LA BONNE FOI INTELLECTUELLE SERA-T-ELLE AU RENDEZ-VOUS ?
Pendant que l’ancien secrétaire d’État, Tarcisio Bertone, se voit indiquer la porte de sortie, le
nouveau, Pietro Parolin, se voit confier la prestigieuse fonction de Secrétaire d’État du
Vatican ou, si l’on veut, celle de Premier ministre.
Tarcisio Bertone, suite aux révélations des
Vatileaks, se devait d’être écarté de ce poste de grande influence et, il faut
espérer, de tous les autres où des réformes majeures s’imposent. D’ailleurs, à
l’âge de 78 ans, il est plus que temps qu’il aille se recueillir dans un
monastère pour y prier pour son salut et celui des autres.
Le second, peu connu, est un diplomate de
carrière, présentement en fonction, au Venezuela. Il y est comme Nonce
apostolique depuis 2009. Il a bien connu Hugo Chavez et a reçu, à quelques
occasions, les recommandations de ce dernier quant aux pasteurs, évêques ou
cardinaux, que le Vatican devrait nommer pour le Venezuela.
QUI EST-IL VRAIMENT?
Il appartient à l’aile conservatrice de
l’Église. Son séjour au Venezuela comme Nonce apostolique en témoigne.
Il a côtoyé Hugo Chavez à quelques reprises
et il a pu observer pendant ces années les va-et-vient du gouvernement, de
l’opposition et surtout de l’épiscopat vénézuélien.
De quoi lui permettre de comprendre et de
placer dans sa véritable perspective le socialisme du XXIe siècle, de constater
la multiplication des consultations populaires tant sous la forme de référendums
que d’élections. Il a été témoin de ces mobilisations populaires et de ces appels
de Chavez et de ses lieutenants pour que le peuple participe à cette grande
révolution, inspirée d’un plus grand souci de justice à l’endroit des plus
défavorisés, de plus de vérité dans les communications, de plus compassion et
de solidarité pour les plus éprouvés. De quoi lui rappeler l’encyclique
sociale, PACEM IN TERRIS, que le pape Jean XXIII a laissé au monde peu de temps
avant de mourir.
De l’opposition, il aura été à même de
constater le traitement qu’elle fait de l’information à travers les grands
médias privés qu’elle contrôle, de voir comment elle dénigre Chavez et son
gouvernement, comment elle passe sous silence les actions de sabotage et les
révélations des complots pour assassiner le Président.
Il sait déjà, en arrivant en poste, que
l’Épiscopat vénézuélien a participé activement au coup d’État militaire de 2002, visant le renversement du gouvernement Chavez et l’élimination de ce
dernier. Il sait également toutes les pressions qu’a dû exercer le Vatican pour
faire accepter, en 2006, la nomination du nouvel Archevêque de Caracas en la
personne Jorge
Liberato Urosa Savino.
Les objections de Chavez pour cette nomination
se fondaient sur le fait que ce dernier avait été impliqué dans le coup d’état
militaire de 2002. Chavez disait aux envoyés du Vatican qu’il ne pouvait pas
accepter que ce collaborateur des oligarchies qui ont voulu renverser le
gouvernement et l’éliminer physiquement devienne l’archevêque de Caracas et,
par la suite, le cardinal du Venezuela.
En tant que Nonce apostolique et diplomate,
il a certainement vu les actions clandestines tramées par les forces de
l’opposition pour créer le chao en paralysant la distribution de l’alimentation
dans les grands marchés, en sabotant les réseaux électriques à des moments de
grande consommation. Il ne pouvait ignorer les efforts déployés par Washington
et les oligarchies locales pour éliminer physiquement le président Chavez.
Il a pu suivre l’évolution de la maladie de
Chavez, constater le courage de ce dernier pour vaincre ce cancer mystérieux. Il
a été témoin de sa dernière campagne électorale qui l’a conduit à une éclatante
victoire, le 7 octobre 2012.
Il a été témoin du témoignage de millions
de personnes qui ont pleuré sa mort et défilé pendant des jours devant son
cercueil. La grande foi de ce dernier qu’il n’a jamais caché au monde a dû
normalement le toucher.
Son poste et sa fonction lui permettaient donc
de voir tout cela et d’agir en conséquence. Qu’en a-t-il fait?
Dans
une entrevue accordée à un
journal local du Venezuela, Ultimas
noticias, il s’exprime sur divers sujets dont je ne retiendrai
que certains points qui nous éclairent un peu sur sa pensée. La traduction est
de l’auteur.
« L’arrivée
du pape François se situe dans la mouvance d’une Église toujours en
transformation. Son style et son option pour les pauvres ont aussitôt
transformé l’état de morosité et de déprime de l’Église en un état de réveil et
d’optimisme. »
« L’Église
a une option préférentielle pour les pauvres, mais cette option n’est ni excluante ni exclusive. »
Sur la théologie de libération et le marxisme, il
dit ceci : « L’Église ne peut pas assumer les catégories
marxistes de luttes des classes. C’est un des points qui posa problème avec la
théologie de libération qui s’appuie sur cette doctrine de la lutte des classes
pour développer sa doctrine. »
Selon
lui, l’Église propose toujours, comme
premier pas, la conversion des cœurs et l’éducation des personnes à la
solidarité, permettant ainsi de surmonter non seulement les problèmes
personnels, mais aussi les problèmes structurels de la société. Sur la
pauvreté, l’Église a un patrimoine énorme qu’est sa doctrine sociale. »
Dans une autre entrevue rapportée par Religion
Digital, il répond à la question de ce qu’il pense du
capitalisme sauvage dont a parlé le pape François.
