Mon
cher Lucien, tu es devenu, avec les années et les opportunités, une référence à
multiples visages qui inspirent pour les uns la sagesse du « gros bon
sens » et, pour d’autres, l’opportunisme « du plus rentable ». Tu
n’es dépourvu ni d’intelligence, ni de culture, ni de charme pour convaincre,
impressionner et rallier à tes diverses causes l’adhésion d’un grand nombre.
Cela t’est d’autant plus aisé que les médias officiels t’ouvrent toutes grandes
leurs portes et que les élites se font un honneur de t’avoir sur leurs
principales tribunes.
J’ai
été longtemps un de tes admirateurs. Je voyais en toi un homme de caractère, de
détermination et j’y reconnaissais l’homme de convictions que tu étais. J’ai
été de ceux qui ont fait pression pour que tu viennes rejoindre le peuple
québécois dans sa longue marche vers son indépendance. Les paroles et les
émotions ne te manquèrent pas pour convaincre les indécis, pour conforter les
chancelants et pour avancer avec les convertis. Tu auras été un grand tribun et
un grand Québécois de cette période mémorable. Tu étais devenu l’homme en qui
le Peuple québécois se reconnaissait.
Aujourd’hui,
17 ans sont passés et bien des feuilles d’automne sont tombées. Notre Lucien
national a perdu de son lustre et ses convictions nationalistes de la
profondeur. En mai dernier, à la lecture d’un article ayant pour titre « Le vrai Lucien
Bouchard », j’ai eu ce commentaire qui m’est venu comme de l’eau surgit d’une source.
« Dommage, mon cher Lucien! Tu sais que la “crédibilité”
est un bien précieux qui permet de faire beaucoup avec l’appui d’un peuple. Tu
sais aussi que pour durer dans le temps il faut que celui qui en est gratifié
fasse preuve de fidélité aux valeurs qui en ont été le fondement.
Ton engagement au côté du Peuple québécois, ton peuple,
en a fait rêver plusieurs. Ce Peuple est toujours là, mais tu n’y es plus comme
celui qui croit en lui, en sa capacité de s’assumer et de tirer tout le profit
possible des immenses ressources dont il est le propriétaire et le maître.
Tu sais que ces ressources, exploitées et développées au
profit de ce dernier, permettraient, entre autres, de financer des soins de
santé de qualité, une éducation gratuite, accessible à tous et à toutes, des
soins adaptés pour nos personnes âgées et des opportunités de travail à tous
les niveaux du développement du Québec.
Mais voilà que tes revenus de pension, comme ancien
ministre fédéral et ancien Premier ministre du Québec, n’auront pas été
suffisants pour entretenir ta passion pour un Québec indépendant. Des offres,
sans doute, plus alléchantes t’ont transformé en négociateur de premier plan
pour soutirer le maximum des richesses de ce peuple, ton peuple, aux prix les
plus bas, afin d’assurer à tes nouveaux employeurs les profits les plus élevés.
Voilà pourquoi, mon cher Lucien, ta crédibilité n’y est
plus. Tu peux toujours t’adresser au peuple, c’est ton droit, mais ne viens
plus raconter des histoires que tu travailles pour les intérêts du peuple
québécois et que ton souhait le plus cher est son bien.
L’illusion a assez duré. Il te faut maintenant marcher à
visage découvert et, comme nous disaient nos parents, t’assumer pleinement dans
ce que tu es vraiment, sans le peuple. »
Ces derniers jours, tu as lancé un
autre de tes ouvrages pour éclairer le peuple, mais cette fois pour lui dire,
entre autres, de ne plus aller se faire massacrer à l’abattoir d’un référendum
populaire. Ton argumentaire m’a tout simplement renversé. Tu interpelles les
Québécois et les Québécoises en leur disant qu’ils ne peuvent se laisser
entraîner dans un nouveau référendum par une minorité de 850 000 personnes
(15 % de l’électorat québécois) qui le réclamerait. Là, je n’y comprends
vraiment rien.
