De tous les problèmes qui assaillent actuellement le monde (guerres, famines, crises économiques, chômages, environnement, corruption, désinformation, immigration etc.), ceux qui mobilisent le plus et de façon concertée les autorités hiérarchiques de l’Église catholique sont l’homosexualité et l’avortement.
Lors de son passage tout récent au Portugal, le 13 mai dernier à l’occasion des célébrations des apparitions de la Vierge à Fatima, Benoît XVI a dénoncé avec vigueur l’homosexualité et l’avortement qu’il considère comme faisant partie « des défis les plus insidieux et les plus dangereux » que le monde ait à relever.
« Les initiatives qui ont pour but de sauvegarder les valeurs essentielles et premières de la vie, dès sa conception, et de la famille, fondée sur le mariage indissoluble entre un homme et une femme, aident à répondre à certains des défis les plus insidieux et les plus dangereux qui, aujourd’hui, s’opposent au bien commun. »
Au même moment, au Canada, le cardinal Ouellet s’est joint au mouvement « pro-vie » qui se définit essentiellement contre l’avortement. Il s’est permis quelques déclarations chocs qui n’ont pas manqué de soulever la colère de nombreux intervenants et intervenantes qui ne partagent vraiment pas son approche. La Conférence des Évêques du Québec a senti le besoin de prendre quelque peu ses distances par rapport aux déclarations du cardinal et a invité la population à poursuivre ce débat avec plus de calme.
MAIS POURQUOI CE DÉBAT À CE MOMENT-CI?
Est-ce vraiment ce que le monde attend de ceux qui ont la responsabilité d’actualiser pour les temps que nous vivons le message évangélique? Si certains courants de pensée, fondamentalement intégristes et internes à l’Institution ecclésiale, y trouvent leur profit, d’autres, par contre, encore plus nombreux croient que l’Église institutionnelle doit d’abord se repenser dans son organisation, dans son culte, dans sa mission. Selon ces derniers, l’Église vit dans le cadre d’une organisation qui est restée accrochée à des modèles anciens et dépassés. Elle doit se repenser dans le cadre d’une plus grande participation démocratique des croyants et croyantes, assumant ainsi les valeurs de la modernité qui ouvrent à plus de vérité et de solidarité. Elle doit se refondre dans le monde des humbles et témoigner de l’espérance évangélique par des engagements qui ouvrent la voie à plus de justice, à plus de vérité, à plus de compassion.
Un survol rapide des sites religieux et humanistes qu’internet met à la disposition de toute personne de bonne volonté permet de réaliser que de nombreux théologiens, croyants et croyantes de toute provenance, soulèvent plusieurs questions et demandent des réformes en profondeur de l’Institution ecclésiale (organisation, ministères, culte et mission) pour témoigner de l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui. En Europe, le théologien Hans Kung, suivi de nombreux autres théologiens, réclame un nouveau concile. Le site « Culture et Foi » dont les principaux artisans sont du Québec diffuse de nombreuses réflexions qui vont dans le sens d’une réforme en profondeur de l’Église institutionnelle. En Amérique latine, des prêtres, des croyants et croyantes réclament que l’Institution ecclésiale se fasse plus solidaire des pauvres et que ses engagements en soient le reflet. Des voix prophétiques se font entendre mais, malheureusement, n’ont pas toujours l’écoute des principaux concernés. Bien souvent elles sont mises au silence par des mesures disciplinaires ou, encore, en s’assure que leur voix ne résonne au sein du temple ou qu’elle ne soit relayée par les médias officiels. Pourtant l’apôtre Paul n’a-t-il pas dit que l’Église s’édifiait sur deux colonnes : celle des prophètes et celle des apôtres?
« Vous êtes intégrés dans la construction dont les fondations sont les apôtres et les prophètes, et la pierre d'angle Jésus-Christ lui-même. 21 C'est lui qui assure la solidité de toute la construction et la fait s'élever pour former un temple saint consacré au Seigneur. » (Ép. 2,20-21)
Quelle place l’Institution ecclésiale réserve-t-elle à ses prophètes qui l’interpellent de la même manière que le faisaient les prophètes de l’Ancien testament et Jésus lui-même à l’endroit des grands-prêtres? N’a-t-elle pas tendance à s’approprier, ex cathedra, tous les dons de l’Esprit, y compris celui de prophétie, et d’en être, selon sa volonté, l’unique dispensatrice à travers ses rites et ses cultes? Ce n’est pourtant pas ce que nous en dit l’apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens lorsqu’il nous parle de l’action de l’Esprit dans l’Église, Corps du Christ.
