PACEM
IN TERRIS (11 AVRIL 1963)
Peu de temps avant de mourir, alors qu’il se sait atteint d’un cancer
et que les activités conciliaires font branler les colonnes du temple, le bon
pape Jean XXIII, se concentre sur une seconde encyclique qui sera son testament pour à l’humanité (il
mourra en mai 1963). Secoué par les
rumeurs de guerre, hanté par la paix toujours aussi fragile, scandalisé par la
pauvreté qui est le destin de plus des deux tiers de l’humanité, une voix se
fait entendre en lui. Cette voix est celle que nous retrouvons dans son
Encyclique Paix sur Terre (Pacem in
Terris).
Cette paix tant recherchée ne sera jamais réalité si elle ne
trouve pas le terroir qui lui permettre
de croitre. Ce terroir comprend certains ingrédients qui lui sont
indispensables pour survivre. Au nombre
de ceux-ci, il y a, entre autres, la justice, la vérité, le respect des droits
fondamentaux des personnes.
1 - La paix sur la
terre, objet du profond désir de l'humanité de tous les temps, ne peut se
fonder ni s'affermir que dans le respect absolu de l'ordre établi par Dieu.
9 - Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde,
c'est le principe que tout être humain est une personne, c'est-à-dire une
nature douée d'intelligence et de volonté libre. Par là même, iI est sujet de
droits et de devoirs, découlant les uns et les autres, ensemble et immédiatement,
de sa nature : aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables (7).
11 - Tout être humain a droit à la vie, à l'intégrité
physique et aux moyens nécessaires et suffisants pour une existence décente,
notamment en ce qui concerne l'alimentation, le vêtement, l'habitation, le
repos, les soins médicaux, les services sociaux. Par conséquent, l'homme a
droit à la sécurité en cas de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse,
de chômage et chaque fois qu'il est privé de ses moyens de subsistance par
suite de circonstances indépendantes de sa volonté (8)
34 - La dignité de la personne humaine exige que chacun
agisse suivant une détermination consciente et libre. Dans la vie de société,
c'est surtout de décisions personnelles qu'il faut attendre le respect des
droits, l'accomplissement des obligations, la coopération à une foule
d'activités. L'individu devra y être mû par conviction personnelle ; de sa
propre initiative, par son sens des responsabilités, et non sous l'effet de
contraintes ou de pressions extérieures.
Une société fondée
uniquement sur des rapports de forces n'aurait rien d'humain : elle
comprimerait nécessairement la liberté des hommes, au lieu d'aider et
d'encourager celle-ci à se développer et à se perfectionner.
35 - Voilà pourquoi une société n'est dûment ordonnée,
bienfaisante, respectueuse de la personne humaine, que si elle se fonde sur la vérité, selon
l'avertissement de saint Paul : « Rejetez donc le mensonge ; que chacun de vous
dise la vérité à son prochain, car nous sommes membres les uns des autres (25).
» Cela suppose que soient sincèrement reconnus les droits et les devoirs
mutuels. Cette société doit, en outre, reposer
sur la justice, c'est-à-dire sur le respect effectif de ces droits et sur
l'accomplissement loyal de ces devoirs ; elle doit être vivifiée par l'amour, attitude d'âme qui fait éprouver à chacun
comme siens les besoins d'autrui, lui fait partager ses propres biens et incite
à un échange toujours plus intense dans le domaine des valeurs spirituelles.
Cette société, enfin, doit se réaliser dans la liberté, c’est-à-dire de la
façon qui convient à des êtres raisonnables, faits pour assurer la
responsabilité de leurs actes.
Trois traits
caractérisent de notre époque
40 - D'abord la promotion économique et sociale des classes
laborieuses. Celles-ci ont, en premier lieu, concentré leur effort
dans la revendication de droits surtout économiques et sociaux ; puis elles ont
élargi cet effort au plan politique ; enfin au droit de participer dans les formes
appropriées aux biens de la culture.
41 - Une seconde constatation s'impose à tout observateur : l'entrée
de la femme dans la vie publique, plus rapide peut-être dans les
peuples de civilisation chrétienne ; plus lente, mais de façon toujours ample,
au sein des autres traditions ou cultures. De plus en plus consciente de sa
dignité humaine, la femme n'admet plus d'être considérée comme un instrument ;
elle exige qu'on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la
vie publique.