Regardons les choses bien en face
et voyons ce qui est le plus démocratique.
Habituellement, la tenue d’un
référendum est décidée par le gouvernement dirigé par le parti qui a fait élire
le plus de députés. L’Assemblée nationale du Québec comprend en totalité 125
sièges, correspondant à autant de députés. Un gouvernement majoritaire aura au
moins 63 sièges. À ce stade de l’argumentaire, nous en sommes, au mieux, à 63
députés qui ont le pouvoir de décider de la tenue d’un référendum.
Mais là ne s’arrête pas
l’argumentaire. Déjà nous savons que tous les partis politiques répondent à des
donateurs et que leurs chefs sont choisis de manière à ne pas faire de vague
dans la société. Bien plus, certains de ces partis, comme le parti libéral et
la Coalition pour l’avenir du Québec, sont sous la dépendance de pouvoirs
économiques qui exercent une influence déterminante sur le choix des chefs.
Ainsi, advenant leur prise du pouvoir, les grandes décisions gouvernementales
seront dépendantes d’une minorité oligarchique dont le nombre est bien en deçà
des 850 000 personnes réclamant la tenue d’un référendum.
Quelle est l’approche, selon toi,
qui est la plus démocratique ? Celle des lobbys oligarchiques de quelques centaines
ou, tout au plus,de quelques milliers de personnes ou celle des regroupements populaires de 850 000 personnes
?
Alors, je te demande, mon cher
Lucien, pourquoi craindre autant l’expression démocratique qui émerge du peuple ?
Pourquoi craindre autant les référendums, alors que le dernier nous fut volé.
Le Non gagna par 54 288 voix sur les 5,087 009 électeurs et électrices
inscrits sur la liste électorale. Une aussi mince marge aurait dû inciter le
fougueux Lucien que tu sais être à tes heures de colère, pour réclamer un
recomptage et exiger le contrôle de la validité des votes émis. Tu n’en fis
rien et tu laissas les adversaires tirer à boulet rouge sur ton collègue,
Jacques Parizeau, en compagnie duquel tu avais fait la promotion du OUI. D’ailleurs, tu conviendras que les
résultats obtenus furent loin d’un massacre à l’abattoir.
En 1998, des membres du Parti
québécois prirent connaissance d’un Rapport du DGE mettant en cause plus de 162 000 noms de personnes,
inscrites sur la liste électorale, qui ne figuraient pas sur la liste de
l’Assurance maladie du Québec.
« DGE avait déjà radié de la liste électorale
permanente 56 000 noms qui y figuraient au moment du référendum de 1995.
Il se préparait à en faire autant avec 106 000 autres noms de présumés
électeurs qui lui paraissent suspects en ce qu’ils ne figurent pas sur la liste
de la RAMQ. »
Tu sais mieux que moi que si le
peuple québécois a été massacré, ce n’est pas par le référendum, mais par les
tricheries, la corruption et l’usage de faux votants n’y ayant droit. Ce le fut
également, et tu ne peux y échapper, par la négligence de ceux et celles qui
étaient en position d’autorité pour y exiger le recomptage complet des votes et
y vérifier leur validité.
Lucien, nous vivons dans une
société où chacun a le droit de choisir ses maîtres et son pays. Je respecte
évidemment tes choix qui mettront sans nul doute tes enfants et petits enfants
à l’abri des huissiers qui, autrement, pourraient se présenter pour saisir
leurs biens. Je fais référence à cette image utilisée dans le document des
« lucides » auquel tu as participé. Je ne te cacherai pas que lorsque
j’avais lu cela, je m’étais dit que ce n’était pas possible que tu puisses
avoir cette angoisse pour tes enfants.
Quant à moi, je crois toujours à un
Québec indépendant, assez riche en matière première et en matière grise pour
assurer le développement d’un pays et la croissance d’une société nouvelle,
plus juste, plus solidaire, plus humaine et surtout plus indépendante et libre.
Au revoir
Oscar Fortin
Québec, le 14 septembre 2012
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