Cette photo, prise quelques jours avant le
conclave pour l’élection du pape, nous montre le cardinal Ouellet, candidat
potentiel largement mentionné par les médias, et le cardinal Bergoglio, peu connu du grand public. Comme on le voit,
il pleut sur la Place Saint-Pierre et le cardinal Ouellet, plus prévoyant que
son homologue argentin, dispose d’un parapluie à la mesure de son statut. Par
contre, le cardinal Bergoglio n’a pas eu cette même prévoyance et doit se
résigner à la pluie qui lui tombe dessus.
Le destin, étant ce qu’il est, a fait en sorte
que le cardinal Bergoglio soit l’élu de l’ensemble des cardinaux pour occuper
le siège de Pierre. Une surprise pour l’Église entière, mais aussi pour ceux
qui pouvaient espérer un tel poste. Comment ce cardinal jésuite argentin, venu
de la fin du monde, pouvait-il assumer
ce haut poste dans l’Église universelle et dans l’État du Vatican ?
Le cardinal Ouellet,
qualifié d’homme d’Église et de doctrine, avait pour ainsi dire le vent dans
les voiles et ses fidèles alliés n’attendaient que le signal de la fumée
blanche et la proclamation de son nom, pour célébrer avec tous les honneurs ce
nouveau pape, issu d’une humble famille du Nord-ouest québécois. Tous les
ingrédients pour en faire un pape, sachant valoriser l’autorité institutionnelle
et la doctrine de l’Église, étaient là. Malheureusement, pour lui et ses
promoteurs, l’Esprit-Saint, comme on aime s’y référer dans le milieu, en a décidé autrement.
Le cardinal Bergoglio,
peu connu au moment de son élection au Pontificat, avait la réputation, en Argentine, d’être un
cardinal proche de ses concitoyens et concitoyennes. Il vivait humblement dans
un petit appartement, se cuisinant lui-même les repas. Il prenait les
transports en commun pour se déplacer d’un coin à l’autre de son diocèse. Il
savait se faire proche des humbles et laissés pour compte.
Son élection a donc été une grande surprise pour
le monde, mais sa première apparition a été la révélation d’un pasteur « nouveau
style » dans cette enceinte de la Curie romaine et de l’État du Vatican.
Il a commencé par demander à la communauté chrétienne, présente sur la Place Saint-Pierre,
de le bénir et de prier pour lui. Un geste qui remet la pointe de la pyramide
ecclésiale au plus bas et sa partie opposée, le peuple croyant, au plus haut.
Il s’est par la suite identifié comme évêque de Rome pour ensuite révéler le
sens que prendrait son Pontificat, placé sous le patronage de François d’Assise
à qui le Seigneur avait demandé de rebâtir son Église.
Depuis maintenant trois ans qu’il agit comme
Pasteur de l’Église de Rome et de l’Église universelle. Nous commençons à
saisir le sens de ses premiers gestes et paroles. Pour ceux et celles qui le suivent de plus
près, il est de ceux qui remettent l’Évangile au cœur de l’Église et qui lui
donnent la primauté sur les institutions et les doctrines. Ainsi, il restitue
l’Église à l’Humanité entière, faisant du témoignage de Jésus et de son
enseignement le ferment pouvant lui assurer la paix, la justice, la solidarité,
la compassion, la vérité et la miséricorde gratifiante et humanisante.
Dans sa première entrevue, accordée à une revue jésuite, il répondit
à la question de savoir qui était Jorge Bergoglio, « Je ne sais pas quelle est la définition la plus juste... Je suis un
pécheur. C’est la définition la plus juste... Ce n’est pas une manière de
parler, un genre littéraire. Je suis un pécheur. » Poursuivant sa réflexion, il
ajoute toutefois: «Si, je peux peut-être dire que je suis un
peu rusé , que je sais manœuvrer, mais
il est vrai que je suis aussi un peu ingénu. Voilà les quatre traits
principaux par lesquels il se définit : pécheur, rusé, ingénu et bon manœuvre.
