La charité doit-elle se substituer à la justice? Une question plus que pertinente dans un contexte où la justice est souvent mise à l’ombre de la charité. Selon certains, il y a des pauvres et il y a des riches. Que les riches soient généreux et que les pauvres soient reconnaissants et dociles.
Deux évènements, l’un remontant à quelques mois et l’autre plus récent, m’ont particulièrement interpellé et, il faut le dire, fort surpris.
Le premier se rapporte à une « note » que l’on prête au cardinal Jorge Urosa Sabino, archevêque de Caracas, Venezuela, note écrite, en septembre 2009, en réaction aux réformes du système éducatif proposées par le Gouvernement de ce pays. Il s’agirait d’une note ou courriel qui serait arrivé, par erreur, à une mauvaise adresse. Plus tard, le cardinal, pressé de questions par les représentants du gouvernement, se serait dissocié de ce document, accusant ses adversaires de vouloir ternir l’image de l’Église. Sans trancher sur cette négation de sa part, il n’en demeure pas moins que la teneur de cette note peut très bien cadrer avec ses prises de positions officielles contre le gouvernement du Venezuela et son Président, Hugo Chavez, fermement engagés dans la construction d’une société qui fait du BIEN COMMUN de tout le peuple la référence fondamentale de ses politiques et de ses législations. Les classes défavorisées retrouvent des droits et des privilèges qui leur étaient jusqu’alors refusés. Que dit la note en question?
« L’éducation doit être égale, mais séparée. (Une phrase peu populaire, mais très vraie). Les fils de familles riches, appelés à aller aux universités et à occuper des charges très élevées dans l’administration publique, doivent être éduqués en fonctions de ces responsabilités. Les enfants, qui, par leur origine socioéconomique sont désavantagés, doivent être éduqués dans le respect de l’autorité, dans le dévouement, dans la modestie. De plus, l’Église ne veut pas se consacrer à éduquer les plus privilégiés, laissant les moins fortunés aux mains d’un État athée et communiste, ce serait contre productif. L’État doit garantir l’éducation, mais ce n’est pas sa fonction de la diriger et de la contrôler. »
Le second se réfère aux propos d’une connaissance très proche qui œuvre dans le secteur de la coopération internationale et avec qui je partage des réflexions sur la foi et le message évangélique. Il est lui-même le fondateur d’un organisme qui œuvre dans certains pays du Tiers-monde pour venir en aide aux plus défavorisés.
« Il y a le Peuple de Dieu et dans ce peuple il y a des riches et des pauvres. Il revient aux riches d’aider les pauvres en étant charitables à leur endroit. »
COMMENTAIRE
Dans les deux cas, la pauvreté et la richesse sont considérées comme des faits qui relèvent davantage de la nature des choses que de l’action humaine elle-même.
S’il est vrai que bien des gens se retrouvent dans des situations de pauvreté en raison de faits naturels comme des sécheresses, des tremblements de terre, des épidémies de toute nature, des maladies, de l’insouciance, du manque de talent etc. il est aussi vrai que bien d’autres le sont parce qu’ils sont enfermés dans un système sur lequel ils n’ont aucune prise et qui les confinent à jamais dans une situation de dépendance et de pauvreté. Ce fut et c’est toujours le cas dans de nombreux pays du Tiers-monde.
Il en va de même pour la richesse qui est dans certains cas plus facilement accessible à certaines personnes en raison soit de la chance, soit de certains talents inventifs et créateurs, soit d’héritages ou de gains de loterie etc. Elle peut également être la résultante d’actions qui soient clairement criminelles comme le vol, la contrebande, le blanchiment d’argent, ou encore d’actions qui, sous le couvert de la légalité, en arrivent à contrôler les biens et les forces de travail de nombreux pays, entre autres par la corruption de chefs d’État, de juges et d’organismes internationaux. Ce sont ces derniers, ceux-là mêmes qui créent, corrompent et contrôlent les oligarchies civiles et religieuses de ces pays, qui doivent être interpellés par le droit international tout comme par le message évangélique de la justice et de la vérité.
Il est inconcevable que les porteurs du message évangélique et ceux qui ont pour mission de témoigner de Jésus de Nazareth ignorent ces faits et fassent la sourde oreille aux cris des peuples qui veulent reconquérir leur dignité et leur liberté. Ici, il n’est ni question de Marx, ni d’Hegel, ni de Lénine, mais de l’impératif évangélique et humaniste de la justice, proclamée par les prophètes de tous les temps et de toutes les religions, ces dernières particulièrement préoccupées du destin de l’humanité.
