LE
PASSAGE D’UN MONDE UNIPOLAIRE DOMINANT À UN MONDE MULTIPOLAIRE ET SOLIDAIRE
Pour les chrétiens, le « carême » marque
un temps inspiré par des épisodes symboliques de l’histoire dont celui de la
marche libératrice d’un peuple qui, pour passer de l’esclavage d’un empire à
une Terre promise de liberté, dut traverser, sur une période de quarante ans,
un immense et aride désert.
Ce fut le dur apprentissage de la vie collective et
l’inévitable regroupement d’un peuple,
non plus sur la base de croyances en des veaux d’or, mais sur celle d’une
« loi constituante », écrite de la main de celui qui s’est
identifié comme « je suis
celui qui suis » (Ex.3,14). C’est dans cette loi que le
peuple s’est reconnu et c’est à travers elle qu’il a forgé son destin.Ce fut, alors, la loi de Moïse, les « dix
commandements », que nous pourrions considérer comme la première
grande « loi fondamentale » d’un peuple. Elle est l’expression d’une
alliance sacrée du peuple avec son destin, placé sous la protection de la main
invisible de celui dont le nom est: « Je suis celui qui suis ». Cette
loi, placée dans l’arche, dite de l’alliance, accompagne le peuple dans sa
marche vers cette terre promise. Elle en est l’âme et l’inspiration.
Un second épisode symbolique de l’histoire,
plus personnalisé et englobant, est celui des quarante jours que Jésus de
Nazareth passa dans le désert pour y affronter le grand ennemi, celui qui
domine et règne sur le monde. Ce dernier porte plusieurs noms : Satan, le
Père du mensonge, Mammon, le Tentateur, le Calomniateur, le corrupteur.
L’enjeu est celui
de la gouvernance du monde, disputée entre MAMMON et ce JÉSUS, identifié
par une voix venue du ciel le déclarant « le
Fils bien-aimé qui plut au Père de choisir''. Dans
ce scénario, Jésus représente les forces du BIEN et Mammon, les forces du MAl. Il vient annoncer et inaugurer l’avènement d’une nouvelle gouvernance
mondiale, appelée dans les Évangiles, le Règne du Père.
Ce Règne nouveau ne cadre pas du tout avec les
paradigmes de la gouvernance de SATAN, le père du mensonge, lesquels reposent,
pour l’essentiel, sur les valeurs de l’ « avoir », du « pouvoir »
et du « paraître ». Le récit des trois
tentations fera appel à ces trois valeurs comme autant
d’ « appâts » pour piéger celui dont la mission est de le
renverser. Une seule concession de sa part le transformerait en un
nouveau disciple, ayant perdu sa crédibilité pour mener à terme sa mission d’une
nouvelle gouvernance du monde.
Dans cette symbolique, le personnage Jésus est
porteur d’un esprit qui en fait un être, à la fois, totalement incorruptible et
porteur d’un pouvoir qui transcende les puissances qui s’imposent au monde. Sa
mission porte tout autant sur l’affranchissement de l’humanité de cette
gouvernance, dominée par la convoitise, les ambitions impériales et les
apparats que sur l’émergence d’un monde nouveau, fondé sur une conscience de
partage, de solidarité, de justice, de vérité, de respect et de compassion.
Point n’est besoin d’être croyant pour reconnaître
dans la symbolique de ces deux épisodes un enseignement qui rappelle des
vérités incontournables pour tous ceux et celles qui ambitionnent l’avènement
d’une humanité porteuse de justice, de liberté, de vérité et de respect. La
nature qu’est la nôtre, celle dont les véritables racines plongent dans les
profondeurs de la conscience qui s’éveille et grandit en chacun de nous,
n’appelle-t-elle pas à l’avènement d’un monde nouveau, d’une gouvernance
nouvelle, permettant à chaque être humain de vivre pleinement en solidarité
avec tous les autres humains?
Pour celui qui croit et dont je suis, ces
symboliques trouvent un sens particulier dans la vie et le témoignage de ce
Jésus de Nazareth dont le sort rend compte jusqu’où l’esprit qui l’animait
était profondément enraciné dans sa personne et dans l’humanité qu’il portait.
Pour moi c’est évidemment ce même esprit qui continue d’être présent dans le
monde et qui s’exprime à travers des millions de personnes, croyants ou pas, qui
oeuvrent et donnent leur vie quotidiennement pour qu’un autre monde soit
possible. L’histoire du combat de ce Jésus nous conduit au fait que ce Nouveau Monde est non seulement
possible, mais qu’il est toujours en pleine gestation,
De plus en plus, les peuples s’éveillent sous la
poussée d’une conscience toujours plus solidaire, plus critique, moins
prétentieuse et plus ouverte à ce qui se passe dans notre monde. Les
divers déserts par lesquels ils ont dû passer les ont aguerris et conduits à
décoder ce dont ils ont été et sont toujours victimes : la tricherie, la
manipulation, l’exploitation, la domination, la désinformation, la corruption.
La conscience se cimente toujours plus sur la base
d’un esprit commun d’ouverture, de solidarité, de vérité, de justice, de
respect. Les « veaux d’or » de la consommation, de l’individualisme,
des apparats, etc., n’ont pas plus leur raison d’être aujourd’hui qu’ils en
avaient en ces temps hébraïques de la traversée du désert. L’esprit de vérité,
de justice, de solidarité, de respect de compassion regroupe toutes les
personnes de bonne volonté, croyantes ou pas. D’ailleurs, n’est-ce pas à
travers ses engagements que chacun dit le mieux les convictions qu’il a, la foi
qu’il professe, l’esprit qui fait de lui une pierre vivante de cette
humanité à laquelle nous participons tous et toutes?
