LE VENEZUELA ET LE DROIT INTERNATIONAL
Cher papa Francisco,
Je n’arrive pas à comprendre comment, vous, auteur de l’Exhortation apostolique Evangelii gaudiumdans laquelle vous dénoncez avec force et vigueur le capitalisme sauvage, source des grands conflits de ce monde,ait pu se laisser entrainer dans les rangs de celui qui en est le grand maitre, l’Empire étasunien. Vous n’en êtes pas à vos premières expériences de ces conflits qui mettent en confrontations les forces de l’Empire avec celles des peuples qui veulent s’en libérer. Vous avez connu de près ce qui s’est passé au Chili sous le régime de Salvador Allende et sous la dictature d’Augusto Pinochet. Vous avez également vécu en Argentine sous le régime de la dictature des trois généraux. Une expérience que peu de papes ont eue pour mieux comprendre sur le terrain les véritables intentions tant de l’Empire pour dominer que des peuples pour s’en libérer. Les souvenirs du Plan Condorque vous avez vu en action devraient vous donner la mesure d’humanité de ceux et celles qui en furent les exécutants et devrait également vous rappeler le courage, les souffrances de ceux et celles qui en furent les victimes.
Votre arrivée à Rome, cher papa Francisco, aura été un véritable souffle d’espérance, pour ceux et celles dont les témoignages et le vécu n’avaient, à Rome, ni oreilles pour entendre leur histoire ni yeux pour voir les atrocités dont les leurs avaient été victimes. Le message livré dans votre Exhortation apostolique Evangelii gaudiuma été reçu avec enthousiasme par ceux et celles en lutte contre ce capitalisme sauvage, si désastreux pour les humbles de la terre et néfaste pour l’ensemble de l’humanité. Le président de Bolivie, Evo Morales, s’est exclamé en disant « enfin j’ai un papa à Rome ». À l’époque, je vous avais écrit une lettre ouverte pour vous remercier du courage que vous aviez eu pour dénoncer ce capitalisme sauvage. On pouvait y lire ceci, entre autres :
« Nous ne pouvons plus compter sur les forces aveugles et la main invisible du marché. La croissance de l'équité exige plus que la croissance économique, bien qu'elle implique des décisions, des programmes, des mécanismes et des processus visant spécifiquement une meilleure répartition des revenus, une création d'emplois, une promotion globale des plus pauvres qui dépassent la simple assistance "(204). "Jusqu'à ce que les problèmes des pauvres soient résolus de manière radicale, renonçant à l'autonomie absolue des marchés et à la spéculation financière et s'attaquant aux causes structurelles de l'inégalité [173], les problèmes du monde et, en définitive, aucun problème ne sera résolu. L'inégalité est la racine des maux sociaux »(202)
On peut dire, sans exagération, que les gouvernements d’Hugo Chavez et de Nicolas Maduro se caractérisent particulièrement par un effort constant de redistribution de la richesse au bénéfice des classes sociales les moins bien nanties. Il m’est arrivé de faire un lien entre ces politiques du socialisme du XXIe et la pensée sociale du pape Jean XXIII. À l’époque, j’avais écrit ce texte en espagnol.
Avec tout ce qui précède, vous comprendrez que le tournant qu’ont pris vos propos et actions en ces dernières semaines a de quoi inquiéter ceux et celles qui ont cru, un moment, que l’Église sous le pape François allait prendre ses distances d’avec les pouvoirs de l’Empire. Lors de votre séjour aux journées mondiales de la jeunesse, à Panama, vous avez clairement exprimé que les problèmes du Venezuela devaient se résoudre entre Vénézuéliens et Vénézuéliennes, dans la paix et la justice. C’est suite à cette déclaration que le Président du Venezuela, Nicolas Maduro, vous a écrit une lettre dans laquelle il partageait cette idée d’une solution par le dialogue entre les partis en conflit et vous demandait, par la même occasion, votre présence comme médiateur. Votre réponse s’est fait attendre jusqu’à ce que l’épiscopat vénézuélien et votre secrétaire d’État, Pietro Parolin, vous disent que tout dialogue ne servirait à rien, que Maduro ne tenait pas ses engagements. Je suppose que vous avez vérifié ces dires auprès de l’ambassadeur du Venezuela auprès du Vatican. Il faut dire que Washington avait déjà donné l’ordre à l’opposition de ne pas s’engager dans des opérations de dialogue.
Votre réponse est finalement arrivée avec une double surprise. La premièreest ce changement de cap dans la façon de résoudre les problèmes, le dialogue ne fait plus partie de la voie à suivre. Il faut croire que d’autres voies ont été portées à votre connaissance. La seconde, beaucoup plus sérieuse et grave, est celle de ne plus reconnaître Maduro comme président élu,substitué en cela par le député autoproclamé président, Juan Guaido, en disgrâce de pouvoir constitutionnel, comme président transitoire. Sans doute, une manière diplomatique de passer dans le groupe de Lima. À ceci s’ajoute le fait, en tant que chef d’État du Vatican, vous avez dérogé à la Charte des droits des peuples en intervenant dans les affaires internes du Venezuela.
Le 26 janvier dernier, le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’est prononcé majoritairement contre toute forme d’intervention au Venezuela. La Charte des Nations Unies est bien claire sur cette question et c’est en référence à cette loi fondamentale et à son respect qu’il fallait mettre un terme aux prétentions interventionnistes de Washington d’envahir le Venezuela pour en devenir le maitre.
Les faits nous démontrent, cher papa Francisco, que le recours aux lois n’est utile aux grands et puissants que lorsque cela leur convient. En dehors de leurs intérêts, aucune loi ne les dérange. C’est triste à dire, mais vos dernières décisions vont dans ce sens. Vous n’avez dénoncé, en aucun moment, les ingérences des É.U. au Venezuela. Il en fut de même pour ses politiques de sanctions et de guerre économique qui font tant de mal aux peuples qui en sont les premières victimes. Ces silences à l’endroit de Washington se comprennent par la complicité que le Vatican a avec ce dernier qui vise la reconquête des pouvoirs en Amérique latine.
Je m’excuse d’avoir été aussi long, mais le sujet l’exigeait.
Ma prière vous accompagne et j'espère qu'il en sera de même de vous à mon endroit
Oscar Fortin
Québec, le 18 février 2019
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