jeudi 27 octobre 2005

LES DEUX VISAGES D'UNE ÉGLISE INTERPELLÉE PAR LA JUSTICE



CARDINAL ROSALIO LARA
ERNESTO CARDINAL, PRÊTRE

« HEUREUX CEUX QUI SONT PERSÉCUTÉS POUR LA JUSTICE : LE ROYAUME DES CIEUX EST À EUX. » (Mt. 5, 10)

Voici deux figures qui dominent l’actualité politique, sociale et religieuse de l’Amérique latine. La première est nul autre que le Cardinal qui préside les destinées de l’Église au Venezuela. Il s’affirme comme un farouche défenseur du néolibéralisme et un opposant acharné de l’actuel gouvernement vénézuelien d’Hugo Chavez. La seconde, que certains reconnaîtront pour l’avoir vu à genoux recevant les réprimandes du pape Jean-Paul II au moment de son arrivé au Nicaragua, en mars 1983, est ce prêtre poète, engagé auprès des pauvres et fervent défenseur de la théologie de la libération en Amérique latine. Le premier jouit d’une grande influence auprès des élites et le second auprès des pauvres et des mouvements révolutionnaires.

Tout récemment, le cardinal Rosalio Castillo Lara, lors d’une rencontre avec les secteurs de l’opposition, les a exhortés à organiser la désobéissance civile auprès de la population sur la base de l’article 350 de la Constitution lequel justifie, selon lui, la non reconnaissance du gouvernement, qu’il qualifia alors de « funeste et de dangereux ».

Or que dit l’article 350 ? « Le peuple du Venezuela ne reconnaîtra aucun régime, aucune législation ou autorité qui va à l’encontre des valeurs, principes ou garanties démocratiques, ou bafoue les droits humains. »

Le Président Hugo Chavez n’a pas tardé à dénoncer pareil comportement de la part du chef de l’Église catholique de son pays. Il a rappelé que son gouvernement est sans doute le plus démocratique et équitable qu’ait connu le Venezuela depuis son indépendance et que les droits fondamentaux des pauvres et laissés pour compte n’avaient jamais été respectés autant. Il a accusé le cardinal d’utiliser sa fonction et son statut d’Évêque pour inciter injustement à la désobéissance civile et à la violence, devenant ainsi un allié de ceux qui se sont enrichis à même l’État et au dépend du peuple.

Devant l’ampleur des réactions suscités par cette intervention du cardinal, également soupçonné d’entretenir des relations secrètes avec le pasteur évangélique Pat Robertson qui avait incité à tuer le Président Chavez, le Nonce Apostolique a senti le besoin d’intervenir. Il a rappelé que les positions du cardinal ne répondaient pas à des consignes reçues du Vatican, mais qu’il avait tout de même le droit, comme tout citoyen d’exprimer son point de vue. Une attitude plutôt compréhensive et pour le moins contrastante avec celle prise à l’endroit de bien des prêtres engagés auprès des défavorisés dans leur lutte pour une société juste. On n’a qu’à penser à l’attitude du pape Jean-Paul II à l’endroit du père Ernesto Cardenal, alors ministre de la culture dans le gouvernement sandiniste. ( http://www.ernestocardenal.org/index.php )

