PAPE D’ÉGLISE OU
D’HUMANITÉ?
En
écrivant une brève
présentation du personnage, à la suite de l’annonce de l’élection d’un
nouveau pape, en la personne du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio, je
voulais partager quelques informations générales et mes premières impressions sur
l’élu de cette élection.
Je
réalise que cette brève présentation a suscité beaucoup d’intérêts et a donné
lieu à de nombreux commentaires, tous aussi intéressants et pertinents les uns
que les autres. Loin de me scandaliser, j’y trouve un intérêt renouvelé pour permettre
à la vérité d’émerger de ce qui se dit et se raconte. Je suis bien conscient
que la méfiance est bien là devant les nouveaux venus qui se présentent sous
leurs plus beaux attraits.
François,
nouveau nom de l’élu, n’échappe pas à ces interrogations d’autant moins qu’il
est perçu par les uns comme ayant les deux pieds avec la droite oligarchique de
son pays, par d’autres, comme un allié discret de la gauche émergente et
inspirée par la théologie de libération, enfin pour un certain nombre d’autres
comme quelqu’un qui a un pied avec l’un et un pied avec l’autre.
Je
pense qu’il y a suffisamment d’éléments, certains plus sérieux que d’autres,
pour justifier des interrogations. Dans tous les cas, il y a place à l’analyse
et aux échanges.
Il y
a deux grands problèmes qui reviennent régulièrement pour disqualifier, selon
les points de vue, les actions de Jorge Mario Bergoglio.
LA QUESTION DES PRÊTRES EXPULSÉS EN COLLABORATION
AVEC LA JUNTE MILITAIRE
Le
plus important est sans nul doute celui, alors qu’il était provincial des
jésuites, de sa soi-disant collaboration
avec la junte militaire de l’époque (1976-1983). Il lui est reproché d’avoir
dénoncé et fait expulsé du pays deux prêtres, engagés en solidarité avec les
populations les plus persécutées et les plus défavorisées du pays. L’auteur du
livre « El silencio », publié en 2005, s’appuie sur le témoignage
d’un de ces deux prêtres, malheureusement décédé en 2001. Le second prêtre,
pour sa part, n’a jamais confirmé ces faits et chaque fois qu’il se rend en
Argentine pour y revoir des amis, il rend visite au Cardinal avec qui il mange et célèbre la
messe. Une relation qui ne semble pas marquée par l’horreur du récit qui est
présenté.
En
2010, une militante de la gauche chrétienne, Clelia Luro, la compagne du
regretté Jeronimo Podesta, Évêque marié de la diaspora ecclésiale, transmet une
note en relation à la politicaillerie argentine qui cherche par tous les moyens
de créer un affrontement entre le gouvernement et l’Église catholique. C’est
comme si ces gens voulaient que la gauche discrédite en tout l’Église.
Toujours
est-il que cette femme s’est portée à la défense du cardinal Bergoglio en
réfutant les affirmations du journaliste Horacio Verbitsky, auteur du livre, à
l’effet que les deux prêtres avaient été livrés aux militaires par Bergoglio.
Elle rappelle qu’Alicia Olivera, alors membre des droits humains, témoigna, en
son temps, qu’elle était présente lorsque Bergoglio se confronta avec le
militaire Massera, lui arrachant la liberté et la sortie du pays de ces
deux prêtres détenus par ce dernier.
Bergoglio
réfuta sans cesse ces allégations de collaboration avec la Junte militaire et
tout spécialement celles relatives à l’arrestation de ces deux prêtres. Il a plutôt
déclaré avoir aidé ces deux prêtres ainsi que plusieurs autres militants durant
la dictature militaire.
On
raconte que le gouvernement de Kirchner et celui de Cristina Fernandez ont
fouillé dans toutes les archives pour lui trouver quelque responsabilité que ce
soit dans cette collaboration, mais ce fut sans succès.
N’empêche
que cette question demeure toujours un point d’interrogation, le témoin
principal étant décédé, le doute subsiste selon que l’on croit une ou l’autre
version. Dans ces circonstances, à chacun de croire qui il veut. Dans mon cas,
je crois la version de l’innocence.
L’AFFRONTEMENT DU CARDINAL AVEC LE
GOUVERNEMENT SUR DES QUESTIONS DE MORALE.
Le
second grand problème est celui de l’opposition du cardinal avec le
gouvernement, surtout sur les questions de l’avortement et du mariage des
personnes de même sexe. Sur ce point, il faut le dire, le cardinal est ce qu’il
y a de plus traditionnel. Sa théologie rejoint celle de ses prédécesseurs.
