurez compris que ce sont là, évidemment, des perceptions imaginaires qui s’expliquent par la psychose dont je souffre. Mais là ne s’arrêtent pas mes fabulations.

Je vois également des chefs de gouvernements qui, tout en se réclamant de la foi en ce Jésus de Nazareth, s’opposent avec force à ces prétentions d’une autorité qui a perdu toute crédibilité évangélique. J’entends la voix de nombreux théologiens et pasteurs qui prennent leur distance par rapport à cette autorité qui leur apparaît plus soumise à l’empire qu’à Jésus, plus près des puissants que des faibles, plus sensible aux richesses qu’à la pauvreté. Aussi curieux que cela puisse paraitre, ma foi, celle dont je me réclame, se reconnaît davantage dans ces fabulations que dans la réalité. De quoi soulever de sérieuses interrogations sur l’authenticité de celle-ci. Je me suis donc permis une consultation auprès d’un authentique représentant de l’Église, de quelqu’un qui n’a pas les mêmes visions et le même imaginaire qui m’envahit. Son diagnostique a été sans équivoque.

D’abord, il m’a demandé ce que je lisais et ceux que je fréquentais, un peu comme on demande à un malade quels sont les médicaments et les drogues qu’il prend. Je lui ai dit que je lisais Prensa Latina, les bulletins de nouvelles de Télévision venezolana, le journal La Jornada du Mexique et quelques sites internet comme Alter Info, Indépendances, Culture et Foi, Atrio ainsi que des informations me parvenant d’un certain Xarlo, basque de France. J’ai bien vu par les traits de son visage et les couleurs qui en faisaient ressortir les sentiments que j’étais sur le mauvais chemin. J’ai tout de même poursuivi en lui révélant les noms des personnes qui m’impressionnaient. Je lui ai mentionné les prix Nobel de la Paix, Adolfo Pérez Esquivel, Rigoberta Manchu, et des leaders comme Fidel Castro, Évo Morales, Hugo Chavez, Ernesto Cardenal, entre autres. Je lui ai également parlé du théologien canadien Normand Provencher, de l’exégète espagnol Jose Antonio Pagola qui vient d’écrire un livre sur Jésus de Nazareth. Il n’a pas insisté pour que je poursuive avec la liste de mes fréquentations. Il avait tout compris.

Il m’a indiqué que je devais changer certaines de mes habitudes et surtout faire un grand ménage dans mes contacts. En tout premier lieu, je devais mettre de coté mes lectures de Prensa Latina ainsi que celles des nouvelles en provenance de Télévision Venezolana. Je lui ai demandé alors de me suggérer les lectures et les personnes pouvant le mieux m’aider dans ma thérapie. Il m’a conseillé les nouvelles de CNN, la lecture du journal Le Monde, à ne pas confondre avec celui du Monde Diplomatique, celle du Nouvel Observateur et de Reporters sans Frontière sans oublier de prêter une attention particulière aux nouvelles en provenance de l’Agence France Presse (AFP). Sur le plan religieux, je gagnerais beaucoup à lire le journal La Croix, l’Observatore Romano et les publications de l’Opus Dei. Il m’a même suggéré de faire une retraite prolongée dans l’une des maisons de cet organisme et de me recommander à son fondateur saint Josemaria d’Escrivá de Balaguer. Il m’a toutefois avoué que ma psychose était très profonde et que seul un miracle pouvait m’en sortir. Une raison de plus pour me recommander à ce saint qui avait su conseiller Franco, Pinochet et bien d’autres militaires en postes d’autorité avec pour mission de rétablir l’ordre menacé par des psychopathes.

Que les personnes qui me lisent aient donc une bonne pensée pour moi sans oublier d’en avoir également une pour elles-mêmes. La psychose est tellement subtile et, dans certaines situations, la frontière entre le réel et l’irréel devient pratiquement insaisissable. Mon imaginaire est devenue pour ainsi dire ma réalité et par la magie du décloisonnement des réseaux d’information j’y retrouve de plus en plus de personnes qui en partagent soit l’imaginaire pour les uns soit la réalité pour les autres. De quoi faire perdre le sens.


Oscar Fortin

28 juillet 2008

N.B. Ce témoignage je le dédis à cette personne qui m’est très proche et qui en a été, sans le savoir, l’inspiration.

