NOTE : Pour les chrétiens, la semaine sainte est
le rappel de la dernière semaine, sur terre, de Jésus de Nazareth. Des moments
intenses pour cet homme qui marqua, d’une part, par sa vie, son enseignement,
sa passion et sa mort sur une croix, le destin des générations à venir et,
d’autre part, par sa résurrection l’espérance d’une issue à cette humanité en
marche. Pour les non-croyants, Pâque marque plutôt une longue fin de semaine
fériée pour les travailleurs et travailleuses.
Que l’on soit
croyant ou pas, le témoignage de cet homme interpelle l’humanité entière. Il
affirme avec autorité l’avènement d’un monde fondé sur des paradigmes tout à
l’opposé de ceux qui s’imposent à la gérance du monde tant de son temps que du
nôtre. Aux paradigmes, du mensonge, de l’injustice et de la puissance
dominatrice des peuples et de leur asservissement, il oppose ceux de la vérité,
de la justice et du respect des peuples en leur apportant justice, vérité,
solidarité, compassion et miséricorde.
En 2010, lors
d’un débat sur la laïcité et les croyances, j’étais intervenu avec un article
qui garde, je pense bien, toute son actualité.
Plusieurs
interventions ont donné lieu tout récemment à des articles et commentaires
portant sur la place qu’occupe l’Église catholique dans le tissu social,
national et culturel du Peuple québécois. J’ai lu l’intervention de M. Barberis-Gervais
sur « Lucia Ferretti, le catholicisme au
Québec et la religion » qui a suscité divers commentaires. D’autres
interventions ont suivi dont celle de M. Claude Morin, le père de
l’étapisme, et du non moins célèbre écrivain et pamphlétaire, Victor Lévy Beaulieu. Encore là,
plusieurs intervenants ont voulu y mettre leur grain de sel en commentant un
point ou l’autre de ces interventions. C’est donc en prenant en compte toutes
ces interventions y compris la toute dernière de M. Gilles Laterrière que je me
suis décidé à intervenir et à partager avec les lecteurs et lectrices de Vigile
les quelques considérations qui s’imposent à mon esprit.
En tout
premier lieu, certains faits s’imposent, peu importe que l’on soit croyant ou
pas. Qui peut nier le fait que l’Église catholique fasse partie d’un pan
important de notre histoire qui ne saurait être comprise sans en scruter les
avenants et aboutissants? Les centaines de clochers d’églises qui font partie
du paysage de nos villes et villages tout comme nos jours fériés de Noël et de
Pâque nous en rappellent la réalité. Sainte-Anne de Beaupré, Notre-Dame du Cap
et l’Oratoire St-Joseph reçoivent toujours des milliers de pèlerins chaque
année. Même si une grande majorité a délaissé la pratique religieuse
traditionnelle plusieurs de ces derniers n’en continuent pas moins à croire et
à se faire un devoir d’aller une fois ou deux par année à l’un ou l’autre de
ces centres de pèlerinage. Que cela nous plaise ou pas, les faits sont là, mais
ne sont pas exclusifs au Québec. En France, en Belgique, en Italie, en Espagne
les clochers sont nombreux et les jours fériés, fondés sur les croyances
chrétiennes, ne manquent pas. Que les institutions religieuses avec leurs
valeurs se retrouvent quelque part dans le tissu social et culturel de ces
peuples ne devrait surprendre personne.
En second
lieu, il est tout aussi important, pour être juste, de considérer l’Église non
pas comme une réalité monolithique, mais comme une institution qui n’échappe
pas aux divisions sociales et idéologiques des sociétés dans lesquelles elle
évolue. Il y a le haut et le bas clergé, le premier porteur d’autorité et de
pouvoir, vivant près des oligarchies, le second soumis et vivant avec le
peuple. De nombreuses critiques à l’encontre de l’Église catholique s’adressent
plus particulièrement à ce haut clergé, plus souvent que moins, allié des
oligarchies dirigeantes. Si quelqu’un parvenait à se hisser à ce niveau et
qu’il ne répondait pas aux attentes de cette classe, on trouvait vite un moyen
pour l’écarter. Les plus anciens se souviendront de ce qu’on a fait avec Mgr Charbonneau, évêque de
Montréal, à la fin des années 1940 et début des années 1950. Sa démission-surprise en laissa
plusieurs songeurs.
