UNE DESTITUTION PRÉSIDENTIELLE EN MOINS DE 24 HEURES
Aux États-Unis, on se souviendra que les
procédures et les enquêtes visant la mise en accusation du président Richard
Nixon devant la Chambre des représentants ont duré près de 15 mois. Il
s’agissait du scandale du Watergate, qu’il avait lui-même commandé. Le 5 août
1974, avant sa mise en accusation par la chambre des représentants, il avait
alors décidé de démissionner,
Le
cas du président Clinton dura pratiquement une année et prit fin avec la
décision du Sénat de rejeter la mise en accusation, votée par la Chambre des
représentants.
Dans les deux cas, les inculpés ont eu
largement le temps pour de se défendre et faire valoir leurs droits.
Au Paraguay, il en fut autrement avec
le président Fernando Lugo. En moins de
24 heures, il fut soumis au jugement politique de destitution de la chambre
des députés et du Sénat. On lui présenta les cinq chefs d’accusation portés
contre lui et on lui donna deux heures pour assurer sa défense. Le jugement de destitution
a été aussitôt prononcé puis suivi par l’assermentation d’un nouveau président.
1. En
tant que Président de la République d’être responsable des affrontements entre
paysans et policiers à Curuguay, lesquels se soldèrent avec la mort de 11
paysans et de 6 policiers.
Le député Oscar Tuma argumenta que ces morts sont dus à l’incompétence de
Lugo. Depuis qu’il exerce la Présidence, il a favorisé la violation du droit de
propriété et la haine entre les classes sociales. Il y a, de plus, des évidences
qui démontrent que ce fut un acte prémédité et à ce titre il devrait être
soumis non seulement au jugement politique, mais aussi au jugement pénal.
À cela, le député Carlos Liseras ajoute que Lugo et plusieurs de ses
ministres maintiennent dans la Police des agents criticables, dont Arnaldo
Sanabria Moran, considéré comme un des responsables.
2. Les députés mentionnent également les opérations de sécurité menées à terme
dans les départements de San Pedro et Concepción contre l’Armée du
peuple paraguayen (EEP).
3. Le député Jorge Avalos Marin rappelle l’invasion des
terres dans la localité
de Nacunday par les paysans. Selon lui les forces armées ont été
utilisées pour créer une situation de panique.
4. Le législateur José Lopez Chavez, signale l’autorisation donnée par le Président
à un groupe de jeunes, sous la direction de l’ex-ministre Camilo Soares, d’occuper le Commandement d’Ingénierie de l’armée.
Les forces armées ont été humiliées, parce qu’ils utilisèrent des
bannières avec des références
politiques.
5. En dernier lieu, ils lui reprochent d’avoir signé le Protocole de Usuaia
II, type d’engagement démocratique, qui autorise les pays du Mercosur à bloquer
les pays qui brisent ou se prépare à briser l’ordre démocratique. Cette signature constitue un
attentat contre la souveraineté du Paraguay.
La signature du protocole permet de couper l’approvisionnement en énergie
au Paraguay et de fermer les frontières. Cela viole les principes commerciaux
et est une atteinte contre les peuples. Montre un profil élevé d’autoritarisme.
QUI EST FERNANDO LUGO?
Il
est cet évêque catholique qui décida, après avoir renoncé à sa charge
épiscopale, de s’engager dans l’action
politique. À la tête d’une coalition de divers partis politiques, il se
présenta comme candidat aux élections présidentielles de 2008. Il est élu
président de la République avec 40.8% des voix contre 30.8% pour sa rivale. À
peine investi comme Président, il nomme la première ministre autochtone du
Paraguay aux Affaires indigènes, Margarita Mbywangi, une Guayaki et ancienne esclave11.
Le ton est
donné. Ses priorités politiques, économiques et sociales seront inspirées,
entre autres, par les problèmes de
pauvreté, la corruption, la distribution des terres. Il se préoccupera des
droits des indigènes et du respect de leur culture. Son action sera toutefois
limitée du fait qu’il ne contrôle pas le Sénat et que sa majorité à la chambre
des députés n’est due qu’à la coalition et à la présence du parti libéral
auquel appartient le vice-président. Ce dernier aura vite pris ses distances
d’avec le Président et il en deviendra même un adversaire.
