mercredi 8 avril 2015

OEA: LORSQUE L'EMPIRE SE FAIT RAPPELER À L'ORDRE






« Un empire n’existe que par ses subordonnés. Le jour où ces derniers décident de ne plus en être, il perd toute sa raison d’être. »

L’Organisation des États américains (OEA) se réunira à Panama les 10 et 11 avril pour son VIIè Sommet. Une rencontre qui fera histoire. Pour la première fois, depuis ces Sommets, inaugurés, en 1994, Cuba en fera partie comme membre de plein droit. On se rappellera que sous la pression des États-Unis, Cuba avait été exclue et ne pouvait participer à ces Sommets.

Il importe de rappeler que la création de l’OEA a pour premier objectif des pays membres « un ordre de paix et de justice, de maintenir leur solidarité, de renforcer leur collaboration et de défendre leur souveraineté, leur intégrité territoriale et leur indépendance »

Si tel était le cas, il faudrait se réjouir de la déclaration des pays membres de la CELAC faisant de l’Amérique latine et des Caraïbes un territoire de paix. Il faudrait également se réjouir de l’affirmation toujours plus forte de l’indépendance et de la souveraineté des peuples et des États de la région. IL faudrait en même temps condamné cette présence massive des bases militaires étasuniennes dans différents pays du Continent de même que l’usurpation de territoire comme c’est le cas en Argentine avec les Malouines occupées par la Grande-Bretagne, et comme c’est également le cas à Cuba où toute une partie de son territoire, Guantanamo, est occupée par les États-Unis, signataire de la Charte de l’OEA.

Cet objectif honorable doit se comprendre comme devant être soumis à la régence des États-Unis qui s’assureront que l’indépendance et la souveraineté recherchée tout comme la protection des territoires nationaux cadrent bien avec les objectifs et les intérêts des États-Unis d’Amérique. Ceci explique le fait que son influence lui ait permis, tout au long de ces années, d’imposer sa vision et ses volontés sur le Continent. Il s’assurera que les dirigeants des soient des alliés fidèles à ses politiques. Il se fera le promoteur de la création d’une Commission interaméricaine des droits de l’homme qu’il s’abstiendra de signer lui-même. Un outil fait sur mesure pour décider les pays où ces droits sont bafoués, lesquels sont par hasard les pays qui résistent à toute puissance impériale. C’est actuellement le cas pour le Venezuela qui est devenu tout d’un coup une grande menace pour la sécurité nationale des États unis et auteur du non-respect des droits de l’homme.

Cette lune de miel de l’OEA comme outil de contrôle et de manipulation des pays du Continent a connu ses premiers affrontements au Sommet de Québec, en 2000, avec la participation de ce nouveau président du Venezuela, Hugo Chavez. Ce dernier s’est permis d’aborder certains sujets, dont celui de la démocratie participative, nouveau concept mettant en relief les limites des démocraties représentatives. Il demanda alors aux pays membres de se prononcer pour faire de la démocratie participative l’outil privilégié des peuples pour exercer le pouvoir de façon de répondre en priorité au bien commun de tous et de toutes. Sa proposition, comme il fallait s’y attendre, ne fut pas acceptée.

Le second signal d’un changement dans le comportement des pays de l’Amérique latine s’est manifesté au IVe Sommet de l’OEA, en 2005, à MAR de Plata. À cette époque, l’Argentine était sous la gouvernance d’Hector Kirchner, celui qui avait sauvé le pays du désastre économique des années 2000-2003. Il était donc l’hôte de ce Sommet, particulièrement important dû au fait qu’il traiterait de l’établissement d’une zone de libre-échange à laquelle les États-Unis et ses alliés tenaient à tout prix. Ce fut un échec retentissant. Un bloc important de l’Amérique latine, avec à sa tête Hugo Chavez et Nestor Kirchner s’opposèrent à un tel accord de zone de libre-échange, soutenus, en cela, par les mouvements sociaux. Pour une fois, l’Amérique latine disait non aux volontés de l’Empire.

Le troisième signal, sans doute le plus important de tous, est celui du regroupement de tous les pays de l’Amérique latine derrière le Venezuela pour condamner le Décret qu’a signé le président Obama dans lequel il déclare le Venezuela comme une menace sérieuse à sa sécurité nationale et réclamer sa suppression.

L’Amérique latine, depuis le début des années 2000, s’est dotée de nombreux regroupements d’intégration régionale : UNASUR, ALBA, CELAC, MERCOSUR. Ce sont là des instances qui grugent sur le monopole exercé traditionnellement par les États-Unis sur les activités économiques, politiques et sociales. Tout cela se réalise sous la mouvance des nouvelles démocraties participatives qui renforce le pouvoir des peuples sur leur devenir collectif. Il est bon de rappeler que c’est ce pouvoir du peuple qui fit déraper le coup d’État, réalisé au Venezuela, en avril 2002. C’est également le peuple qui sauva à plusieurs reprises Evo Morales, devenu depuis son élection en 2005, l’ennemi à abattre. Ce fut également le cas, en équateur, lorsque le peuple est venu, en 2010, à la rescousse de Rafael Correa pris au piège par une fraction de l’armée et de la police nationale.

Que va-t-il donc se passer à ce VIIè Sommet à Panama ?