«A l'un, c'est un discours de sagesse qui est donné par l'Esprit ; à tel autre un discours de science, selon le même Esprit ; A chacun la manifestation de l'Esprit est donnée en vue du bien commun; à un autre la foi, dans le même Esprit ; à tel autre les dons de guérisons, dans l'unique Esprit; à tel autre la puissance d'opérer des miracles ; à tel autre la prophétie ; à tel autre le discernement des esprits ; à un autre les diversités de langues, à tel autre le don de les interpréter. Mais tout cela, c'est l'unique et même Esprit qui l'opère, distribuant ses dons à chacun en particulier comme il l'entend. » (1Cor.12, 7-11)
Nous sommes loin de la pensée unique et du messager unique. Cette Église, qu’est ce Corps vivant dont le Christ ressuscité est la TÊTE et son ESPRIT l’âme, déborde de beaucoup l’Institution ecclésiale à l’intérieure de laquelle les autorités hiérarchiques actuelles essaient de la contenir. Il est intéressant de noter, dans ce passage de la lettre de Paul, que la foi est un don parmi beaucoup d’autres et qu’il n’est pas, à lui seul, la source de tous les autres dons. De nombreux non croyants et non-croyantes font entendre au profit de l’humanité un discours de sagesse, d’autres un discours de science. Croire en l’Église c’est reconnaître ces multiples manifestations de l’Esprit et en être solidaires. L’Église est beaucoup plus que l’Institution ecclésiale et le Vatican est loin d’en être la seule représentation visible. L’Église, celle dont nous parle Paul, est cette communauté de vie de toutes ces personnes de bonne volonté qui, unies par le même Esprit, œuvrent pour le bien commun de tous et de toutes.
Peut-on croire, que l’Église institutionnelle, pour éviter d’aborder de front ses propres problèmes, choisisse de s’attaquer plutôt à des questions comme celles de l’homosexualité et de l’avortement? Si tel était le cas, il est fort à parier que cette approche se retournera vite contre elle, non pas pour les valeurs véhiculées, comme celles de la vie, de l’amour, de la vérité, mais en raison de son double langage. Pendant qu’elle se dit pour la vie en condamnant l’avortement et les femmes qui en sont les responsables, elle bénit des armées qui partent en guerre pour sacrifier et tuer des personnes dont la nature humaine ne fait aucun doute. Pendant qu’elle se dit solidaire des pauvres, elle se fait complice des oligarchies qui les exploitent ou, encore, elle se fait l’ennemie de ceux qui se dédient à leur affranchissement. La situation des hiérarchies catholiques, en Amérique Latine, illustre à merveille cet état de fait. On se souviendra que le 28 juin dernier, le cardinal Oscar Maradiaga du Honduras, a appuyé l’intervention des militaires, soutenue et encouragée par les intérêts oligarchiques, pour sortir du pays, par la force des armes, le Président constitutionnel, trop sensible aux intérêts du peuple. Ce cas est un exemple parmi de nombreux autres. Il en va un peu de même avec les prophètes qui élèvent la voix dans le désert de la complaisance et de la suffisance pour que l’Institution ecclésiale se convertisse à l’Esprit de son fondateur et aux humbles de la terre.
En somme, l’hypocrisie, consciente ou pas, couvrant les dessous pervers de complicités et d’alliances avec des intérêts plus idéologiques qu’évangéliques, n’arrive plus à dissimuler les contradictions qu’elle porte et les manipulations qu’elle s’évertue de réaliser pour redorer son image. Elle n’a plus d’autres choix que de s’ouvrir à la voix des prophètes et au témoignage de ceux et celles qui se donnent entièrement au service des grandes valeurs évangéliques.
Il faut croire que l’Esprit demeure toujours très actif dans le monde et que les « murs » institutionnels n’entravent pas son action. De nombreux croyants et croyantes, dans l’anonymat d’une vie dépouillée et toute de service, se dévouent auprès des malades, apportent leur soutien aux plus démunis, s’élèvent contre l’hypocrisie, la cupidité, les ambitions de pouvoir de ceux et celles qui croient pouvoir mener le monde comme ils l’entendent. Certains s’engagent au prix de leur vie à dénoncer et à combattre des systèmes qui transforment la personne humaine en marchandise, la vérité en mensonge, le mensonge en vérité, le bien en mal et le mal en bien. Ils se font solidaires de ceux et celles qui souffrent. Ils accompagnent, dans le respect, ceux et celles qui cherchent.
Oscar Fortin, théologien
20 mai, 2010