Justement, ce dernier, lors d’une rencontre internationale des poètes, célébrée au printemps dernier au Venezuela, a eu l’occasion de passer plusieurs heures avec le Président Chavez et de prendre contact avec divers milieux sociaux et intellectuels. Dans un article publié à son retour au Nicaragua ( http://www.alternatives.ca/article1838.html ), il raconte qu’au Venezuela se vit une Révolution profonde et que déjà des effets importants se voient : l’alphabétisation fait des bonds de géants, les services de santé arrivent dans les milieux les plus défavorisés, des centres de formation de médecins et d’intervenants sociaux se multiplient. Le peuple participe toujours plus aux discussions et décisions. Le Président Chavez anime quotidiennement une émission de radio qui lui permet de s’entretenir directement avec les gens :ces derniers appellent pour poser des questions ou formuler des commentaires et lui, réagit et explique. Un véritable dialogue qui dure parfois des heures. Ce que peu savent à l’extérieur du pays c’est que près de 80% de la population l’appuie et, chose rare dans nos pays, l’armée est également avec lui. C’est d’ailleurs grâce à l’appui de l’un et de l’autre, que les putschistes, en 2003, ont dû abandonner rapidement le pouvoir quelques jours à peine après l’avoir pris. Cette révolution, qui n’en est encore qu’à ses débuts, donne naissance à une société qui favorise les droits des pauvres et des défavorisés. Ils sont les premiers bénéficiaires de cette révolution qui leur apporte dignité et respect, alphabétisation et santé, responsabilité et participation. Tout cela également dans le respect des autres.
( http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2040 )

Cette situation d’une Église profondément divisée dans son engagement pour la justice n’est pas sans soulever la question suivante : serait-ce que l’Église se laisse récupérer dans sa tête par les tenants du pouvoir néo-libéral et dans sa base par les tenants du pouvoir socialiste? Il n’y a pas de doute que la récupération des uns et des autres fait partie des réalités possibles. Toutefois, il y a certains points de repères qui ne mentent pas : la fidélité aux plus pauvres et défavorisés de nos sociétés, la capacité de dénoncer l’hypocrisie, la corruption, les injustices, non seulement de ceux qui nous entourent et nous dirigent, mais encore des systèmes politiques et économiques qui portent en eux le germe des inégalités, des injustices et de bien des conflits.

Lorsque je lis le Sermon sur la montagne, appelé également celui des Béatitudes, et que je médite les invectives de Jésus contre les pharisiens que nous rapporte l’évangéliste Mathieu au Chapitre 23 de son Évangile, force m’est donnée de reconnaître, en Ernesto Cardenal et en tous ceux qui comme lui donnent leur vie pour qu’il y ait plus de justice à l’endroit des pauvres et des défavorisés, d’authentiques disciples de Jésus. S’il a participé au gouvernement sandiniste, ce ne fut pas les yeux fermés. Il a eu le courage de dénoncer l’hypocrisie et la corruption de plusieurs de ceux-là même avec qui il travaillait? Par sa vie et ses écrits il demeure à proximité des pauvres de la terre et un ferment d’espérance d’un monde porteur de soleil pour tous les humains?

Entre Jésus et le Sanhédrin, je choisis Jésus. Entre l’Église militante au service de la justice et la Hiérarchie au service des privilégiés, je choisis l’Église militante au service de la justice.

Oscar Fortin

jeudi 20 octobre 2005

NAISSANCE D'UN NOUVEL ORDRE MONDIAL


Il n’est pas évident de parler de la naissance d’un monde nouveau, de l’avènement d’une humanité transformée alors que les guerres sont toujours plus meurtrières et que les famines, les tremblements de terre, les inondations, les ouragans sont toujours plus nombreux et dévastateurs. Ne sommes-nous pas davantage témoins de la fin d’un monde, de sa destruction, de son anéantissement que de la naissance d’un monde nouveau?

SOCIÉTÉ ET PLANÈTE TERRE EN EXTINCTION

L’humanité à laquelle nous appartenons et à laquelle nous participons n’est-elle pas plus près de la mort que de la vie ? Les épidémies qui s’étendent de plus en plus à la grandeur de la planète sont déjà agissantes, portant en elles la puissance destructrice contre laquelle grands et petits ne sauront résister. Si des efforts sont faits pour contrer ces maux par la mise au point de vaccins et par des mesures préventives, force est de constater que les nantis de la terre dont nous sommes, les classes moyennes et privilégiées des sociétés de consommation, n’en continuent pas moins à détruire l’environnement et à favoriser de tels déséquilibres. Les systèmes de production ne sont-ils pas toujours aussi polluants et la consommation n’est-elle pas toujours aussi énergivore ? Ne vivons-nous pas dans une bulle où l’oxygène se fait de plus en plus rare, provoquant ainsi notre propre anéantissement ?