Cette
opposition prévisible ferait partie des choses normales si ce n’était l’usage
qu’en font les médias de communication pour y ajouter toute sorte d’ingrédients
qui sapent encore davantage les différents. Il y a comme une volonté de couper
tout lien, de l’Église incarnée par Bergoglio avec les gouvernements progressifs
des Kirchner et Fernandez.
Clarin,
le journal de plus grande diffusion en Argentine et propriété des familles les
plus riches et puissantes du pays, n’a de cesse de manipuler les faits, d’en
inventer, d’en taire, d’en modifier, de les placer hors contexte pour créer
cette fissure entre le cardinal et le gouvernement.
À QUOI PEUT-ON S’ATTENDRE?
Comme
plusieurs l’ont déjà observé, il y a des changements cosmétiques qui frappent
les sensibilités, mais qui ne changent pas grande chose dans les fondements. Les
véritables changements doivent porter sur les nouveaux paradigmes dont j’ai
déjà parlé dans mon article « Un pape pour l’humanité ».
« Le
Pape, phare d’humanité, doit être d’abord et avant tout un témoin comme Jésus
l’a été et comme le furent ses disciples, Pierre et tous les autres. Il doit
être le témoin de première ligne du nouveau paradigme du règne du père sur
terre. Le plus grand se fait le plus petit et le plus petit devient le plus
grand. Les derniers sont les premiers et les premiers sont les derniers. »
Le pape
François a, selon ma perception, le profile de celui qui peut non seulement
descendre du piédestal pour rejoindre les gens là où ils sont, mais il faire sa
demeure. L’avenir nous dira jusqu’où il ira dans cette voie.
À ce
changement plus perceptible, il y en a d’autres, moins perceptibles, mais tout
aussi importants. Je me permets d’en relever un certain nombre, sans prétendre
d’être exhaustif.
Le premier qui me vient à l’esprit est
celui qui fera passer d’une Église
moralisatrice à une Église d’accompagnement et de témoignage. L’histoire
nous révèle que la crédibilité de l’Église n’a pas toujours été au rendez-vous des
cultures et des civilisations. D’ailleurs, l’Évangile
n’est pas d’abord et avant tout une morale, mais plutôt une façon d’être et
d’exister.
Il
est certain que cette lutte contre l’avortement et le mariage des personnes de
même sexe se poserait bien différemment si la présence de l’Église dans le
monde en était une d’accompagnement et de témoignage de vie. Sa prétention à
vouloir enrégimenter le comportement des humains ne cadre pas toujours avec sa
mission d’annoncer la bonne nouvelle aux pauvres et aux gens de bonne volonté.
Elle devrait témoigner de la justice en s’y engageant, sur la vérité en y
dénonçant les manipulations, la solidarité en y étant et le compassion en
s’élevant au-delà de sa morale et de ses protocoles.
Le second changement est celui de la décentralisation complète de la gestion
de l’Église et la reconnaissance à tous les niveaux de la diversité des dons de
l’Esprit. Dans l’organisation actuelle de l’Église, tous les dons sont
centralisés à Rome, y inclus ceux des prophètes, des théologiens, des
gestionnaires.
Les
premiers gestes du nouveau pape François révèlent une reconnaissance de la
communauté des croyants en leur demandant d’intercéder pour que le Christ le
bénisse lui-même. Un geste symbolique qui peut être un geste précurseur.
Le troisième changement est celui
d’envisager la nouvelle évangélisation, non pas comme une campagne de
récupération des croyants décrocheurs, mais une actualisation des nouveaux paradigmes du nouveau règne de
libération de toutes les personnes de bonne volonté. Pour le moment, la
nouvelle évangélisation qui est projetée porte principalement sur la
récupération des baptisés décrocheurs sans pour autant changer l’approche
cultuelle de l’Église.
Je
termine en souhaitant qu’un nouveau concile soit convoqué, incluant laïcs,
femmes, hommes, prêtres et religieux,
évêques et des représentants des autres confessions chrétiennes. Ce concile
traitera de tous les sujets, y incluant ceux reliés à la banque du Vatican et à
l’Institut des Œuvres religieuses IOR.
Pour
le moment, j’ai confiance en cet homme François qui me donne l’impression de
savoir où il va. Je crains même que ses adversaires en viennent vite à le
disqualifier. Ne soyons pas leurs marionnettes en tirant sur celui qui peut
encore changer quelque chose. Je suis certain que Chavez aurait été heureux de
cette nomination et qu’il aurait souhaité le recevoir au Venezuela. Tous les
deux ont le Christ et les pauvres au plus profond d’eux-mêmes.