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lundi 19 octobre 2015

SYNODE : UN CHANGEMENT DE RÉGIME S’IMPOSE



LE PEUPLE DE DIEU DOIT PASSER À L'ACTION



Cette expression de « changement de régime » nous est devenue familière depuis que Washington et ses alliés ont entrepris de changer les régimes politiques et économiques ne répondant pas à leurs attentes et intérêts. Au cours des quinze dernières années, ce fut, entre autres, le cas de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye, de l’Ukraine. En Syrie, la résistance, plus forte que prévu, tout comme en Amérique latine où les pays émergents donnent du fil à retordre à leurs opposants qui voient en eux la remise en question des privilèges et intérêt des oligarchies et de l’Empire. C’est le cas du Venezuela, de la Bolivie, de l’Équateur qui font du bien commun et de la démocratie participative la loi fondamentale de l’État. . Dans tous les cas, il ne s’agit pas de changements cosmétiques, mais de changements radicaux. C’est en ce sens radical qu’il faut parler d’un changement de régime dans l’Église.

Si les États, provocateurs de ces changements de régime, sont avant tout motivés par les intérêts politiques et économiques de leurs oligarchies, il n’en est pas de même, quant aux  motifs, pour le changement de régime qui s’impose à l’institution ecclésiale avec sa doctrine, son droit canonique, ses dicastères et ses hiérarchies de pouvoirs. Cette Église qui se projette dans le monde à travers le Vatican, la papauté, ses nonces apostoliques, ses cardinaux et évêques ne reflète en rien l’Église dont nous parle Jésus et que Paul de Tarse reprend sous différents angles dans ses lettres aux Romains, aux Corinthiens, aux Éphésiens.


L’apôtre Paul nous parle de l’Église comme d’un Corps au sein duquel tous les membres ont leur importance et répondent aux directives de celui qui en est la Tête. Tous les croyants et toutes les croyantes qui agissent dans l’esprit de ce Corps, qu’est l’Église, sont invités à agir dans l’humilité, sans prétention de pouvoir et soucieux de servir au mieux la volonté de Jésus à travers leurs frères humains.

« Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l`intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait (… ) Ayez les mêmes sentiments les uns envers les autres. N`aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. Ne soyez point sages à vos propres yeux. » Rm 12,2 et 16

À la lumière de cette approche inscrite au cœur de l’Église, pensée et voulue par Celui qui en est le maître, qu’en est-il de l’Église telle qu’elle se présente au monde d’aujourd’hui? Il n’est pas question de juger ou de condamner qui que ce soit, mais de regarder cette institution ecclésiale devenue davantage le produit d’une histoire humaine que d’une histoire divine. N’y reconnaissons-nous pas tous les traits d’un pouvoir temporel aux us et coutumes des grands et des puissants de ce monde? Depuis la grande alliance impériale avec Constantin ne s’est-elle pas livrée aux régimes des puissants de leurs hiérarchies l’échelle des valeurs et de la domination du monde leur premier et grand objectif?

Le pape François est bien conscient de ce décalage entre l’Église voulue et soutenue par Jésus et l’Église enracinée dans les valeurs de pouvoir et de domination. Dans son homélie du 18 octobre   à la chapelle de Santa Martha, il y a eu certaines phrases que je me permets de vous traduire de l’espagnol au français.

« Chacun de nous, en tant que baptisé, participe au sacerdoce du Christ…

« Le vrai pouvoir, il est dans le service. Jésus s’est fait le serviteur des serviteurs…

«  Face à ceux qui recherchent toujours plus de pouvoir et de succès, les disciples sont appelés à faire le contraire…

«  Jésus nous invite à changer de mentalité, de passer du désir du pouvoir à la joie de passer inaperçu dans le service..

«  Celui qui sert les autres et vit sans rechercher les honneurs exerce la vraie autorité dans l’Église…

Ces consignes fondamentales sont loin d’être reflétées dans l’institution ecclésiale devenue un État et un lieu de pouvoir économique et hiérarchique que se disputent évêques et cardinaux. Les titres honorifiques et les soutanes aux couleurs diversifiées en marquent le prestige. Ce n’est pas demain la veille où nous verrons ces messieurs, les cardinaux et évêques, se dépouiller de tous ces privilèges pour, comme le suggère le pape, passer inaperçu dans le service.

Ce changement ne sera possible que si le Peuple de Dieu, cette Église qui vit hors des murs du Vatican et de cette institution de pouvoir, élève la voix et exige de ses pasteurs de les rejoindre dans la grande maison dont Jésus et son Esprit sont les hôtes. Pour y entrer, il faut se présenter dans la tenue de l’humble serviteur qui, à l’exemple du maître, se fait tout à tous et à toutes.