En troisième
lieu, il ne faut pas oublier que tous les religieux et religieuses qui ont
donné consistance aux écoles et hôpitaux de l’époque étaient des Québécois et
des Québécoises et que les grands mouvements de transformation des structures
mêmes de la société québécoise ont été, dans bien des cas, inspirés et soutenus
par d’illustres membres du clergé et de chrétiens fortement engagés. Je pense
particulièrement au père Georges Henri Lévesque, o.p., qui a formé une grande
partie des leaders qui allaient devenir les locomotives de la Révolution
tranquille. Je pense également à ceux et celles qui ont suscité la mobilisation
des travailleurs et travailleuses à travers la Jeunesse ouvrière catholique
(JOC) et le syndicat des travailleurs catholiques, devenu depuis lors la CSN.
Dans le secteur de l’éducation, on se souviendra de la Commission Parent, présidée
par Mgr Parent, vice-recteur de l’Université Laval. Elle fut à l’origine de la création du
Ministère de l’Éducation du Québec, au début des années 1960.
En quatrième
lieu, il faut bien se rappeler que ceux et celles qui ont frappé les plus durs
coups à l’Institution ecclésiale, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde,
sont les croyants eux-mêmes, plus préoccupés d’Évangile que de doctrines et
plus solidaires d’un monde en phase d’éclatement et de transformation. Le
Concile Vatican II a été longuement préparé par les mouvements ouvriers
inspirés par Mgr Joseph Cardijn , par les actions des prêtres ouvriers dont le
plus célèbre est l’abbé Pierre. Des théologiens exceptionnels ont dépoussiéré
des pans importants d’une institution qui n’avait plus grand liens avec ses références
premières que sont les Évangiles et le monde contemporain. Le Concile Vatican II a ouvert les
portes à la liberté de penser et d’agir au meilleur de sa conscience pour un
monde meilleur pour tous. Malheureusement, ceux et celles qui vivaient de
l’Institution ont continué à s’y agripper comme si les colonnes de ce temple
allaient résister au tremblement de terre provoqué par l’émergence d’un homme
nouveau, d’une humanité nouvelle. Dans ce contexte, je comprends VLB qui ne
veut plus rien savoir d’une religion et d’une Église qui s’accrochent à
elles-mêmes, pensant ainsi détenir les vérités éternelles et voulant ramener
tout le monde à ses formes de pensée d’une autre époque.
Ma cinquième
et dernière considération est à l’effet que les peuples et les nations ne sont
pas à la remorque ni d’une Église, ni d’une religion, mais qu’ils portent en
eux-mêmes les ingrédients les plus importants qui permettent d’être toujours
plus humains et toujours plus libres. Si les Églises et les religions ne
parviennent pas à s’inscrire dans cette mouvance et à y apporter une énergie supplémentaire,
ce sera alors qu’elles sont devenues des poids lourds qu’on aurait tort de
traîner sous prétexte qu’elles ont marqué notre histoire. Ceci dit, il ne faut
toutefois pas jeter le « bébé » avec l’eau du bain. Dans le cas de la foi, bien
des choses sont à prendre en considération. Dans un article qui remonte à un
certain temps j’avais réfléchi sur la foi qui sauve et la religion qui
asphyxie. Je pense que cette réflexion garde toute son actualité.
C’est en tant que croyant et citoyen du monde que je remets en question
certaines approches, certains comportements d’une Institution qui n’a de sens
pour moi que dans la mesure où elle devient entièrement transparente aux
grandes valeurs évangéliques, tels la vérité, la justice, la solidarité, la
compassion et l’engagement. Sur ce dernier point, je me suis questionné un jour
sur ce que seraient les véritables engagements d’un chrétien avec lesquels
toute personne de bonne volonté pourrait se reconnaître. J’avais donné comme
titre à cette réflexion « les sacrements de la vie ».
Pour
conclure, je dirai que la foi n’est la propriété d’aucune institution, y inclus
le Vatican, et que les valeurs qui portent les personnes et les peuples vers
leur devenir sont celles en qui les consciences se reconnaissent et en qui
elles trouvent les élans libérateurs leur permettant de porter encore plus loin
l’évolution des sociétés et, à travers elles, celle de l’Humanité. Si les
Églises et les religions s’inscrivent dans cette mouvance, tant mieux, mais si
elles en deviennent des obstacles, eh bien, qu’elles disparaissent. Ma foi en
Jésus de Nazareth et dans les Évangiles va dans le sens d’engagements sans
équivoques au service de ces dépassements nécessaires pour rendre réels, à tous
et à toutes, la vérité, la justice, la compassion, la solidarité et
l’engagement. C’est là, me semble-t-il, un objectif partagé par toute les personnes
de bonne volonté.
Joyeuses Pâques à tous et à toutes
Oscar Fortin
Québec, le 1er avril, 2015