VOICI CE QU’ILS N’ONT PAS DIT
Cette prise de parole des évêques de Cuba est d’autant plus
significative que le Continent latino-américain est en pleine mutation
politique et économique. Il en va de même avec les regroupements régionaux,
tels UNASUR, MERCOSUR, ALBA et le regroupement continental de CELAC, dont Cuba
assume présentement la présidence protemporelle.
Toute cette conjoncture n’est pas sans
modifier les rapports de force du continent latino-américain et des Caraïbes avec
les États-Unis. Dans ce contexte, Cuba est loin d’être isolé de la communauté internationale,
comme semble le suggérer le document des évêques.
J’ai
lu un
résumé qu’en a fait le site espagnol, Religion Digital. Je dois dire que sa lecture a laissé en moi un grand vide. Par
leurs silences, les évêques nous en disent plus sur leurs véritables pensées et
leurs alliances politiques que par ce qu'ils proclament.
DES SILENCES INJUSTIFIABLES
1— L’embargo
Les évêques ont relevés les conditions d'existence des cubains qui vivent avec un faible salaire. Ils ne disent toutefois rien
sur le système gratuit d’éducation du primaire à l'universitaire, des soins de santé universels accessibles à tous ainsi que de bien
d’autres services que rend l’État sans que le citoyen n’ait à débourser quoi
que ce soit. Mais plus important que
tout est leur silence sur l’Embargo économique et politique dont les effets sont dévastateurs pour Cuba.
Comment peuvent-ils parler de la situation
économique du pays sans parler de cet embargo économique et politique qui
dure depuis plus de 53 ans.
Depuis des années, la Communauté internationale, à travers sa représentation à l’Assemblée
générale des Nations Unies vote à très grande majorité contre cet embargo qui
défie le droit international et va à l'encontre des droits humains.
Une occasion unique pour ces évêques de
condamner , haute et forte et d'une seule voix, cette injustice des gouvernements successifs
des États-Unis qui défient, les uns après les autres, toute loi internationale
et qui pénalisent tout un peuple. Ce sont des milliards de dollars que le
gouvernement aurait pu utiliser pour le mieux-être de toute la population.
Sans parler explicitement de cet embargo, les
évêques rappellent tout de même les paroles de Jean-Paul II qui signala lors de
sa visite à Cuba que « l’isolement
provoqué se répercute de manière indiscriminée dans la population, augmentant
les difficultés des plus faibles sur des nécessités de base comme
l’alimentation, la salubrité ou l’éducation. »
Voilà tout ce que les Évêques ont à
dire sur cet isolement dont ils semblent ignorer ceux qui en sont les auteurs. Les seuls
effets négatifs qu’ils relèvent sont en lien direct avec l’alimentation, la
salubrité ou l’éducation. Tous les autres effets négatifs dont ceux du
développement technologique, des échanges commerciaux, etc. ne sont pas
mentionnés. En ce 8 septembre 2013, ils n’ont rien de plus à dire sur le sujet,
même pas pour dénoncer le président Obama qui vient tout juste de prolonger
d’une autre année cet embargo. Ils invitent plutôt le gouvernement Cubain à
faire plus d’efforts pour se rapprocher du gouvernement des États-Unis.
2— L’emprisonnement des cinq
antiterroristes
Dans leur intervention, les évêques
relèvent le problème des prisonniers politiques qui est toujours présent à
Cuba. Par contre ils n’ont aucun mot pour les cinq Cubains antiterroristes
condamnés injustement à de longues peines
de prison aux États-Unis.
Tout le monde sait que le mois de septembre
est le mois où les organisations de solidarité à travers le monde se mobilisent
en solidarité avec le peuple cubain pour dénoncer ces condamnations injustes et
demander leur libération immédiate.
Le crime que ces cinq cubains ont commis
est d’avoir dénoncé aux autorités compétentes des États-Unis par
l’intermédiaire du prix Nobel de littérature, Garcia Marquez, les actions
terroristes qui se préparaient Miami contre le peuple cubain. Loin de
poursuivre les terroristes, les États-Unis ont arrêté ceux qui les avaient
dénoncés. Un simulacre de jugement les envoya en prison pour des peines, à
vie pour certains et limitées pour d’autres. Un de ces prisonniers vient d’être
libéré après 14 ans de pénitencier. Les quatre autres poursuivent, depuis tout
ce temps, leur détention dans des conditions humaines très difficiles.
Depuis plusieurs années, de nombreuses organisations à travers
le monde et aux États-Unis dénoncent cette injustice et réclament leur
libération. À Cuba, le 10 septembre est justement le jour où s’unissent toutes
les voix pour dénoncer ce crime et demander la libération de ces quatre
prisonniers toujours sous le joug d’une fausse justice étasunienne.
Or tous ces évêques cubains, réunis pour
exprimer leur solidarité avec le peuple et leur espoir pour un monde meilleur, n’ont
eu aucune parole à l’endroit de ces prisonniers politiques détenus injustement
par l’oncle Sam.