Il faut croire que ces quatre caractéristiques
mentionnées l’ont bien servi au cours des trois années de son Pontificat. Il a
su manœuvrer la gestion du personnel sans faire trop de vagues dans les
dicastères. Il en fut de même avec ses principales nominations qui ont été
relativement bien acceptées. Au nombre de ces dernières, on peut mentionner
celle de Pietro Parolin
en tant que secrétaire d’État du Saint-Siège. Beaucoup d’autres, comme ce fut
le cas pour le cardinal Ouellet, ont été reconduits dans leurs fonctions. La
composition du comité spécial de cardinaux (G.8
puis G-9) pour conseiller le pape n’a pas projeté l’image de personnes
déterminées à brasser la cage de la Curie romaine. Ils sont, dans leur
ensemble, de profil plus conservateur modéré que libéral déterminé au
changement. La présence du cardinal
Maradiaga à tête du G-9 est à ce titre passablement rassurante pour les
conservateurs et surtout pour l’influent lobby de Washington auprès du Saint-Siège.
Tout en donnant l’image d’un progressiste, il demeure foncièrement conservateur
et emblématique.
Le pape François, pendant que les analyses de
réforme de la Curie et de la Banque du Vatican se poursuivent, se déplace dans
le monde, fait entendre le message évangélique en l’inscrivant dans les
réalités humaines, sociales, politiques et économiques. Sa première encyclique
qui lui est exclusive, Evangelii-gaudium,
ne fait pas usage de la langue de bois pour parler du système économique
capitaliste qui domine actuellement le monde. Son langage direct, ses références précises ne laissent personne
indifférent. Dans sa seconde encyclique, Laudato
si, il approfondit le sens de cette grande maison commune où tout ce qui
vit est relié et se conditionne mutuellement. La vie porte avec elle la diversité
tout en générant la solidarité. Sa toute dernière intervention, « Amoris Laetitia » renvoie aux évêques locaux le pouvoir de
décider de l’accès ou non de la communion aux personnes divorcées et remariées.
Par ce geste, il décentralise le pouvoir de la Curie.
Dans un article
du jour, on y signale le malaise que ressentirait le cardinal Ouellet à
travailler avec le pape François. Il est
évident que le point de vue de ce
dernier va beaucoup plus dans le sens de l’ouverture des esprits aux réalités
du monde contemporain et de l’accueil des personnes telles qu’elles sont et
avec ce qu’elles ont. Le Seigneur reçoit qui veut bien s’en approcher.
On peut comprendre que le cardinal Marc Ouellet,
soucieux de l’Institution et de la doctrine, se retrouve en terrain étranger
avec ce pape qui place ces deux éléments au service d’une humanité en quête de
justice, de vérité, de solidarité et de paix. Là où le pape met l’esprit
évangélique avant tout, le cardinal met la doctrine. Lorsque les deux
concordent, il n’y a pas de problème, mais lorsqu’ils ne concordent pas, il y a
un problème. Pour le pape, l’esprit
évangélique passe avant toute doctrine qui ne s’y harmonise pas.
L’article en question laisserait entendre que le
cardinal se plaindrait du fait que le pape ne suit pas toujours ses conseils
quant au choix des candidats proposés à l’épiscopat. Sur ce point, le cardinal n’a pas voulu parler
de cette question avec les journalistes. C’est sans doute qu’il réalise que ce
n’est pas le pape qui doit s’ajuster à lui, mais plutôt lui, comme conseiller,
qui doit s’ajuster à ses attentes et orientations. Il lui appartient de saisir
certains signaux que les décisions du pape lui envoient, Il est évident que s’il
réalise qu’il ne peut pas s’ajuster aux orientations du pape, il n’a pas autre
chose à faire que de donner sa démission.
Les voies de Dieu sont mystérieuses et font
souvent appel à beaucoup d’humilité, de compassion et de miséricorde. Trois
composantes qui s’accommodent mal avec la doctrine, les lois et le pouvoir. On
peut comprendre que le cardinal Ouellet
puisse se retrouver en eau trouble.
Oscar Fortin
Le 19 avril 2016
http://humanisme.blogspot.com
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