Il n’est pas superflu de rappeler ici que le pouvoir de lier et de délier les fautes n’a pas été donné seulement à Pierre, mais qu’il a également été donné au Peuple de Dieu.

À Pierre, il dit : « je te donnerai les clefs du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. Mt.16,19

Aux communautés de croyants, il dit tout autant : « Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. » Mt 18,18

Le baptisé n’est pas seulement celui à qui on enseigne, mais d’abord et avant tout un acteur important dans l’action évangélisatrice de l’Église. Il participe aux dons et charismes de l’Esprit et, à ce titre, il a pleine autorité pour agir dans le sens de ces dons.. L’Esprit n’a pas besoin de passer par une hiérarchie ecclésiale pour distribuer ses dons. Il le fait comme bon il l’entend. C’est lui qui donne la parole à ceux et celles qui ont le don de prophétie pour qu’ils prophétisent en toute liberté. À d’autres le don d’enseigner. Les dons sont multiples et permettent à toutes les communautés d’y trouver toutes les ressources pour vivre pleinement le mystère de l’Église et de sa sacramentalité.

Le temps d’un changement de régime dans l’Église est donc arrivé. Les communautés chrétiennes et toutes les personnes de bonne volonté doivent se lever pour assumer une participation pleine et entière dans le devenir de cette Église créée pour servir et non pour être servie. 

Quelques actions à mener à court terme 

D’abord, l’opération dépouillement de tout le superflu et de tout ce qui met en évidence cette hiérarchie de pouvoirs et d’autorité. C’est le cas de tout ce décorum non nécessaire des vêtements qui tirent leurs origines des Cours Royales. Il en va de même pour tous les titres qui élèvent le personnage au-dessus des autres. C’est le cas de ces expressions Excellenticime, Sa Sainteté, Éminence, mon Révérend, etc. Pourquoi ne pas s’appeler tout simplement frères et sœurs en Jésus ressuscité? Ne sommes-nous pas les enfants d’un même Père éternel?

Que l’usage de tous ces titres honorifiques en référence à des pouvoirs hiérarchiques soient aboli. Qu’il suffise que nous nous appelions frères et sœurs comme le fait si bien ce président de la Bolivie, Evo Morales pour qui son peuple n’est composé que de frères et de sœurs. N’en va-t-il pas de même pour l’Église?

En second lieu, transformer l’approche pastorale doctrinaire en une approche de concertation et d’accompagnement avec la communauté. Que cette dernière ait l’opportunité de dire son mot et qu’il soit pris en considération, même si la doctrine opine, dans sa lettre, différemment.

Il en va de même lorsque vient le temps de choisir des présidents d’assemblée et de célébration du MÉMORIAL que nous a laissé Jésus. N’a-t-il pas dit que lorsque deux ou trois sont réunis en son nom, il est au milieu d’eux? Rien n’empêche Jésus par la voix de la communauté de nous faire vivre ces moments intenses de la dernière cène. Le sacerdoce du baptême étroitement uni à celui de Jésus peut très bien se célébrer sur cette base d’une communion intense avec Jésus présent au milieu d’eux. Il n’est pas nécessaire de faire des études en théologie pour présider le Mémorial du Seigneur en sa compagnie. 

Il est évident que c’est toute la sacramentalité dans sa symbolique qui doit être repensée en fonction des réalités d’aujourd’hui. Lorsqu’il faut des discours pour faire comprendre la signification d’un signe, d’un sacrement, c’est que le signe pose problème. Il devrait signifier directement ce pour quoi il est là. À ce titre, ce rafraîchissement de la sacramentalité devrait se faire en étroite communion avec le Peuple de Dieu. Des suggestions originales pourraient en surgir.

Je conclus en disant que la communauté chrétienne a toute l’autorité voulue pour expérimenter et vivre la sacramentalité à travers des signes qui parlent par eux-mêmes et qui donnent un sens à ceux et celles qui y participent. Nous pourrions prendre chacun des sacrements et voir comment la communauté des croyants pourrait leur donner un sens pour les temps que sont les nôtres.

À l’écoute de l’Esprit et avec un sens profond de communion et de solidarité entre les communautés chrétiennes, les pasteurs et les prophètes, les voies de l’avenir s’ouvriront et l’Église surgira dans toute sa richesse humaine et spirituelle. Le Peuple de Dieu sera alors redevenu cette Église qui anticipe sur terre  ce Royaume promis en Jésus par le Père.

Oscar Fortin
Québec, le 19 octobre 2015 

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