3— La démocratie
Ils ont, évidemment, parlé de démocratie,
non pas pour en préciser les diverses formes d’expression et les limites
qu’elle peut comporter selon l’usage qu’en font les états. Si l’Amérique du Nord
parle beaucoup de démocratie représentative, ses critiques en dénoncent à la fois les
limites et la corruption qui parvient, dans bien des cas, à la subordonner à
des intérêts oligarchiques.
En Amérique latine, se vit également de
nouvelles formes de démocratie. Les expériences de Bolivie, de l’Équateur et du
Venezuela deviennent des exemples de démocratie participative, impliquant directement le peuple à participer
à son propre destin.
Les évêques cubains savent que le
gouvernement de Cuba est très sensible à ces nouvelles expériences de
démocratie et qu’il s’achemine à son rythme dans cette direction. L’occasion était
tout indiquée pour apporter un éclairage élargi sur la démocratie tout en exprimant une parole d’encouragement et de solidarité à l’endroit de tous ceux et celles
qui placent les intérêts du bien commun du peuple au-dessus de tous les autres.
Ils auraient pu reprendre l’expression utilisée par Jean XXIII dans son
encyclique PAIX SUR TERRE : « L’ÉTAT AUTANT QUE NÉCESSAIRE ET LE
PRIVÉ AUTANT QUE POSSIBLE ». Il faut croire que les
références à Jean-Paul II et à Benoît XVI leur conviennent mieux. Elles leur sont plus familières et plus conformes à leur propre formatage.
4— L’intégration de Cuba à la communauté
latino-américaine
À les entendre, Cuba serait isolé, seul
dans son coin. D’où leur invitation qu’il s’ouvre à la communauté
internationale, particulièrement aux EÉats-Unis.
Ç’eut été intéressant d’entendre parler les
Évêques cubains du rôle important que joue Cuba dans l’ensemble de l’Amérique latine ainsi de sa solidarité légendaire à l’endroit des populations les plus défavorisées du Continent.
J’aurais aimé les entendre mettre en relief la contribution du peuple cubain dans les secteurs
de la santé, de l’éducation et de l'intégration des pays de la région de
l’Amérique latine et des Caraïbes. Également, un moment tout désigné pour
féliciter le gouvernement cubain du rôle important qu’il exerce en tant que président
pro temporel de la Communauté d'États
latino-américains et des Caraïbes (CELAC),
regroupant 33 états de l’Amérique latine et des Caraïbes. Une occasion en or pour
parler de cette solidarité nouvelle entre tous ces pays regroupés dans cette
communauté internationale qu’est la CELAC.
CONCLUSION
Il n’y a pas de doute, qu’en parlant de
toutes ces réalités, passées sous silence, le message des évêques eut revêtu la crédibilité
nécessaire pour parler de tous les autres problèmes dont la société cubaine se
doit de résoudre.
En l’absence de ces propos, leur intervention
se présente comme une intervention commanditée
de Washington et de l’aile conservatrice et servile de l’épiscopat
latino-américain.
Lorsqu’il s’agit de pays que Washington considère
comme ses ennemis, les évêques ne se font aucun scrupule pour s’impliquer
directement dans la gouvernance de ces États et leur dicter les voies à suivre.
C’est évidemment le cas de Cuba, mais également du Venezuela, de la Bolivie, de
l’Équateur, entre autres. Le problème n’est toutefois pas qu’ils s’impliquent
dans les affaires de l’État, mais qu’ils le fassent sous influence de
Washington, de l’aile conservatrice des épiscopats latino-américains et des
mandarins du Vatican qui lui sont assujettis. Ce n'est plus une Église au service des Évangiles et des pauvres, mais une Église au service des puissances de ce monde.
Cette sortie des évêques cubains est
d’autant plus inquiétante qu’elle survient à peine deux semaines après la nomination
de Pietro Parolin, comme Secrétaire d’État.
Si le pape François n’y voit pas de plus
près, les épiscopats latino-américains vont discréditer par leurs déclarations
et leurs prises de position tout ce qu’il fait présentement de bon pour sortir
l’Église de ses dépendances et de ses complicités avec les puissances de ce
monde. Pendant qu'il reçoit en audience les représentants des pays émergents, les épiscopats de ces mêmes régions se mobilisent pour les neutraliser en appui à Washington.
Dans l’état actuel des choses, ce ne sera
pas le nouveau Secrétaire d’État, Pietro Parolin, qui va rectifier le tire, à moins qu’il y ait une conversion du genre de celle de Saul sur le chemin de Damas.
Heureusement que l’Esprit évangélique
déborde de beaucoup tout cet encadrement
idéologique et institutionnel d’une Église restée accrochée à ses
privilèges et idéologies. Le temps de passer de la doctrine au vécu évangélique, comme le fait présentement le pape François, ne semble pas les rejoindre. Ils
en sont même très éloignés.
Oscar Fortin
15 septembre 2013