Le président Obama, avec son projet de Décret, a annulé complètement les effets positifs sur lesquels il aurait pu compter pour redorer son image et celle de son pays à l’endroit des représentants de l’Amérique latine et des Caraïbes. En même temps qu’il reconnaissait que la politique des sanctions contre Cuba depuis plus de 50 avait été un fiasco, il entame l’usage de moyens semblables contre le Venezuela, allié indéfectible de Cuba. Peu de temps après, il arrive avec un décret qui devient, techniquement une véritable déclaration de guerre contre le peuple vénézuélien. Ce fut l’élément déclencheur d’une mobilisation continentale et même mondiale en soutien au Venezuela et de condamnation. Près de 10 millions de signatures du peuple vénézuélien et des centaines de milliers d’autres d’un peu partout à travers le monde.

Ce sont les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes qui vont se présenter en compagnie du Président de Cuba, Raoul Castro à ce Sommet des Amériques. Ils vont réclamer qu’Obama annule son décret contre le Venezuela, qu’il dégage ses bases militaires du territoire de paix qu’est devenu celui des Caraïbes et de l’Amérique latine, qu’il donne suite à l’article 1 de la constitution de l’OEA qui demande de respecter l’indépendance et la souveraineté des États. Il ne fait pas de doute qu’ils vont également insister pour que le blocus contre Cuba soit levé immédiatement et que soit mis fin à l’approche impériale qui caractérise les politiques des États-Unis avec les pays latino-américains et Caribéens.


Ce serait rêver en couleur que de penser que le président Obama s’incline devant ces demandes. Par contre, il lui faudra sauver la face d’une façon ou d’une autre. Il pourra compter, je pense bien, sur la présence du représentant du papa François en la personne du Secrétaire général du Vatican, Pietro Parolin. Je ne doute pas un instant que ce message du pape François aura été minutieusement concerté avec Washington de manière à avoir un impact positif sur son image sans trop nuire celle des autres participants. Je ne serais pas surpris que le Vatican demande à Obama de retirer son Décret en échange des prisonniers réclamés par la droite vénézuélienne et une délégation d’ex-présidents de divers pays de l’Amérique latine qui seront à Panama pour présenter cette requête.

Je ne vois pas comment le Venezuela pourrait répondre positivement à ce marché de dupes. Les prisonniers sont en prison pour des crimes commis alors que le Décret d’Obama n’a aucune base juridique internationale. La procédure de justice suit son cours dans le cadre d’une Constitution reconnue par le peuple et respectée par le gouvernement.

On verra bien, si l’essentiel de l’information, couvrant ce Sommet, portera prioritairement sur ce qui va se passer à l’extérieur du cénacle de ce sommet. Il faut en être bien conscient, la guerre qui va se livrer à Panama, lors de ce Sommet, va en être une de communication. À cette fin, deux évènements majeurs vont se produire, impliquant des représentants, bien sélectionnés, de milieux sociaux dont un premier groupe se portera à la défense de l’impérialisme et contre ceux qui s’y opposent et un second groupe qui s’affirmer anti-impérialiste et en faveur des pays émergents.

Le premier groupe se réunira sous le chapeau  du Sommet de la société civile auquel participeront, pour la très grande majorité, des représentants opposés aux gouvernements du Venezuela et de Cuba. Les organisateurs de ce Sommet, dont l’une des principales représentantes est la Panaméenne Magaly Castillo, une personne très proche de l’Ambassade des Etats-Unis à Panama. Elle fait partie d’une organisation qui opère sous de nom d’Alliance citoyenne pour la Justice. Elle fut honorée, en 2012,  par l’Ambassade des États-Unis à Panama du prix international des Femmes courageuses, que lui ont présenté Hilary Clinton et la première dame des États-Unis, Michelle Obama. Des représentants d’organisations sociales de Puerto Rico, du Mexique, de Cuba, se virent refuser leur participation à ce Sommet. Ils ne répondaient pas aux critères de sélection.

Au même moment se déroulera le Sommet des Peuples qui se définira comme anti-impérialiste et qui regroupera les représentants de toutes les organisations sociales, clairement engagées dans cette lutte. À ces rencontres participeront certains présidents des pays émergents comme Evo Morales et d’autres comme Maduro et Ortega.

Il ne fait pas de doute que ce Sommet des Peuples, se déroulant simultanément avec celui des présidents de l’OEA, attirera l’attention des médias et permettra ainsi au président Obama d’échapper aux médias et de respirer un  peu mieux.

Les 9, 10 et 11 avril nous révéleront les stratégies des uns et des autres et nous verrons bien quel avenir peut avoir cette organisation qu’est l’OEA. Par ses principes et objectifs, elle est incompatible avec l’impérialisme de sorte que ses membres ne sauraient s’accompagner d’un représentant impérial en son sein.

Le président de Cuba peut nous réserver des surprises en cette première présence à ces Sommets de l’OEA. Il est également possible que ce soit le chant du cygne du monde unipolaire soumis à un grand patron qui décide de ce qui est bon et pas bon pour lui.

Une chose est certaine, c’est que l’Empire se retrouve face à un Continent qui lui dit non, c’est fini, nous ne sommes plus tes dépendances.et nous n’avons plus besoin d’un empire pour nous dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire. On peut se demander jusqu’à quel point l’OEA saura résister à ces contradictions internes impliquant un membre qui se considère toujours comme l’empereur du continent et des peuples qui se considèrent de plus en plus comme souverains et indépendants de tout empire?



Oscar Fortin

Québec, le 8 avril 2015


2 commentaires:

Marius MORIN a dit...

Dans le but d’éclairer les lecteurs, je précise que font partie de l’OEA, 35 États indépendants des Amériques, incluant le Canada, à la table gouvernementale du Continent, et qu’il y a aussi 69 autres pays observateurs permanents. Les principaux piliers de cet organisme continental sont la démocratie, les droits de l’homme, la sécurité et le développement.

Oscar Fortin a dit...

Merci Marius pour ces précisions