Je m’adresse à vous qui êtes les successeurs des apôtres et les témoins, pour le monde d’aujourd’hui, du message évangélique, tel que révélé en Jésus de Nazareth. Je le fais en tant que croyant en ce Jésus et en tant que membre de l’Église dont il est toujours la Tête vivante.
Le regard que je porte sur vous et sur l’Église s’inspire, pour une part, de ce Jésus de Nazareth qui se laisse découvrir à travers les Évangiles et, pour d’autre part, du monde contemporain qui nous met en contact avec une humanité à la recherche de toujours plus de justice, de vérité, de solidarité et de liberté.
Lorsque je relis les Évangiles et que je m’attarde sur les diverses consignes adressées par Jésus à ses apôtres et disciples, je n’arrive plus à les y reconnaître dans ce que vous êtes devenus. J’ai comme l’impression que vous acceptez plus facilement la « tradition » qui fait de vous des « maîtres », disposant d’autorité, des « personnages », se démarquant par leur hiérarchie, des « collaborateurs » s’identifiant aux classes dirigeantes. Cette « tradition », héritée d’une longue histoire, semble vous aller comme un gant. Toutefois, elle ne saurait se substituer à cette autre tradition qui nous vient, celle-là, directement de Jésus de Nazareth. Plus contraignante, mais aussi plus authentique, elle est à la base de cette conversion qui ouvre au Règne de Dieu. Il s’agit de cette bonne nouvelle qu’il vous a envoyés annoncer à toute personne de bonne volonté.
« Et tandis qu'ils faisaient route, quelqu'un lui dit en chemin : " Je te suivrai où que tu ailles. Jésus lui dit : " Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où reposer la tête. " Lc. 9,57
« N'emportez pas de bourse, pas de besace, pas de sandales, et ne saluez personne en chemin. »
«Les rois des nations dominent sur elles, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler Bienfaiteurs. Mais pour vous, il n'en va pas ainsi. Au contraire, que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. Quel est en effet le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N'est-ce pas celui qui est à table ? Et moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert ! » Lc. 22, 24-27
Cette tradition est tout à l’opposé de la tradition héritée des empires royaux. Elle fait appel à une autorité ecclésiale dépouillée de ses honneurs, de son prestige, de ses sécurités, de ses ambitions et de ses luttes de pouvoir. Cette relation nouvelle, inaugurée en Jésus, transformant le maître en serviteur, le plus grand en plus petit, fait partie de cette bonne nouvelle du Règne de Dieu. Pouvez-vous, en toute honnêteté, témoigner du Règne de Dieu en étant captifs de tous ces apparats et dépendances institutionnelles?
Qu’en est-il dans les faits? Combien d’entre vous vivent avec les plus défavorisés des diocèses dont vous êtes les « pasteurs »? Qui sont les invités les plus fréquents avec lesquels vous aimez partager vos repas? Quelles sont les grandes préoccupations qui retiennent le plus vos énergies et vos engagements? Sont-elles celles qui portent sur l’avènement du Règne de Dieu dans le monde d’aujourd’hui ou celles qui portent plutôt sur l’organisation sacramentelle d’une Église toute centrée sur le culte et les liturgies?
Un survol rapide de ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui, nous révèle une humanité dont les deux tiers vivent dans la pauvreté, générée en grande partie par la cupidité d’oligarchies qui dominent les pouvoirs politiques, économiques, judiciaires et même religieux. Les mensonges, bien déguisés en vérités et diffusés à grande échelle, contaminent l’esprit des gens qui en arrivent ainsi à soutenir des guerres de conquête et de domination.
Ceux et celles qui s’opposent aux forces de ces oligarchies sont diabolisés, persécutés, arrêtés, torturés, assassinés. La voix des hiérarchies se fait complice, plus souvent que moins, de ces mêmes oligarchies. Combien d’Évêques élèvent fortement la voix pour dénoncer cette grande tricherie internationale et les injustices qui en résultent? En Occident, là où l’Église est en plus grande proximité avec les puissances dominatrices, le Pape et les Évêques, dont vous êtes, demeurent plutôt discrets. Le monde est loin d’entendre cette voix forte des successeurs des apôtres qui dénonce à temps et à contre temps ces guerres fondées sur le mensonge et la cupidité des conquérants. Il est plutôt témoin de la bénédiction qu’ils apportent aux soldats qui partent en guerre, du maintien des bonnes relations qu’ils continuent d’entretenir avec les conquérants et, dans nombre de cas, des condamnations répétées de ceux et celles qui résistent à ces forces impériales. Les discours sur les forces armées, la violence, les guerres se font discrets et souvent, ambigus.
Qui d’entre vous a envoyé des lettres pastorales, à être lues dans toutes les églises de vos diocèses, dénonçant l’intervention de l’OTAN en Libye et les ambitions de conquête des belligérants un peu partout dans le monde? C’est évidemment moins compromettant de parler des moyens contraceptifs, de l’avortement, du mariage des personnes de même sexe, des méfaits du terrorisme, sans toutefois, dans ce dernier cas, en préciser ses différents visages. En somme, un discours complaisant pour les puissants, mais trompeur pour les humbles de la terre.
On raconte que lors du Concile Vatican II, un groupe d’évêques, réunis autour de Don Helder Camara, avait conclu un pacte, le pacte des Catacombes, visant à ce retour auprès des pauvres et à ce dépouillement inévitable pour que ce retour soit pleinement authentique. De toute évidence, un geste prophétique. Il aura été une inspiration pour plusieurs évêques du Tiers-Monde dont certains seront morts martyrs. Mgr Oscar Romero, de San Salvador, est un de ceux-là.
Il est évident que dans le cadre de cette tradition évangélique, les prétendants aux hautes fonctions ecclésiales se feraient moins nombreux. Les luttes de pouvoir se transformeraient en mille excuses pour ne pas être de la compétition. Les bidonvilles, les fonctions sans honneur et sans prestige, les affrontements inévitables avec les puissances qui s’imposent aux laissés pour compte, tout cela n’aurait pas de quoi attirer les carriéristes et les ambitieux.
Alors, en tant que croyant et membre de l’Église catholique, je vous demande, quelles sont vos priorités, comme pasteurs et successeurs des apôtres, pour que le Règne de Dieu, inauguré en Jésus, soit proclamé avec force et courage dans chacun de vos diocèses et dans l’Église universelle? Il s’agit bien d’un Règne de justice, de vérité, de solidarité, de compassion et d’amour. Comment voulez-vous que le monde croie en ce message si les lois qui vous régissent, comme institution et comme autorité, s’inspirent davantage de celles qui régissent les puissances de ce monde que de celles qui s’inspirent de ce Règne nouveau, inauguré en Jésus?
« Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent. » Mt. 6,25
Le temps n’est-il pas venu de choisir entre une Église, caractérisée par le culte et les sacrements et une Église, phare et témoin d’humanité qui convoque à l'avènement d'un monde nouveau?
Oscar Fortin
Québec, le 30 juin 2011