vendredi 1 avril 2005

JEAN-PAUL ll :HOMME AUX MULTIPLES FACETTES

Jean-Paul II laisse un héritage dont la véritable portée se mesurera dans les années à venir. Sa conception de l’Église et de l’unité des chrétiens tout autant que celle du monde et de sa libération alimenteront pour encore longtemps historiens et théologiens, Sa forte personnalité, ses convictions profondes et son sens de la communication en ont vite fait un personnage central à la croisée des deux siècles. Associé à la chute de l’Union soviétique et à la fin des régimes communistes dans les pays de l’Est tout autant qu’à la mise au pas des évêques et des prêtres engagés dans l’action inspirée par la théologie de libération en Amérique latine, ses prises de position politique ne sont pas sans soulever de nombreuses interrogations. Certains n’hésitent pas à parler de deux poids deux mesures selon que la lutte porte sur l’élimination du communisme dans les pays de l’est ou selon qu’elle porte sur la mise au pas des théologiens de la théologie de la libération et des mouvements qu’elle inspire particulièrement en Amérique latine.

Ses interventions en Pologne ont été autant d’appuis au regroupement des classes ouvrières et à l’action des chrétiens pour se défaire du régime communiste. Ses nombreux voyages dans sa terre natale et ses appuis sans équivoques à Lech Walesa et Solidarnosc en témoignent amplement. Nous y voyons un Jean-Paul II engagé et mobilisateur, aucunement préoccupé des frontières entre l’action ecclésiale et l’action politique. Le ton et les références ne sont pas à l’effet de travailler d’abord et avant tout à la conversion des cœurs et au respect de l’ordre établi mais bel et bien de faire valoir l’importance des libertés fondamentales et l’obligation de lutter pour les faire respecter. Il n’a pas manqué d’initiatives pour soutenir ce mouvement et tous ceux qui s’y engageaient. Nous connaissons les résultats de cette action menée avec courage et détermination. Elle a débordé les frontières de la Pologne pour s’étendre à tous les pays sous l’emprise de l’Union Soviétique. La chute du mur de Berlin en est un symbole historique.

Cette lutte anti-communiste de Jean-Paul II a vite rejoint les préoccupations anti-communistes des administrations étasuniennes des années 1980 en Amérique latine, particulièrement celle de Reagan. Il a vite été perçu comme un allié potentiel. Sa visite au Nicaragua nous rappelle cette réprobation, à sa descente d’avion, faite au père Ernesto Cardenal , alors ministre de la Culture dans le gouvernement sandiniste. Ce dernier, ancien moine, prêtre et poète bien connu participe avec trois autres prêtres au gouvernement sandiniste. Après avoir renversé le dictateur Somoza, allié de l’administration étasunienne, ce jeune gouvernement s’attaque à des réformes visant un changement profond de nature à enrayer la pauvreté et à développer une plus grande justice sociale. Les « Contras », bras armé de Washington ne lui laisse pas grand répit.
C’est donc avec beaucoup d’espoir que le peuple nicaraguayen attendait la visite de ce pape qui n’avait pas craint de s’allier à Solidarnosc pour combattre les puissants des pays de l’Est. Mais plutôt que de condamner avec force et sans ambiguïté l’action terroriste des « Contras » et à faire appel à la nécessité d’une plus grande justice social, il s’évertue à faire ressortir les dangers de systèmes politiques qui privent le peuple de sa liberté et le soumettent à des programmes athées ou à un matérialisme pragmatique qui lui enlève sa richesse transcendantale. Il assimile ainsi le gouvernement sandiniste, intégré par quatre prêtres et plusieurs croyants, à un gouvernement porteur du germe de l’autoritarisme et de l’athéisme. C’est ainsi que Jean-Paul II ouvre le dialogue avec ce jeune gouvernement désireux de plus grande justice sociale dans une partie du monde où la pauvreté et l’exploitation sont les plus criantes. Depuis lors nous avons eu accès à tous les dessous de ce qui a été défini comme le scandale de l’Irangate.

Au Salvador, le sort de, Mgr Oscar Romero assassiné par les militaires alors qu’il célébrait la messe n’a guère soulevé de façon percutante les réactions du Vatican. Cet assassinat n’était pas un acte gratuit mais bel et bien un acte prémédité contre une figure qui dérangeait dans ce petit pays dominé par l’oligarchie et contrôlé par les Etats-Unis. D’ailleurs, peu de temps avant, il s’était présenté à Rome avec un rapport étoffé sur les assassinats et les conditions de vie dans le pays. Toujours est-il que Jean-Paul II et le Vatican se sont fait alors bien discrets sur ce rapport et l’héroïcité de cet Évêque. On n’en a pas fait un martyr et encore moins un candidat à la sainteté.

