mardi 1 février 2005

LES VRAIS MANDARINS DU POUVOIR

Nous avons la conviction, comme électeurs de gouvernements et comme actionnaires d’entreprises inscrites à la bourse, que nous sommes les détenteurs des pouvoirs qui leur sont rattachés. Les campagnes électorales dans nos démocraties ventent le pouvoir du peuple qui s’exprime par un vote individuel longuement et chèrement courtisé. Les analystes et les maisons de courtage font la promotion d’entreprises dont les horizons sont prometteurs pour les investisseurs qui deviennent ainsi des propriétaires d’entreprises. Nous votons librement pour nos représentants et nous achetons librement les actions que nous voulons bien. En agissant ainsi nous donnons légitimité aux gouvernements élus et pouvoir économique aux gestionnaires d’entreprises. Là se termine notre rôle et notre capacité réelle d’intervention individuelle et collective.

Les gouvernements, une fois élus, sont vite pris en charge par les mandarins (hauts fonctionnaires) qui disposent des pouvoirs d’information et d’influence. Ils sont en première ligne des textes de loi qui se rédigent, des règlements qui s’élaborent, des argents qui se dépensent. Ils ont cette position confortable de ne pas être soumis aux fluctuations électorales et peuvent compter sur des budgets qui tout en leur assurant des revenus confortables leur permettent d’agrandir et de consolider leur réseau d’amis dans le monde des grands et des puissants. Leur intervention au niveau de la fiscalité leur épargnera des mesures qui autrement viendraient réduire leurs gains ainsi que ceux de leurs amis courtisans. De nombreuses mesures ont ainsi vu le jour pour permettre des économies d’impôt sur les revenus élevés et les gains en capital. Ces sujets ne sont pas au menu des programmes électoraux. Ils peuvent se régler à l’interne.

Ces véritables détenteurs du pouvoir vivent pour la plupart dans l’ombre et se contentent de cultiver les cercles privilégiés qui regroupent les principaux acteurs du politique, de l’économique, du culturel, du social et du juridique. A ce niveau l’information privilégiée circule et les tractations les plus avantageuses pour chacun se négocient et se décident. Tout le reste n’est plus que mécanique à mettre en place pour que ces décisions se réalisent dans le respect des institutions et des lois qu’ils prennent la précaution d’ajuster, le cas échéant, à ces dernières. Les dirigeants des sociétés d’État, les membres de leurs conseils d’administration, les sous-ministres et les chefs de cabinets ministériels constituent l’essentiel de ces mandarins. Les grands bureaux d’avocats, les représentants d’entreprises, certains chefs syndicaux auront accès à ce cercle privilégié. Par contre le député, l’élu, demeurera loin de ce gratin et le citoyen encore davantage. Ces derniers n’ont pas grand poids sur les salaires qu’ils se votent, les comptes de dépenses qu’ils s’octroient, les décisions qu’ils prennent. Ils seront toutefois subtilement manipulés par des stratégies de communication et des exercices de relations publiques qui auront été préalablement ciblés à cette fin. La ligne de parti en fera un appui indispensable aux décisions législatives. Ils auront la responsabilité de faire passer la pilule à leurs commettants. Ils sont les fantassins de première ligne.

Ce qui est vrai pour les gouvernements, l’est tout autant pour les entreprises qui vivent, entre autres, de l’investissement des actionnaires. Les conseils d’administration et la direction de ces entreprises ont entre leurs mains plein pouvoir pour faire à peu près n’importe quoi. Les assemblées annuelles de ces entreprises ne sont que des simulacres de participation. La grande majorité des actionnaires ne se rendent pas à ces assemblées structurées davantage pour des initiés que pour le commun des petits actionnaires. Ces derniers sont d’ailleurs plutôt des analphabètes de ce monde de la haute finance et n’ont que très peu de ressources pour se rendre et se faire valoir aux assemblées annuelles des membres. Le système est à ce point organisé que les dirigeants prennent le contrôle de la situation et la mène à leur guise. Ils ont la main haute sur l’argent des actionnaires et sur l’entreprise. Ils se donnent des conditions qui les mettent à l’abri de tout risque tout en s’assurant le maximum d’avantages. Ils peuvent se faire financer l’achat d’actions privilégiées par l’entreprise en guise de complément de salaire. Ce dernier a l’avantage de soustraire à l’impôt 50% de ce revenu considéré comme gain de capital. Les administrateurs se font voter une bonne allocation annuelle tout en ayant droit à un revenu supplémentaire pour chaque conseil, qu’ils soient physiquement présents ou autrement. Dans une entreprise dont je suis actionnaire, la rémunération annuelle des administrateurs est de 5 000 $ et 1 000 $ par rencontre que ce dernier soit ou non présent physiquement. Il ne s’agit que d’une petite entreprise dont les actions ont planté magistralement au cours de la dernière année. Si les langues se déliaient nous verrions que la liste de ces horreurs est beaucoup plus longue que celle qui nous parle d’ENRON et de NORTEL

Il est urgent que nos systèmes démocratiques prennent acte de cette usurpation de pouvoirs et que des mesures drastiques soient adoptées pour que les représentants élus aient la main mise sur l’appareil de l’État et les budgets qui lui sont alloués. La relation du député avec le parti ne doit pas faire passer en second plan sa relation avec ses commettants. Autrement, la démocratie est une mascarade qui ne fait que légitimer le pouvoir des mandarins.
Il est tout aussi urgent que des mesures soient également prises pour que l’intérêt des petits actionnaires ne soit manipulé au profit d’intérêts d’administrateurs et de gestionnaires gourmands et peu scrupuleux. Les centaines de milliers de petits actionnaires qui ne peuvent se rendre présents collectivement aux assemblées annuelles de leurs entreprises doivent pouvoir compter sur des mesures légales et fiscales qui sauront encadrer l’action de ces administrateurs et de ces gestionnaires de manière à éviter de tels dérapages.
Faute d’agir sur ces deux fronts nous demeurerons les otages de mandarins souvent peu scrupuleux, plus près de leurs intérêts individuels que de ceux de l’ensemble de la collectivité. Le bien commun dont on se fait les gardiens est bien loin des préoccupations de ces derniers dont la devise "qu'on est jamais aussi bien servi que par soi-même" occupe la premièr place. Beaucoup d'autres "Robin des Bois" (Yves Michaud) doivent se faire entendre et poser des gestes pour que ça change. Il en va de notre foi dans nos institutions démocratiques.

Oscar fortin

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