43 - Les
hommes de tout pays et continent sont aujourd'hui citoyens d'un Etat autonome
et indépendant, ou ils sont sur le point de l'être. Personne ne veut être soumis à des pouvoirs politiques étrangers à sa
communauté ou à son groupe ethnique.
45 - Et une fois que les normes de la vie collective se
formulent en termes de droits et de devoirs, les hommes s'ouvrent aux valeurs
spirituelles et comprennent ce qu'est la vérité, la justice, l'amour, la
liberté ; ils se rendent compte qu'ils appartiennent à une société de cet
ordre. Davantage : ils sont portés à mieux connaître le Dieu véritable,
transcendant et personnel. Alors leurs rapports avec Dieu leur apparaissent
comme le fond même de la vie, de la vie intime vécue au secret de l'âme et de
celle qu'ils mènent en communauté avec les autres.
51 - L'autorité exigée par l'ordre moral émane de Dieu. Si donc il arrive aux dirigeants d'édicter
des lois ou de prendre des mesures contraires à cet ordre moral et par
conséquent, à la volonté divine, ces dispositions ne peuvent obliger les
consciences, car « il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (34) ». Bien
plus, en pareil cas, l'autorité cesse d'être elle-même et dégénère en
oppression. « La législation humaine ne
revêt le caractère de loi qu'autant qu'elle se conforme à la juste raison ;
d'où il appert qu'elle tient sa vigueur de la loi éternelle. Mais dans la
mesure où elle s'écarte de la raison, on
la déclare injuste, elle ne vérifie pas la notion de loi, elle est plutôt une
forme de la violence (35). »
La réalisation du bien commun, raison d’être des pouvoirs
publics
53 - Tous les individus et tous les corps intermédiaires
sont tenus de concourir, chacun dans sa sphère, au bien de l'ensemble. Et c'est en harmonie avec celui-ci qu'ils
doivent poursuivre leurs propres intérêts et suivre, dans leurs apports - en
biens et en services - les orientations que fixent les pouvoirs publics selon
les normes de la justice et dans les formes et limites de leur compétence.
Les actes commandés par l'autorité devront être parfaitement corrects en
eux-mêmes, d'un contenu moralement bon, ou tout au moins susceptible d'être
orienté au bien.
56 - Ensuite, la
nature même de ce bien impose que tous les citoyens y aient leur part, sous
des modalités diverses d'après l'emploi, le mérite et la condition de chacun. C'est pourquoi l'effort des pouvoirs
publics doit tendre à servir les intérêts de tous sans favoritisme à l'égard de
tel particulier ou de telle classe de la société. Notre prédécesseur Léon
XIII le disait en ces termes : « On ne
saurait en aucune façon permettre que l’autorité civile tourne au profit d'un
seul ou d'un petit nombre, car elle a été instituée pour le bien commun de tous
(40). » Mais des considérations de justice et d'équité dicteront parfois
aux responsables de l'Etat une
sollicitude particulière pour les membres les plus faibles du corps social,
moins armés pour la défense de leurs droits et de leurs intérêts légitimes
(41).
58 - Ces principes sont en parfaite harmonie avec ce que
Nous avons exposé dans Notre encyclique Mater et Magistra : « le bien commun embrasse l’ensemble des
conditions de vie en société qui permettent à l'homme d'atteindre sa perfection
propre de façon plus complète et plus aisée (43). »
62 - C'est donc là un
devoir fondamental des pouvoirs publics d'ordonner les rapports juridiques
des citoyens entre eux, de manière que l'exercice des droits chez les uns
n'empêche ou ne compromette pas chez les autres le même usage et s'accompagne
de l'accomplissement des devoirs correspondants. Il s'agit enfin de maintenir
l'intégrité des droits pour tout le monde et de la rétablir en cas de violation
(47)
65-Mais il faut toujours rappeler ce
principe : la présence de l'Etat dans le domaine économique, si vaste et
pénétrante qu'elle soit, n'a pas pour but de réduire de plus en plus la sphère
de liberté de l'initiative personnelle des particuliers, tout au contraire elle
a pour objet d'assurer à ce champ d'action la plus vaste ampleur possible,
grâce à la protection effective, pour tous et pour chacun, des droits
essentiels de la personne humaine. (65 en Pacem in terris)
78 - On ne peut, certes, admettre la théorie selon laquelle
la seule volonté des hommes - individus ou groupes sociaux - serait la source
unique et première d'où naîtraient droits et devoirs des citoyens, et d'où
dériverait la force obligatoire des constitutions et l'autorité des pouvoirs
publics (52).