« Ainsi parle l'Éternel : Pratiquez la justice et l'équité ; délivrez l'opprimé des mains de l'oppresseur ; ne maltraitez pas l'étranger, l'orphelin et la veuve ; n'usez pas de violence, et ne répandez point de sang innocent dans ce lieu. (Jér.22 :3)
Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés Mt. 5.6
À ces deux brèves références il faut ajouter cette toute première prophétie du Nouveau Testament que Marie, alors enceinte de Jésus, a proclamée lors de sa visite à sa cousine Élisabeth :
« Il est intervenu de toute la force de son bras; il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse; il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides. » (Lc. 1, 51-55).
Ce n’est donc pas d’aujourd’hui que l’organisation des sociétés est prise en charge par des puissances ambitieuses, peu soucieuses des droits des grandes majorités. Cette situation, si évidente pour certains, est loin de l’être pour plusieurs autres qui sont, je n’en doute aucunement, des personnes de très bonne foi.
La machine à la désinformation n’a jamais agi avec autant d’astuces et de contrôles de toute nature que présentement. Il n’est pas permis à tout le monde de parcourir tous les pays et de fréquenter tous les milieux pour savoir exactement ce qui s’y passe. Nos médias se chargent de nous en informer. Étant donné qu’ils sont, pour la grande majorité, la propriété de ceux-là mêmes qui s’imposent dans bien des pays, il n’est pas surprenant que l’information qui nous en est transmise noircissent ceux et celles qui menacent leur pouvoir. Le commun des mortels reçoit ces informations comme pure vérité et son jugement va dans le sens de cette information.
Il y a donc un second impératif évangélique, « la Vérité », qui nous commande de décoder le vrai du faux. C’est ce que fait en partie l’information alternative et, il faut le dire, certains médias encore suffisamment indépendants de ces puissances de moins en moins occultes. Ces derniers permettent d’aller plus à fond dans l’information, nous rapprochant ainsi de la vérité de ce qui existe vraiment. Dans ce contexte, pour que la parole de l’Église retrouve toute sa crédibilité, il faut qu’elle redevienne l’alliée des pauvres et des exploitées, qu’elle se démarque des oligarchies et des puissances qui les dominent, qu’elle ait cette liberté qui permette de dénoncer les injustices, les mensonges, les hypocrisies qui les couvrent. Elle n’arrivera jamais à le faire si elle mange à la même table de ces puissances.
« Justice et vérité, les œuvres de ses mains, fidélité, toutes ses lois, établies pour toujours et à jamais, accomplies avec droiture et vérité. » Ps. 111, 7-8
Le mot « justice » est un des mots qui revient le plus souvent dans l’Ancien (392) et le Nouveau (117) testament. Le mot « vérité » occupe également une bonne place avec respectivement 132 et 175 mentions.
Que les apôtres de la charité ne se préoccupent pas, même avec la justice, il y aura toujours des pauvres et des blessés sur les routes de la vie qui interpelleront la générosité des mieux nantis. La justice ne saurait répondre par elle-même à tous les maux de la terre. La charité, ce supplément d’amour que nous portons, sera toujours nécessaire pour humaniser notre monde.
25 août 2010
http://humanisme.blogspot.com
8 commentaires:
« Je n’ai pas besoin de votre charité, ce que je veux c’est la justice. »
Un acte de charité serait-il plus “humain” et moralement acceptable qu’un acte de justice? Si la justice était partout et pleinement réalisée, la charité n'aurait plus lieu d'être. Dans les faits, la charité est le palliatif d'une justice inaccomplie ou bafouée. L’exercice de la charité est un devoir « humain », quand les injustices des puissants de ce monde provoquent les inégalités et détruisent le tissu social d’une société. La charité est un acte subversif qui dénonce les injustices structurelles d’une société. Comme Québécois, nous ne devrions pas être fiers de nos « petits déjeuners » dans les écoles défavorisées du Québec. Cela ne veut pas dire que nous devrions abandonner ce geste de charité, non, il y a urgence dans la maison. Mais cette charité ne devrait pas endormir notre conscience sociale et politique, car elle ne ferait que couvrir les gaspillages éhontés de nos grandes entreprises et du gouvernement. Cependant autre est l’amour de Dieu en nous, comme don de notre vie. C’est un autre sujet.
La charité et la justice ne sont pas deux concurrents dans la poursuite d'un monde toujours plus humain. Ils doivent s'éclairer mutuellement de manière que l'action de l'un renforce l'action de l'autres. Je pense que mon dernier paragraphe résume bien cette dynamique. Même avec toute la justice du monde, il y aura toujours de cette pauvreté héritée d'un destin qui n'a pas beaucoup à voir avec l'action de l'homme. L'erreur à éviter est celle qui transformerait nos devoirs de justice en dispositions de charité. Nous pourrions en arriver à être très charitables tout en étant très injustes. La fondation Rockfeller est très charitable et généreuse tout en soutenant des régimes très injustes. La véritable charité ne peut que s'harmoniser avec la véritable justice.
je remercie Oskar de tout coeur pour son article. Grand merci.
Celma fait rentrer de l'air d'Evangile dans l'Eglise romaine.
Merci
un prêtre français
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