Je
n’ai pas de prise sur ce que les autres peuvent en penser et c’est bien qu’il
en soit ainsi. L’important est
d’additionner toutes les forces qui tirent dans une même direction, la justice,
la paix, fondée sur la vérité et la solidarité, le respect dans la diversité.
Oscar
Fortin
Québec,
le 14 mars 2013
5 commentaires:
Merci monsieur Fortin pour ce merveilleux texte empreint une fois de plus d'une sagesse et d'une modération exceptionnelle.
Personnellement toujours mécréant, l'arrivée de ce jésuite pasteur à savates m'a beaucoup bouleversé mais je peine à m'enlever de la tête cette éventuelle collaboration avec la junte militaire QUOIQUE j'aie tout de même atteint un âge où on sait reconnaître qu'il existe aussi des nuances de gris.
Une fois de plus vous m'avez aidé ici à atténuer les teintes de noir et de blanc.
Merci
@jbouthil: merci pour votre commentaire. Vous n'êtes pas seul à garder une certaine réserve. J'en suis, mais disons que mon esprit me porte à lui faire confiance. J'en suis là et, à vous lire, vous êtes aussi. Au delà de tout il faut espérer et ses premiers gestes vont dans le bon sens.
Merci pour votre commentaire
J,avais hâte de lire vos impressions, elles vont dans le même sens que les miennes.
Deux remarques que j'ai noté lors d'une recherche au moment de l'annonce du cardinal argentin et de son nom:
En 2009 Jorge Mario Bergoglio n'hésite pas à poufendre le mondialisme et le néolibéralisme.
Le choix de François comme nom:
« Répare mon Église en ruine » Voix entendue par François d'Assise en prière en 1205 à l'âge de 23 ans.
Denis Gélinas
Je pense que l’élection du pape François 1er a eu l’effet d’un coup de tonnerre dans l’Église et dans le monde. Étant donné son âge, sera-t-il uniquement un pape de transition? Chose certaine, ce pape s’inscrit dans la droite ligne conservatrice de l’Église vaticane. Comme chrétiens, nous pouvons prier pour lui et l’Église, mais ce ne sera pas suffisant pour changer l’Église, même si la prière peut faire des miracles à l’occasion.
Le squelette que le pape François 1er traîne dans son placard est le fait d’avoir collaborer avec la junte militaire et d’avoir refuser de demander pardon aux victimes des exactions des forces armées, en 1983. Beaucoup d’encre vont couler à ce propos!
L’Église catholique a besoin d’un sérieux coup de barre. Elle a besoin du « révolutionnaire », Jésus de Nazareth, pour retrouver sa vitalité et sa jeunesse évangélique. Elle doit faire un sérieux examen de conscience et faire un grand ménage dans sa Curie romaine. Si l’Église hiérarchique réalise cela, (en partant des prêtres, des religieux, des évêques et des cardinaux), elle devra s’attendre à en payer le prix, c’est-à-dire un immense dépouillement de ses pouvoirs, de ses privilèges et de ses richesses. Cela a déjà commencé avec la faillite de plus de dix diocèses aux États-Unis pour avoir compenser les victimes d’actes sexuels commis par des prêtres et des religieux.
Cependant le choix du son nom, inédit, de François 1er en référence à François d'Assise m'intéresse et m'intrigue. Il a vécu différemment des autorités religieuses de son temps. Si ce Pape est vraiment dans la ligne de pensée d'un François d’Assise, si on ne l’assassine pas et qu’on le laisse agir, il risque de nous surprendre! Car François d’Assise a reconstruit l’Église, non pas en remodelant une institution désuète, mais avec des pierres vivantes que sont les pauvres.
Merci pour vos commentaires. Il est clair que nous allons entendre parler encore longtemps de ce nuage qui laisse planer une certaine complicité, ne serait-ce que par le silence sur ce qui s'est passé sous le règne de la junte militaire 1976-1983.
A sa première conférence de presse, en ce samedi, 16 mars, il a raconté l'anecdote d'où lui est venu le nom de François. En obtenant la majorité des 2/3, le cardinal voisin de son pupitre, un Brésilien, se leva et l'embrassa fortement, lui disant à l'oreille 'n'oublie pas les pauvres". C'est à ce moment, dit-il, que lui est venu le nom de François d'Assige. S'il continue à être attentif au souffle de l'Esprit, bien des choses pourront se produire. Espérons-le.
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