Que dire maintenant de l’organisation sociale, économique et politique de nos sociétés ? Ne nous donne-t-elle pas un portrait tout aussi déshumanisant ? La prédominance des trois grandes forces que sont l’AVOIR, le POUVOIR, le PARAÎTRE ne continue-t-elle pas de fonder la structure même de cette organisation ?

Le monde dans lequel nous vivons n’est-il pas polarisé par une course illimitée à la consommation, sans égard aux effets pervers de cette dernière dans les relations des personnes et des collectivités ? Les valeurs de justice ne se ramènent-elles pas trop souvent à celles qui assurent « notre » confort, « notre » paix et « notre » sécurité, peu importe le prix exigé des autres ? Cet attrait extraordinaire de la possession, de l’AVOIR, ne donne-t-il pas lieu à toutes sortes d’excentricités dans la consommation, de combines financières allant de la finesse du spéculateur jusqu’aux arnaques les plus criminelles de multinationales peu scrupuleuses ?

N’en va-t-il pas de même pour le POUVOIR qui assure aux maîtres de nos sociétés le privilège de tirer les ficelles leur permettant de gérer et d’organiser le monde de manière à ce qu’il serve bien leurs intérêts ? Ce POUVOIR sait se présenter sous les traits les plus divers selon les sociétés et les cultures. Il sera capable de grandes vertus tout autant que d’atrocités les plus barbares. Il se fera tantôt le défenseur des démocraties qui le serviront, un autre tantôt le promoteur de dictatures qui le protègeront. Il sera capable d’alliances avec les dieux ou les églises qui le béniront. Ce POUVOIR est placé par les États, sous la protection « de la sécurité nationale » et par les particuliers, sous celle de la « libre entreprise » ou encore « des droits acquis ». Toute tentative visant à en modifier les bases est combattue par tous les moyens et sans aucune réserve.

Une telle société fondée sur l’avoir et le pouvoir sans le PARAÎTRE ne pourrait pas survivre longtemps. Ce dernier est comme « l’habit » qui en assure la présentation et lui donne tout l’apparat d’humanité civilisée. Ainsi, pour que tout soit bien rôdé et que les vertus soient perçues et reconnues par tous, quoi de mieux que de créer des personnages qui seront définis non seulement dans leurs fonctions et pouvoirs, mais également dans leurs vertus et privilèges. Il y a des rois, des papes, des Présidents, des ministres, des notables, des ouvriers, des héros et des saints. Chacun y joue son rôle et y occupe une fonction. Toute nouveauté de nature à remettre en question l’ordre de ce PARAÎTRE sera vite écartée.

JÉSUS DE NAZARETH ET LA FIN DES TEMPS

C’est dans l’Évangile selon Mathieu (Mt. 24) que Jésus, prophète pour les uns et fils de Dieu pour les autres, s’exprime le plus amplement sur cette question qui hantait les communautés juives de l’époque, toujours dans l’attente d’un Messie. Ce récit fait suite à sa sortie virulente contre les pharisiens. Ce dernier y démasque l’hypocrisie des personnages qui trompent et mettent sur le dos des autres des fardeaux qu’ils ne peuvent porter eux-mêmes. Il y dénonce l’usage qu’ils font de leur pouvoir ainsi que leur attachement à l’avoir. « Malheureux êtes-vous, guides aveugles, vous qui dites : « Si l’on jure par le sanctuaire, cela ne compte pas ; mais si l’on jure par l’or du sanctuaire, on est tenu. » (Mt. 23,16) Cette sortie de Jésus s’adresse non seulement aux pharisiens de son époque mais à tous ceux et celles qui fondent leur vie et leurs relations avec les autres sur l’AVOIR, le POUVOIR, le PARAÎTRE. « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, vous qui ressemblez à des sépulcres blanchis : Au dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et d’impuretés de toutes sortes. Ainsi de vous, au dehors vous offrez aux hommes l’apparence de justes, alors qu’au dedans vous êtes remplis d’hypocrisie et d’iniquités. » (Mt. 23,27)

« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes et vous n’avez pas voulu ! Eh bien elle va vous être laissée déserte votre maison. » (Mt. 23,37)

« Vous allez entendre parler de guerre et de rumeurs de guerre…il faut que cela arrive, mais ce ne sera pas encore la fin. Car on se dressera nation contre nation et royaume contre royaume; il y aura en divers endroits des famines et des tremblements de terre. ET TOUT CELA SERA LE COMMENCEMENT DES DOULEURS DE L’ENFANTEMENT. Alors on vous livrera à la détresse, on vous tuera, vous serez haïs…Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira dans la multitude; mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. Cette Bonne nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier. » (Mt.
24,7…)

LA NAISSANCE DE L’HOMME NOUVEAU

Il n’y a pas de doute que nous vivons à une époque où se manifestent à une échelle planétaire les signes des temps. Les « maîtres » du monde s’acharnent à transposer à l’échelle de la planète le système de domination et de contrôle des économies et des personnes. La mondialisation dont ils se font les apôtres et les démocraties dont ils se font les promoteurs répondent d’abord et en tout premier lieu à cette préoccupation de domination et de contrôle. Les institutions multilatérales comme les Nations Unies, la Banque mondiale et les autres organismes qui leur sont rattachés demeurent soumis à leur pouvoir. Pas question d’en faire des organismes démocratiques au sens précis du terme. Il en va de même avec le Vatican qui garde le contrôle des églises, de la doctrine et de la foi. Il fait d’ailleurs bon ménage avec les grands et les puissants et s’accommode de l’ordre mondial qui en assure sa pérennité. S’il se permet quelques déclarations discordantes, elles ne vont jamais jusqu’à remettre en question la structure même de ce pouvoir.

Mais voilà que le développement de la conscience et de la solidarité au niveau planétaire permet maintenant de mieux comprendre les mécanismes sur les bases desquels repose l’ordre mondial actuel et donne les outils pouvant en modifier la structure. Des prophètes élèvent la voix pour rappeler les impératifs de justice et de vérité, des savants en expliquent les avenants et aboutissants, des sages en expriment le bien fondé. « Voici que moi, j’envoie vers vous des prophètes, des sages et des scribes. Vous en tuerez et mettrez en croix, vous en flagellerez dans vos synagogues et vous les pourchasserez de ville en ville, pour que retombe sur vous tout le sang des justes répandu sur la terre… » (Mt.23, 34-36) Ce qui est vrai pour le temps de Jésus de Nazareth l’est tout autant pour les temps que nous vivons. Que l’on pense aux persécutés des régimes militaires des pays de l’Amérique latine et d’Afrique, aux professeurs d’université assassinés, aux prophètes arrêtés, torturés et tués. Ils viennent le plus souvent de tous les horizons, de tous les milieux sociaux, mais ils ont tous en commun d’avoir été saisis par la passion de la vérité et de la justice pour tous les humains.

Il n’y a pas de doute que le vent tourne et que déjà pointe à l’horizon l’avènement d’un monde nouveau pris en charge par le Fils de l’homme. Comme le prophétisait déjà cette petite femme enceinte de Jésus de Nazareth : « Les orgueilleux seront rabaissés, les puissants jetés au bas de leurs trônes, les humbles seront élevés, les affamés comblés de biens et les riches renvoyés les mains vides. » (Lc. 1,51-53) « Ce sera la demeure de Dieu avec les hommes…Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux. La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien aura disparu et fera toutes choses nouvelles. » (Apoc. 21,3-5) Ce sera un monde fait pour l’humanité toute entière. Toute personne de bonne volonté y trouvera accueil et chaleur humaine.