« C’est effectivement préoccupant. L’Église ne cesse
de demander que l’économie soit plus humaine, plus éthique et plus morale. Elle
demande que soit corrigé les lois de l’économie qui privent la personne
humaine. De là naît ce sentiment d’amour aux pauvres, de solidarité, d’une
économie véritablement humaine qui aide au développement des personnes et non à
les humilier, à les blesser dans leur dignité. C’est un discours fondamental
pour l’Église et nous avons toutes les encycliques papales de Léon XII, jusqu’à
la Caritas in Veritate (2009) de Benoît XVI. »
Voilà une réponse qui illustre bien une tournure d’esprit qui permet
d’esquiver les vraies questions et qui se perd dans des généralités. Pourtant,
il sait bien que le capitalisme est un système qui sert les privilégiés de la
société au détriment des travailleurs et des plus démunis. Il sait que Chavez,
au Venezuela, cherche à briser ce cercle vicieux d’une économie qui oublie le
bien commun de la société. DE CELA IL NE DIT RIEN.
Personnellement, je suis scandalisé d’entendre cet homme de grande culture
et d’expérience diplomatique tenir un discours du siècle dernier, fondé sur des
perceptions dépassées et sur une théologie également dépassée.
N’a-t-il pas
vécu quatre années au Venezuela et n’a-t-il pas constaté que le socialisme du
XXIe siècle se comprend dans le combat concret d’un peuple à la conquête de sa
dignité? N’a-t-il pas réalisé, lui qui a parcouru le monde, que ce ne sont pas
les pauvres, ni les travailleurs, ni les immigrés qui excluent les riches, mais
les riches qui, par leur cupidité, en font des exclus?
Il épouse en tout point la pensée du cardinal de Caracas pour qui le socialisme
de Chavez est un projet marxiste totalitaire. Il suit en cela la tradition
de ses prédécesseurs. Qu’il y ait des élections et des référendums plus que
partout ailleurs, la démocratie n’existe pas. Que la participation du peuple
soit à tout moment sollicitée pour répondre à des impératifs de bien commun,
fait de Chavez un dictateur. Que les oligarchies se refusent à participer à la
solidarité du bien commun, c’est la faute du gouvernement qui les exclue.
Le Nonce apostolique parle de ce patrimoine extraordinaire de l’Église à
travers sa doctrine sociale. À l’écouter, on dirait qu’il n’a jamais lu l’encyclique
« Pacem in terris » (Paix sur terre) du pape Jean XXIII. Autrement,
il aurait découvert que la pensée sociale de cette encyclique rejoint sur de
nombreux points le socialisme du XXIe siècle de Chavez.
Pour terminer, je vous offre cette vidéo, prise en juillet 2010, où Chavez
s’en prend à son cardinal en présence du nonce apostolique Pietro Parolin. Avec
ce que je viens de vous dire, vous comprendrez que les propos de Chavez sont
amplement justifiés.
(Pour obtenir les sous-titres en français,
il faut d’abord, en pointant sur cc, demander sous-titres en espagnol, puis, en
pointant une autre fois sur cc, demandez traduction en français des
sous-titres)
CONCLUSION
Le pape François aura
beaucoup à faire pour que tels collaborateurs aient à tout le moins l’honnêteté intellectuelle de présenter
le portrait de la réalité telle qu’elle existe. En ce qui a trait au nouveau
Secrétaire d’État, son parti pris antimarxiste et son adhésion, à peine voilée,
au néolibéralisme est de nature à influencer ses perceptions et ses analyses.
Sa nomination vient
sans doute de nombreuses influences dont, à n’en pas douter, celle du pape
émérite Benoît XVI, toujours soucieux de garder à distance de la théologie de
libération une chrétienté qui s’y reconnaît toujours de plus en plus.
Il faudra voir. Le
nouveau secrétaire d’État va-t-il saisir, au contact du pape François, qu’il ne
suffit pas de donner un sandwich à manger aux pauvres, mais qu’il faut que
justice soit faite et, pour se faire, que les structures politiques et
économiques soient changées?
Pour le moment,
Washington peut dormir tranquille. Le nouveau Secrétaire d’État ne sera pas
celui qui lui causera du trouble en Amérique latine. S’il y a un changement de
régime au Venezuela par des voies autres que la démocratie, il faudra
comprendre que le gouvernement en aura été le premier responsable.
À moins, évidemment
qu’il convainc les oligarchies et Washington d’appliquer la méthode de la
conversion des cœurs et à développer une éducation à la solidarité humaine.
Méthode, développée surtout pour retenir les mouvements et les gouvernements
révolutionnaires.
Oscar Fortin
Québec, le 22
septembre 2013
Le silence de Benoît
XVI sur l’encyclique du pape Jean XXIII
1 commentaire:
Salut Oscar. Très beau rapprochement entre Jean XXIII et Hugo Chavez… auquel je n’avais jamais pensé. Malheureusement, ce n’est pas Pietro Parolin qui va révolutionner l’Église de Rome. Le pape François et Pietro Parolin peuvent parler des pauvres, de simplicité volontaire, d’accueil, de partage… sans jamais parler de justice sociale, de condamnation du néolibéralisme américain et du sionisme hégémonique. Ils ne dénonceront jamais le silence-radio des Nations Unis sur les guerres américaines, le blocus de Cuba, de Gaza, etc. On reconnait le bon arbre aux fruits qu’il porte… et nous risquons d’attendre longtemps. La démission de Benoit XVI demeure toujours obscure à mes yeux et nous cache bien des vérités.
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