En dépit de
tout cela, il parvient à faire avancer certains dossiers et à mettre en place
des mesures de nature à améliorer le sort des plus défavorisés. Malheureusement,
c’est déjà trop pour les opposants de l’extrême droite qui l’accusent d’être
communiste, de la gauche radicale, de suivre les politiques de Chavez au
Venezuela et de Morales, en Bolivie. Des accusations qui n’ont aucun fondement
objectif. Dans les circonstances, il aura été tout au plus un président progressiste.
LE PARAGUAY
C’est ce
petit pays d’un peu moins de sept millions d’habitants, dominé pendant des
décennies par le parti Colorado, de droite. En
1954, il y a un coup d’État militaire, dirigé par Alfredo Stroessner, qui régnera
en maître absolu, jusqu’à sa mort, en 2006. C’est la lune de miel des grands
propriétaires terriens et des oligarchies alors que les paysans et les pauvres
sont soumis à la main de fer du dictateur. Des milliers de morts et de disparus
sont à mettre au bilan de ce dictateur sanguinaire pour les uns et protecteur
pour les autres, c’est à dire de ce « 1% de la population qui contrôle 77% des
terres cultivables, et de ces riches oligarques et des multinationales à qui
appartiennent 98% des terres. Au Paraguay, on estime à plus de 300 000 le
nombre de paysans sans terre.
Pour en
savoir plus sur la situation du pays au moment de la prise de pouvoir du
Président Lugo, je réfère le lecteur et la lectrice à cet excellent
article.
QUI SONT LES ACCUSATEURS
Les accusateurs sont les membres du Sénat, à 95%
de l’extrême droite. Ils répondent de leurs actions d’abord et avant tout à de
grands propriétaires et multinationales oeuvrant surtout dans les secteurs de la culture des terres. L’une d’elles est Monsanto.
EN CONCLUSION
Il ne fait aucun doute que les chefs
d’accusation, portés contre le président Lugo, ne peuvent justifier un jugement
politique de destitution sans que l’accusé ait tout le temps voulu pour
replacer chacun de ces faits dans leur contexte et préciser, le cas échéant, le
niveau de responsabilité qu’il y a assumé.
Lorsqu' UNASUR, regroupement des pays de
l’Amérique du Sud, envoya une délégation spéciale pour rencontrer les députés
et les sénateurs avant que ne se produise le jugement politique du sénat, il
leur fut proposé de permettre au président Lugo d’avoir le temps nécessaire
pour assurer sa défense. À cette proposition qui revenait sans cesse dans les
échanges, la réponse était toujours la même : si nous retardons notre
jugement politique, le peuple va venir manifester et ça va créer des problèmes.
De fait, la décision était déjà prise et les
objectifs étaient de reprendre le contrôle de la présidence à 9 mois des
élections générales, cette fois pour en avoir le plein contrôle.
Deux heures à un Président pour assurer sa
défense, face à des accusations dont il vient de prendre connaissance, c’est
ignorer complètement le droit à la défense juste et entière inclus dans toutes
les chartes des droits de la personne. Si la Constitution paraguayenne permet
le jugement politique de destitution d’un Président, elle ne peut toutefois pas
ignorer la charte des droits fondamentaux des Nations Unies dont le Paraguay
est signataire.
Ce type de comportement fait dire à la majorité
des pays de l’Amérique latine et à plusieurs de l'Europe qu’il s’agit d’un coup d’État technique par
lequel les oligarchies dominantes et l’empire qui les supporte ont repris le
pouvoir de la Présidence en contournant la volonté démocratique du peuple. Ainsi, ils se donnent bonne conscience en se disant que le Président élu par le peuple a été mis à la porte sans qu’il y ait eu un seul
coup de feu. Ils ont respecté, dans un esprit de légalisme étroit, une procédure constitutionnelle tout en bafouant
les droits les plus fondamentaux d’un Président à sa juste défense. Ce type de comportement me rappelle ces paroles de Jésus de Nazareth dont ils confessent la foi. Ces paroles s'appliquent merveilleusement bien à tous ces oligarques civils et religieux qui se réjouissent d'avoir agi en respectant la constitution.
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la
dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les
plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi ; c'est ceci qu'il fallait
pratiquer, sans négliger cela. » Mt. 23,23
Oscar Fortin
Québec, le 28 juin 2012
Quelques références en français
Aucun commentaire:
Publier un commentaire