Croyants ou pas, nous assistons tous à la fin d’un monde qui n’aura finalement servi qu’une minorité d’humains et produits en abondance pauvreté, injustices, désolation, guerres, manipulation, mensonges et souffrances. Il n’y a pas de doute que le pouvoir de ceux qui en tirent les ficelles tire à sa fin. Les solidarités nouvelles qui se développent auront raison de la résistance de ceux qui s’opposent à la naissance de cette humanité nouvelle. Déjà les cris de douleur de ceux et celles qui le portent annoncent l’enfantement de cet Homme nouveau.

« Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger et vous m’avez accueilli; nu et vous m’avez vêtu ; en prison et vous êtes venus à moi. » Mt. 25, 34-36)





Oscar Fortin

samedi 15 octobre 2005

LE CANADA MENACE LES ÉTATS-UNIS

Depuis quelques jours les medias font écho aux déclarations du Premier ministre canadien, M. Paul Martin, à l’effet de prendre des mesures plus drastiques contre les Etats-Unis pour les forcer à respecter les règles de l’ALENA régissant le commerce dans le secteur du bois d’œuvre. Nous savons tous que depuis maintenant plusieurs mois une décision du Tribunal d’arbitrage des différents dans l’application de ces dernières condamne les mesures compensatoires mises en place par les Etats-Unis dans les importations du bois d’œuvre canadien. Cette mesure a déjà fait perdre des milliards de dollars à l’industrie canadienne ainsi que des milliers d’emplois.

Dans ce contexte, on comprend mieux le durcissement de ton et les menaces du Gouvernement canadien d’exporter notre bois d’œuvre vers d’autres partenaires, tels la Chine et l’Inde, de même que celles de couper l’exportation de notre pétrole. De quoi sonner l’alarme auprès de notre partenaire étasunien. Ces mesures ne touchent-elles pas deux cordes sensibles : la Chine et le pétrole? Pourtant, loin d’alarmer notre voisin du sud, ces menaces trouvent chez lui compréhension qu’il explique par le climat préélectoral canadien qui favorise ce type d’intervention.

La réaction de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Ottawa se révèle donc très intéressante à la fois sur la confiance qui existe toujours entre nos deux gouvernements et sur l’idée qu’il se fait de l’exercice de notre démocratie. L’intervention de l’Ambassadeur se résume à peu près à ceci : « Il est normal, dans le climat électoral actuel, que ces propos, de nature à plaire à un large éventail de l’électorat canadien, soient tenus. » En sous-entendu, quoi de plus normal de tenir de tels propos qui sont, dans les circonstances, de nature à augmenter les chances d’être élus. Par contre, une fois élus, pense l’Ambassadeur, le climat des échanges reprendra normalement. Donc, rien pour prendre les nerfs. Une manière de nous expliquer, à mots à peine voilés, que les menaces de M. Martin ne sont qu’une mise en scène et qu’ils n’ont pas à s’en formaliser outre mesure. De quoi les convaincre qu’après les élections tout redeviendra normal et que les vrais décideurs retrouveront leur vrai pouvoir. « Nos relations avec le gouvernement canadien sont très bonnes et se font dans un climat de franchise et de grande confiance.»

Que pense, alors, M. Martin, de cette façon de comprendre les choses ? Serait-il prêt à inscrire sur le prochain bulletin de vote, comme le font souvent nos partenaires étasuniens, une question référendaire qui se lirait comme ceci : « Êtes-vous d’accord pour mettre un terme à l’exportation du pétrole et du bois d’œuvre canadiens vers les Etats-Unis si ce dernier, dans les six mois suivant cette élection, ne compensent pas entièrement les pertes subies par les canadiens et n’éliminent pas toute taxe spéciale sur les importations du bois d’œuvre canadien ? » Ne serait-ce pas là l’exercice de la véritable démocratie qui fait du peuple le porteur du pouvoir? Il est à parier que les mandarins du sud perdrait quelque peu leur flegme et se mettrait vite au travail pour régler ce litige.