79 - Toutefois, les tendances que Nous venons de relever le
prouvent à suffisance : les hommes de
notre temps ont acquis une conscience plus vive de leur dignité ; ce qui les
amène à prendre une part active aux affaires publiques et à exiger que les
stipulations du droit positif des États garantissent l'inviolabilité de leurs
droits personnels. Ils exigent en outre que les gouvernants n'accèdent au
pouvoir que suivant une procédure définie par les lois et n'exercent leur
autorité que dans les limites de celles-ci.
Conclusion
Le pape Jean XXIII, dans son encyclique Mater et Magistra exhorte tous
les centres d’enseignement sous l’autorité de l’Église à diffuser cet
enseignement de la pensée sociale de l’Église.
« Nous demandons
qu’elle soit enseignée comme matière obligatoire dans toutes les écoles
catholiques à tous les degrés, surtout dans les séminaires, sachant du reste
que, pour plusieurs d’entre eux, c’est, depuis longtemps, chose faite et très
bien faite. Nous désirons aussi que la doctrine sociale de l’Église figure au
programme de formation religieuse des paroisses comme des associations
d’apostolat des laïcs et qu’elle soit propagée par tous les moyens modernes de
diffusion : quotidiens et périodiques, ouvrages scientifiques ou de
vulgarisation, émissions radiophoniques et télévisées. » (223)
Je me permets de
signaler que cet enseignement de la doctrine sociale telle qu’exposée par le
pape Jean XXIII n’a jamais fait partie de mes études tant philosophiques que
théologiques (1961-1969). C’est tout
dire du peu d’importance qu’on accordait alors à cette doctrine qui n’était pas
sans soulever beaucoup de questions aux bien pensants de nos sociétés. Lorsque
je suis parti pour le Chili en 1969, je n’avais aucune notion de cette
doctrine, pourtant de grande importance pour l’Amérique latine où j’allais
servir les grandes valeurs évangéliques de la justice, de la vérité, de la
solidarité, de la participation, de la compassion et de l’engagement.
Heureusement que la déclaration de Medellin, en 2008, en rappela certains points importants.
Au terme de ce survol rapide de la pensée sociale du pape Jean XXIII,
je ne puis qu’inviter les lecteurs et lectrices à poursuivre la lecture de ces
deux importants documents de la pensée sociale de l’Église. Une lecture qui
vous rapprochera inévitablement de ce que des chrétiens et chrétiennes engagées
en Amérique latine mettent de plus en plus en pratique à travers ce que Chavez
a appelé le Socialisme du XXIe siècle.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ils
ont pour adversaires de nombreux évêques et l’aile oligarchique de la
chrétienté. Que l’on regarde du coté du Honduras, du Venezuela, de la
Bolivie, de l’Équateur, les cardinaux de chacun de ces pays s’allient aux
puissances impériales pour les combattre.
« Nous avons
établi des normes et des principes que Nous vous supplions non seulement de
méditer, mais, autant qu’il sera en votre pouvoir, de faire passer dans la
réalité. Si chacun de vous se donne à cette tâche avec courage, il ne manquera
pas par là de contribuer dans une large mesure à affermir sur terre le règne du
Christ, « règne de vérité et de vie, règne de sainteté et de grâce ;
règne de justice, d’amour et de paix », d’où nous passerons un jour au
bonheur du ciel, pour lequel nous avons été créés et que nous appelons de tous
nos vœux. »
(261)
Après 51 ans de sa mort,
il sera finalement reconnu par l’Église comme saint. Celui qui l’accompagnera
sur les autels de la sainteté, Jean-Paul II, il ne lui aura fallu que neuf ans
pour franchir toutes ces étapes. On dit que Jean XXIII n’a pas de miracle pour
venir attester sa canonisation, mais il est là, toujours aussi humble, pour
nous rappeler la bonté et l’ouverture au monde.
Oscar Fortin
Le 23 avril 2014
http://www.ensayistas.org/critica/liberacion/medellin/
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