Dix années plus tard, le 16 novembre 1989, ce sera au tour du recteur de l’université des jésuites (UCA) ainsi que six de ses collègues et deux employés laïcs d’être assassinés par une vingtaine de militaires commandités par le gouvernement salvadorien et Washington. En d’autres circonstances et dans d’autres lieux ces morts seraient vite devenus des martyrs et des saints. À Rome, le saint-père a plutôt exprimé beaucoup de peine et « assuré de sa prière ces âmes dont il souhaite que leur sacrifice n’ait pas été en vain, mais qu’il soit le germe de l’amour fraternel et de paix pour ce pays martyrisé d’El Salvador. » Nous sommes loin de la condamnation des assassins et du régime de terreur qui les soutient.

Qui ne se souvient de sa visite à Santiago du Chili, alors sous le régime dictatorial du général Pinochet. Le monde s’attendait à une condamnation sans équivoque des tortures, des assassinats et de la privation des libertés fondamentales. Jean-Paul II s’est plutôt fait réconciliateur. Il s’est présenté en compagnie de Pinochet lui faisant l’honneur de sa bénédiction. Si ce n’eût été du courage d’une jeune femme pour dénoncer devant le Saint Père et le monde entier, lors de la messe papale, les assassinats, les tortures, les emprisonnements arbitraires et les manquements aux droits humains, ces sujets n’auraient pas percé le petit écran de millions de foyers dans le monde. Là aussi des chrétiens et des prêtres ont été assassinés pour leur foi en l’Évangile des pauvres. Ne mentionnons que ce missionnaire français, le père Dubois, tué d’une balle à la tête en provenance d’un militaire alors qu’il lisait sa bible dans sa petite résidence située dans un bidonville de Santiago.

Cette attitude de Jean-Paul II, plutôt contrastante d’avec celle observée en Pologne, et peu évoquée dans les présents reportages, reposerait-elle sur une entente tacite intervenue entre le Vatican et Washington ? Le père Pedro Miguel Lamet, jésuite et historien, rapporte dans son livre biographique « Jean-Paul II, le Pape aux deux visages » (Éditions Golias, 1998, p. 371)) une rencontre entre Jean-Paul II et l’homme de la CIA, Vernon Walters. Ce dernier raconte que « lors de cette rencontre, en date du 30 novembre 1981, ils parcoururent la géopolitique du monde et parlèrent de la théologie de la libération qui se répandait en Amérique centrale. Tous les deux se sont mis d’accord pour que les Etats-Unis et le Saint-siège s’emploient à exercer leur pouvoir afin d’empêcher son développement. »

Si une telle alliance s’avérait fondée elle expliquerait tout autant les silences du Vatican sur les régimes répressifs des militaires en Amérique latine que ses condamnations répétées de la théologie de la libération et de ceux qui s’en inspiraient. Bien sur on dira que le Pape a condamné le capitalisme et le communisme et fait appel à plus de justice sociale…. Mais ce qu’il faut voir ce sont les dispositifs mis en place par l’Institution ecclésiale pour contrer ces injustices et ces excès. Le Pape a condamné le blocus américain maintenu sur Cuba, comme il l’a fait également pour la guerre en Irak. Cependant dans un cas comme dans l’autre l’ensemble des leviers institutionnels n’ont pas été mis à contribution comme ils l’ont été pour lutter contre les meures contraceptives, le mariage des personnes de même sexe et la lutte contre le communisme. Encore tout récemment, au moment où l’administration Bush durcissait ce même blocus, il acceptait du Président américain la médaille de la liberté. De quoi faire réfléchir sur cette liberté partagée par le Vatican.

Au moment où cet homme nous quitte et que les cardinaux s’interrogent sur celui qui lui succèdera, l’évocation de ces prises de position contradictoires doit rappeler à tous que la liberté dont jouit le véritable prophète vient de Dieu et qu’elle fait bien mauvais ménage avec les compromis liés au pouvoir des puissants. Il en va de la crédibilité et de la catholicité même de l’Église, dans sa mission évangélisatrice et prophétique. Il est important que les pauvres de la terre et toute personne de bonne volonté puissent compter sur une parole et un engagement de l’Église qui ne soient pas dictés par les puissants de ce monde. La parole de l’Église doit être une parole signifiante pour tous les peuples de la terre et non pour quelques uns seulement.

Oscar Fortin
Note : Le lieutenant général Vernon Walters, de la CIA, a eu une longue entrevue avec le pape. Cette entrevue se trouve relatée dans les moindres détails dans le livre de Malinski, C. Berstein et M.Politi, Sumo Pontifice, pp. 334-344 .

« Walters étudie comment le pape peut être utile pour les Etats-Unis et pour l’Administration Reagan, notamment sur les questions concernant l’Amérique Centrale, le Proche-Orient, le terrorisme, le contrôle des armes et les affaires liées aux mœurs dans les affaires publiques. Walters est convaincu que le pape est un excellent conbustible pour les avions américains. »

1 commentaire:

Oscar Fortin a dit...

Vernon Walters est le même qui autorisa, dans les années 1972, avec Pinochet et les généraux argentins, la mise en place du Plan Condor, bras terroriste des régimes militaires et dont les enquêtes récentes ont clairement mis en évidence le caractère criminel des actions déployées dans l'ensemble de l'Amérique latine. Il était alors sous-directeur de la CIA. Voir l'article qui suit:

http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=624