À vous, Monsieur Martin, de prendre la parole et de dire de quel bois les canadiens se chauffent. Vous indiquerez ainsi que vous ne faites pas une diversion purement électorale avec cette question et que les propos de l’Ambassadeur faussent la compréhension que vous vous faites de la démocratie canadienne et des menaces que vous formulez.

Oscar Fortin

mardi 11 octobre 2005

CUBA SANS DROIT DE RÉPLIQUE

UN MUR DU SILENCE TAIT LE VISAGE HUMAIN D’UNE SOCIÉTÉ
SOLIDAIRE ET INDÉPENDANTE

L’occasion m’a été donnée d’entendre le ministre des Relations extérieures de Cuba, en visite au Canada du 3 au 6 octobre dernier. Les propos tenus devant une cinquantaine de personnes m’ont inspiré diverses réflexions dont celles qui arrivent rarement jusqu’à la grande majorité de la population. À ce que je sache personne n’a vraiment fait écho à cette visite.

Nous plaçons au cœur de nos sociétés les grandes valeurs que sont la liberté, la démocratie, les droits de la personne consignés tout autant dans la Charte des Nations Unies que dans celles du Canada et du Québec . Chacun n’a-t-il pas le droit, en effet, de s’exprimer et de participer au développement de la société politique, économique, culturelle et sociale ? Nous élisons nos représentants aux divers paliers de gouvernements et nous avons le droit d’intervenir dans les débats qui interpellent le devenir de nos sociétés tant sur le plan national qu’international. N’est-ce pas là le cadre d’une société idéale ?

Pourtant, il y a à redire sur cette liberté, cette démocratie, ce respect du droit des personnes. Ne sommes-nous pas de plus en plus les otages d’une société à laquelle échappent les principales ficelles du pouvoir qui en assure le fonctionnement ? La liberté dont nous disposons ne nous retient-elle pas à l’intérieur de certaines frontières au-delà desquelles elle ne peut rien ? Le droit des personnes dont nous nous targuons ne se ramène-t-il pas trop souvent à ceux de nos sociétés comme si ces droits n’étaient pas les mêmes pour les personnes des autres sociétés ?

Nos représentants politiques sont élus sur la base de programmes électoraux qui se présentent moins comme le cadre précis à l’intérieur duquel s’exercera leur pouvoir que comme des appâts permettant d’attirer le plus grand nombre de votes. Les sommes toujours plus astronomiques dont doivent disposer les partis politiques pour charmer les électeurs sont souvent inversement proportionnelles à la profondeur de la pensée politique des candidats. Les élections réalisées, les élus en place, les ministres nommés, les promesses sont aussitôt placées en périphérie de questions plus importantes, discutées celles-là, avec les véritables détenteurs des pouvoirs. Nous n’avons qu’à penser aux positions adoptées par nos représentants au G8, à celles prises aux Nations Unies ou encore les décisions sur les grandes questions comme celles de l’armement, de la mondialisation, des systèmes financiers internationaux, de la pauvreté, des abris fiscaux ou encore de notre engagement dans telle ou telle guerre. Quand consultent-ils la population pour décider de ces questions ? Ces dernières ne font jamais l’objet de consultation électorale ou référendaire. Pourtant, c’est bien ce que la démocratie dont nous nous faisons les apôtres exigerait.

