Plusieurs interventions ont donné lieu tout récemment à des articles et commentaires portant sur la place qu’occupe l’Église catholique dans le tissu social, national et culturel du Peuple Québécois. J’ai lu l’intervention de M. Barberis-Gervais « Lucia Ferretti, le catholicisme au Québec et la religion » qui a suscité divers commentaires. D’autres interventions ont suivi dont celle de M. Claude Morin, le père de l’étapisme, et du non moins célèbre écrivain et pamphlétaire, Victor Lévy Beaulieu. Encore là, plusieurs intervenants ont voulu y mettre leur grain de sel en commentant un point ou l’autre de ces interventions. C’est donc en prenant en compte toutes ces interventions y compris la toute dernière de M. Gilles Laterrière que je me suis décidé à intervenir et à partager avec les lecteurs et lectrices de Vigile les quelques considérations qui s’imposent à mon esprit.
En tout premier lieu, certains faits s’imposent, peu importe que l’on soit croyant ou pas. Qui peut nier le fait que l’Église catholique fasse partie d’un pan important de notre histoire qui ne saurait être comprise sans en scruter les avenants et aboutissants? Les centaines de clochers d’églises qui font partie du paysage de nos villes et villages tout comme nos congés fériés de Noël et de Pâque nous en rappellent la réalité. Sainte-Anne de Beaupré, Notre-Dame du Cap et l’Oratoire St-Joseph reçoivent toujours des milliers de pèlerins chaque année. Même si une grande majorité a délaissé la pratique religieuse traditionnelle plusieurs de ces derniers n’en continuent pas moins à croire et à se faire un devoir d’aller une fois ou deux par année à l’un ou l’autre de ces centres de pèlerinage. Que cela nous plaise ou pas, les faits sont là, mais ne sont pas exclusifs au Québec. En France, en Belgique, en Italie, en Espagne les clochers sont nombreux et les jours fériés, fondés sur les croyances chrétiennes, ne manquent pas. Que les institutions religieuses avec leurs valeurs se retrouvent quelque part dans le tissu social et culturel de ces peuples ne devrait surprendre personne.
En second lieu, il est tout aussi important, pour être juste, de considérer l’Église non pas comme une réalité monolithique, mais comme une institution qui n’échappe pas aux divisions sociales et idéologiques des sociétés dans lesquelles elle évolue. Il y a le haut et le bas clergé, le premier porteur d’autorité et de pouvoir, vivant près des oligarchies, le second soumis et vivant avec le peuple. De nombreuses critiques à l’encontre de l’Église catholique s’adressent plus particulièrement à ce haut clergé, plus souvent que moins, allié des oligarchies dirigeantes. Si quelqu’un parvenait à se hisser à ce niveau et qu’il ne répondait pas aux attentes de cette classe, on trouvait vite un moyen pour l’écarter. Les plus anciens se souviendront de ce qu’on a fait avec Mgr Charbonneau, évêque de Montréal, à la fin des années 1940 et début des années 1950. Sa démission surprise en laissa plusieurs songeurs.
En troisième lieu, il ne faut pas oublier que tous les religieux et religieuses qui ont donné consistance aux écoles et hôpitaux de l’époque étaient des Québécois et des Québécoises et que les grands mouvements de transformation des structures mêmes de la société québécoise ont été, dans bien des cas, inspirés et soutenus par d’illustres membres du clergé et de chrétiens fortement engagés. Je pense particulièrement au père Georges Henri Lévesque, o.p., qui a formé une grande partie des leaders qui allaient devenir les locomotives de la révolution tranquille. Je pense également à ceux et celles qui ont suscité la mobilisation des travailleurs et travailleuses à travers la Jeunesse Ouvrière Catholique (JOC) et le syndicat des travailleurs catholiques, devenu depuis lors la CSN. Dans le secteur de l’éducation, on se souviendra de la Commission Parent, présidée par Mgr Parent, vice-recteur de l’Université Laval. Elle fut à l’origine de la création du Ministère de l’Éducation du Québec, au début des années 1960.
En quatrième lieu, il faut bien se rappeler que ceux et celles qui ont frappé les plus durs coups à l’Institution ecclésiale, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde, sont les croyants eux-mêmes, plus préoccupés d’Évangile que de doctrines et plus solidaires d’un monde en phase d’éclatement et de transformation. Le Concile Vatican II a été longuement préparé par les mouvements ouvriers inspirés par Mgr Joseph Cardijn , par les actions des prêtres ouvriers dont le plus célèbre est l’abbé Pierre. Des théologiens exceptionnels ont dépoussiéré des pans importants d’une institution qui n’avait plus grand lien avec ses références premières que sont les Évangiles et le monde contemporain. Le Concile Vatican II a ouvert les portes à la liberté de penser et d’agir au meilleur de sa conscience pour un monde meilleur pour tous. Malheureusement, ceux et celles qui vivaient de l’Institution ont continué à s’y agripper comme si les colonnes de ce temple allaient résister au tremblement de terre provoqué par l’émergence d’un homme nouveau, d’une humanité nouvelle. Dans ce contexte, je comprends VLB qui ne veut plus rien savoir d’une religion et d’une Église qui s’accrochent à elles-mêmes, pensant ainsi détenir les vérités éternelles et voulant ramener tout le monde à ses formes de pensée d’une autre époque.
Ma cinquième et dernière considération est à l’effet que les peuples et les nations ne sont pas à la remorque ni d’une Église, ni d’une religion, mais qu’ils portent en eux-mêmes les ingrédients les plus importants qui permettent d’être toujours plus humains et toujours plus libres. Si les Églises et les religions ne parviennent pas à s’inscrire dans cette mouvance et à y apporter une énergie supplémentaire ce sera alors qu’elles sont devenues des poids lourds qu’on aurait tort de traîner sous prétexte qu’elles ont marqué notre histoire. Ceci dit, il ne faut toutefois pas jeter le « bébé » avec l’eau du bain. Dans le cas de la foi, bien des choses sont à prendre en considération. Dans un article qui remonte à un certain temps j’avais réfléchi sur la foi qui sauve et la religion qui asphyxie. Je pense que cette réflexion garde toute son actualité. C’est en tant que croyant et citoyen du monde que je remets en question certaines approches, certains comportements d’une Institution qui n’a de sens pour moi que dans la mesure où elle devient entièrement transparente aux grandes valeurs évangéliques, telles la vérité, la justice, la solidarité, la compassion et l’engagement. Sur ce dernier point, je me suis questionné un jour sur ce que seraient les véritables engagements d’un chrétien avec lesquels toute personne de bonne volonté pourrait se reconnaître. J’avais donné comme titre à cette réflexion « les sacrements de la vie ».
Pour conclure, je dirai que la foi n’est la propriété d’aucune institution, y inclus le Vatican, et que les valeurs qui portent les personnes et les peuples vers leur devenir sont celles en qui les consciences se reconnaissent et en qui elles trouvent les élans libérateurs leur permettant de porter encore plus loin l’évolution des sociétés et, à travers elles, celle de l’Humanité. Si les Églises et les religions s’inscrivent dans cette mouvance tant mieux, mais si elles en deviennent des obstacles, eh bien qu’elles disparaissent. Ma foi en Jésus de Nazareth et dans les Évangiles va dans le sens d’engagements sans équivoques au service de ces dépassements nécessaires pour rendre réels, à tous et à toutes, la vérité, la justice, la compassion, la solidarité et l’engagement. C’est là, me semble-t-il, un objectif partagé par toute les personne de bonne volonté.
Oscar Fortin
Québec, le 12 avril, 2010
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