Il y a des signes des temps qui rappellent que
l’heure approche pour cette grande confrontation qui fera basculer
inévitablement l’humanité dans une ère nouvelle. Cette dernière sera
caractérisée, à n’en pas douter, par de nouveaux paradigmes, dominés par une
conscience qui englobera l’humanité entière. Ce sera une conscience en qui la
présence collective prendra le pas sur celle qui aura dominé à ce jour, à
savoir la conscience individuelle. L’individualisme du 1% qui domine le
monde n’a rien à voir avec une humanité solidaire et une conscience collective
respectueuse des personnes, des collectivités, des États et des mille et une
façons d’être.
La grande confrontation à laquelle nous sommes
parties prenantes, est celle entre les maîtres d’un monde unipolaire sur lequel
ils ont plein pouvoir et ceux qui croient en un monde multipolaire, respectueux
et solidaire des uns avec les autres.
Dans cette perspective, je me permets de terminer en
citant deux grands scientifiques du siècle dernier : Albert Einstein et
Pierre Teilhard de Chardin.
Albert Einstein, un des hommes les plus brillants du
siècle dernier, dans un article, écrit en 1949, pour Monthly Review, fait
ressortir les deux pôles fondamentaux qui font de l’homme un être à la fois
solitaire et social.
« Comme être solitaire il s’efforce de protéger
sa propre existence et celle des êtres qui lui sont le plus proches, de
satisfaire ses désirs personnels et de développer ses facultés innées. Comme
être social il cherche à gagner l’approbation et l’affection de ses semblables,
de partager leurs plaisirs, de les consoler dans leur tristesse et d’améliorer
leurs conditions de vie. C’est seulement l’existence de ces tendances variées,
souvent contradictoires, qui explique le caractère particulier d’un homme, et
leur combinaison spécifique détermine dans quelle mesure un individu peut
établir son équilibre intérieur et contribuer au bien-être de la société. »
Poursuivant
sa réflexion en la précisant davantage, Albert Einstein, explique ce qui
constitue pour lui la crise de notre temps.
« Il
s’agit du rapport entre l’individu et la société. L’individu est devenu plus
conscient que jamais de sa dépendance de la société. Mais il n’éprouve pas
cette dépendance comme un bien positif, comme une attache organique, comme une
force protectrice, mais plutôt comme une menace pour ses droits naturels, ou
même pour son existence économique. En outre, sa position sociale est telle que
les tendances égoïstes de son être sont constamment mises en avant, tandis que
ses tendances sociales qui, par nature, sont plus faibles se dégradent
progressivement. Tous les êtres humains, quelle que soit leur position sociale,
souffrent de ce processus de dégradation. Prisonniers sans le savoir de leur
propre égoïsme, ils se sentent en état d’insécurité, isolés et privés de la
naïve, simple et pure joie de vivre. L’homme ne peut trouver de sens à la vie,
qui est brève et périlleuse, qu’en se dévouant à la société.
Teilhard de Chardin, Anthropologue et théologien, a développé, pour sa
part, dans son livre, le Phénomène humain,
une théorie sur l’évolution de l’Univers dont la conscience humaine en
serait un aboutissement et une continuité.
p.139 - 140 « L'essence du Réel.... pourrait bien
être représentée par ce que l'Univers contient, à un moment donné,
d'«intériorité »; et l'Évolution dans ce cas ne serait pas autre chose au fond
que l'accroissement de cette Énergie «psychique » ou « radiale » au cours de la
Durée.
p 175 « quelque chose ....s'accumule
irréversiblement de toute évidence et se transmet, au moins collectivement, par
éducation, au fil des âges.... ...Un courant héréditaire et collectif
de réflexion s'établit et se propage : l'avènement de l'Humanité à travers les
Hommes. »
p 179 «
Par l'hominisation, en dépit des insignifiances de la saute anatomique, c'est
un Âge nouveau qui commence. La Terre fait "peau neuve". Mieux
encore, elle trouve son âme. »
p 180 « Ce qu'il peut y avoir de plus révélateur
pour notre Science moderne c'est d'apercevoir que tout le précieux, tout
l'actif, tout le progressif contenu originellement dans le lambeau cosmique
d'où notre monde est sorti, se trouvent maintenant concentrés dans la
"couronne" d'une Noosphère. »
p. 244 « Positivement, je ne vois pas d'autre façon
cohérente, et partant scientifique, de grouper cette immense succession de
faits (le processus cosmique d'organisation), que d'interpréter dans le sens
d'une gigantesque opération psychobiologique,- comme une sorte de mégasynthèse,
- le super-arrangement auquel tous les éléments pensants de la Terre se
trouvent aujourd'hui individuellement et collectivement soumis. Toujours plus
de complexité : et donc encore plus de conscience."
Voilà un partage sans prétention d’une méditation
sur les temps que nous vivons à la lumière de certains textes anciens relatant
des évènements qui sont de nature à nous rejoindre davantage par leur caractère
symbolique qu’historique. Les commentaires de nos deux scientifiques apportent
un éclairage contemporain sur la direction de cette évolution de notre humanité.
Ainsi, les déserts que nous traversons ne doivent
pas nous faire oublier la terre promise à laquelle nous aspirons, pas plus
d’ailleurs, la gouvernance conduisant à une plus grande intégration de la
conscience solidaire et responsable.
Oscar Fortin
Québec, le 8 mars 2017
http:/humanisme.blogspot.com