Il en va un peu de même lorsque nous voulons nous exprimer et participer au devenir de notre société. Il nous faut le faire à l’intérieur des espaces qu’on veut bien nous autoriser ? Si nous le faisons par des articles et la parole, les medias ne prendront en compte que les articles et les interventions qu’ils voudront bien. Les sujets abordés, les questions soulevées sont laissés à leur discrétion. Il est vrai que nous pouvons toujours développer nos propres medias…. Mais qui peut concurrencer les empires financiers qui ont, sur le marché des communications, la force de l’argent et du pouvoir? L’information n’est-elle pas le nerf de la guerre ? Celui qui la contrôle a déjà sur ses adversaires une bonne avance. Le peuple se nourrit de ce qu’on veut bien lui transmettre. Mais le peuple devient malgré tout de plus en plus alerte et conscient….À ne pas oublier.

L’information relative à Cuba illustre bien ce contrôle qu’exercent ceux qui ont le pouvoir sur les medias. Ils ont le pouvoir de faire de certains des dieux et de certains autres des diables. Ils savent récupérer les valeurs qui inspirent les peuples, déformer les réalités à leur gré pour les ajuster à leurs objectifs et n’ont aucun scrupule dans l’usage du mensonge et de la manipulation. Ils ne retiendront que les articles ou interventions qui permettront de consolider leur point de vue et de noircir celui de l’adversaire. Ils ont des « soldats » préparés pour ce travail. Reporters sans frontière en est un bon exemple.

Où sont les articles de fond, les reportages étoffés qui mettent en évidence Cuba, son peuple, son gouvernement, son leader Fidel et plus que tout l’extraordinaire effort de développement dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de la solidarité nationale et internationale ? Combien d’entre nous savent ce que signifie le blocus économique et politique que les États-Unis impose depuis plus de 45 ans ? Blocus qui va à l’encontre de toutes les lois internationales et qui est condamné par la très grande majorité des membres des Nations Unies ? Quelles sont les medias qui nous rappellent les effets dévastateurs de telles mesures ? Qui ose nous faire part de l’extraordinaire solidarité qu’a ce peuple avec ses 300 médecins oeuvrant en Haïti, ses 20 000 autres dans les zones les plus pauvres du Venezuela ? Qui nous parle des dizaines de milliers de bourses accordées à des étudiants étrangers de milieux défavorisés pour étudier la médecine pour mieux répondre par la suite aux besoins de leurs peuples? Combien ont entendu parler des cinq prisonniers cubains détenus dans des prisons aux États-Unis pour avoir infiltrer des groupes terroristes de Miami et les avoir dénoncés aux autorités compétentes. Au lieu d’arrêter et de juger les terroristes en question, l’administration étasunienne a plutôt choisi d’arrêter ceux-là mêmes qui se sont fait les apôtres de la lutte anti- terroriste.

Tous ces faits sont disponibles comme information auprès de nos agences de presse qui se gardent de bien de les relever, de peur que ce visage humain d’une société solidaire et indépendante nous la rendre sympathique. Que Cuba soit et continue d’être un pays du Tiers Monde, nous en convenons tous. Par contre il y a de ces valeurs sur lesquelles il a pris une assez bonne avance sur la plupart des pays en développement et sur un certain nombre de pays soit disant développés.

Puisse notre liberté se refléter dans notre capacité de reconnaître et de dire ces acquis de développement qu’un blocus criminel cherche à détenir depuis plus de 40 ans.

Chuschi -- «Depuis la mort de mon mari, il y a un an, ma fille de 14 ans n'allait plus en classe», avoue Fortunita Huaycha Aronez du Pérou. Gagnant huit sols (2,50 $) par mois, l'agricultrice de 55 ans ne pouvait plus payer les fournitures et les habits de la dernière de ses huit enfants. » Le DEVOIRÉdition du samedi 8 et du dimanche 9 octobre 2005
Où est la liberté de cette péruvienne et de toutes les autres qui vivent pareille situation ? À Cuba on a brisé, à tout le moins, les chaînes de l’analphabétisme et de la pauvreté extrême. Le respect des droits de la personne ne commence-t-il pas par là ?

Oscar Fortin