Serait-il possible que le Prophète et le Grand Prêtre se soient mutuellement reconnus dans la vérité d’une mission qui les dépasse, mais qui pour se réaliser doit passer par eux?
Le prophète, de par sa nature, ne réponde qu’à un maitre et dispose de toute la liberté pour dire et écrire ce que la voix de sa conscience lui dicte. Le Grand Prêtre, pour sa part, doit composer avec son environnement idéologique et ses solidarités institutionnelles. S’il prend la parole, elle aura été préalablement écrite et comme il n’écrit pas tous ses textes, d’autres le font. Ils s’assurent que l’orthodoxie est bien respectée et que les messages à passer aux interlocuteurs soient conformes aux attentes des solidarités institutionnelles.
Par le passé, le prophète n’était pas un personnage recherché par les puissances religieuses et civiles. Il leur rabattait leur hypocrisie, leur manipulation, leur corruption de quoi les inciter à s’en débarrasser au plus vite. Nombreux sont ceux qui ont été persécutés et tués. Même Jésus, peu de temps avant qu’il connaisse un sort semblable s’en était pris en des termes non équivoques aux docteurs de la loi et aux grand-prêtres qui mettent sur les épaules des autres des fardeaux qu’ils ne peuvent porter eux-mêmes, qu’ils font penser à des sépulcres blanchis dont l’intérieur est rempli de pourriture… (Mt. 23)
Aujourd’hui le prophète n’a pas tellement changé, mais le grand-prêtre a comme raffiné l’usage des mots et les techniques du silence pour ne pas décevoir son environnement de solidarité et en même temps laisser entrevoir au prophète que son message est entendu.
À sa descente d’avion, à son arrivée à Mexico, un bout de phrase est glissé dans son texte sans trop que l’on sache ce qu’il vient y faire et qui l’a mis. S’il a parlé de marxisme c’est à Cuba qu’il fallait le faire. Au Mexique, il était plus approprié de parler de capitalisme. Or ce petit bout de phrase, qui ne revient plus de tout le voyage, a servi à alimenter les nouvelles de nos médias occidentaux pendant quelques jours.
Parlant de ses silences, il faut mentionner qu’à aucune occasion il n’a été mentionné le capitalisme qu’il décrit pourtant dans le tome 1 de son livre sur Jésus de Nazareth, publié en 2007, de la façon suivante :
« Face aux abus du pouvoir économique, face aux actes de cruauté d’un capitalisme qui ravale les hommes au rang de marchandise, nos yeux se sont ouverts sur les dangers que recèle la richesse, et nous comprenons de manière renouvelée ce que Jésus voulait dire quand il mettait en garde contre la richesse, contre le dieu Mammon qui détruit l’homme et qui étrangle, entre ses horribles serres de rapace, une grande partie du monde. » (p.120)
Il n’est pas possible qu’il n’ait pas eu à l’esprit ce passage de son livre, surtout que le monde est entré, depuis, dans la pire crise économique de son histoire. Le système capitalisme mondial est en chute libre et il entraine le monde avec lui. N’a-t-il pas devant lui des héros qui ont lutté pour que les choses changent et qui sont en mesure de comprendre sa grande désillusion ? Non, pas un mot.
Avec Benoît XVI, les phrases et les mots utilisés peuvent toujours être pris dans deux ou trois sens, laissant ainsi aux journalistes de propagande et de désinformation de les utiliser comme bon leur semble.
Dans le même ouvrage, cité plus haut, Benoît XVI parle aussi de l’aliénation et de la description qu’en a donnée K, Marx. Même si plusieurs ont déjà lu ces textes, je pense important de les répéter, parce que ce ne sont pas nos analystes politiques et religieux qui vont le faire. Et si Benoît XVI a pu les glisser dans son livre couvrant 416 pages, il avait de bonne chance qu’ils ne soient relevés. Il l’a tout de même fait.
« N’est-il pas vrai que l’homme, cette créature appelée homme, tout au long de son histoire, est aliéné, brutalisé, exploité? L’humanité dans sa grande masse a presque toujours vécu sous l’oppression. Et inversement, les oppresseurs sont-ils la vraie image de l’homme, ou n’en donnent-ils pas plutôt une image dénaturée, avilissante? Karl Marx a décrit de façon drastique « l’aliénation » de l’homme. […] Il a livré une image très concrète de l’homme qui tombe aux mains de bandits » (p.224)
C’est évident que ces convictions profondes de Benoît XVI sont connues de Cuba. Elles font parties de celles qu’il ne saurait dire publiquement. Sans doute, par délicatesse, les autorités cubaines se sont abstenues d’y faire référence pour éviter de le mettre dans l’embarras.
Cette visite du pape à Cuba ne semble pas avoir plu beaucoup au grand voisin du nord. D’abord, la couverture des médias qui sont à sa dispositions, dont Radio-Canada, ont été plutôt sobre dans leur couverture, retenant ici et là des phrases, des mots pouvant s’interpréter dans différents sens. Telesur.tv a connu de nombreux problèmes avec son serveur, surtout aux moments des discours et des échanges civilisés et chaleureux entre les principaux dignitaires. Heureusement qu’ont pouvait les rattraper par les enregistrements du studio.
Je pense qu’un « courant » est passé du « Prophète » au « Grand-Prêtre » et que le monde découvrira toujours mieux et toujours plus ce peuple courageux, digne et ouvert au monde. Reste à voir s’il aura le courage de certaines décisions importantes par rapport à l’orientation de l’Église en Amérique latine. Il s’est même permis quelques propos positifs sur la théologie de libération qu’il avait ravalé au rang de pure idéologie lors de son voyage au Brésil en 2007. Il aurait pu nous donner un signe de cette étincelle en terminant son séjour à Cuba en invitant le monde à s’y ouvrir davantage et non l'inverse.
Raoul Castro s’est révélé être un chef d’État à la hauteur des qualités de son peuple. Il m’a vraiment impressionné.
Oscar Fortin
Québec, le 28 mars, 2012-03-28