POUTINE EST À PRENDRE AU SÉRIEUX
Ce serait une grave erreur pour l’Occident et ses dirigeants de ne pas
prendre au sérieux ce que dit Poutine. Il n’est pas du genre à parler pour ne rien
dire. Ce qu’il a à dire, il le dit sans élever le ton et sans effet oratoire.
Les mots sont pesés, les pensées sont claires et ses intentions sont sans
équivoque. On se souviendra de son intervention, l’an dernier, à la rencontre
de Valdaï, où il avait précisé les défis à relever de la part des
puissances qui conditionnent les destinées de ce monde.
« …le monde s'est engagé dans
une époque de changements et de mutations profondes, époque où nous devons tous
faire preuve d'un degré élevé de prudence et d'une capacité à éviter les
démarches irréfléchies".
Cette année, à l’occasion de sa rencontre avec les experts
internationaux, réunis
à Sotchi pour la XIIe édition du club de discussion de Valdaï, il a de
nouveau pris la parole dans un contexte où les problèmes semblent s’accentuer
plutôt que de diminuer. Le conflit en Ukraine n’est toujours pas résolu. En
Syrie, le droit international de l’État syrien est toujours bafoué par la
coalition occidentale qui ignore la souveraineté et l’indépendance du peuple syrien.
Elle recrute, forme, arme et finance une soi-disant armée de libération syrienne
(ALS) pour lutter contre l’armée syrienne et le gouvernement de Bachar Al-Assad.
Pendant ce temps, les terroristes de l’État islamique étendent leur influence
et leur domination sur le territoire syrien et, au lieu de disparaître sous les
frappes de la coalition occidentale, ils se sont renforcés. Ce fut à tout le
moins le cas jusqu’à ce que la Russie intervienne en réponse à l’appel du
président Bachar Al-Assad.
« Les États-Unis possèdent un grand potentiel militaire, mais
il est toujours difficile de mener un double jeu : lutter contre les
terroristes et en même temps en utiliser certains pour poser des pions sur le
damier du Moyen-Orient dans leur propre intérêt. Il est impossible de vaincre
le terrorisme si l’on utilise une partie des terroristes comme un bélier pour
renverser des régimes que l’on n’aime pas. On ne peut pas ensuite se
débarrasser de ces terroristes. C’est une illusion de croire qu’on pourra les
chasser du pouvoir. Le meilleur exemple nous est donné par la situation en
Libye. On espère que le nouveau gouvernement pourra stabiliser la situation,
mais ce n’est pas le cas pour l’instant ».
Ce double jeu des États-Unis
et de ses alliés agace d’autant plus Vladimir Poutine qu’il rend pratiquement
impossible toute action concertée pour se libérer de l’État islamique et du
terrorisme, quelle que soit la forme qu’il prend. Il n’y a pas, comme il le dit
dans une autre partie de son intervention, un terrorisme modéré et un
terrorisme cruel. Dans les deux cas on tue et l’on assassine, faisant fi de
tout droit et de toute loi.
« «Il ne faut pas diviser
les terroristes entre modérés et non-modérés. On voudrait savoir la différence.
Les experts disent que les terroristes «modérés» décapitent les gens de façon
modérée ou tendre»
Deux conflits majeurs
permettent de cerner avec précision ce qui sépare l’approche de la Russie de
celle des États-Unis et de L’Europe.
En Ukraine, la Russie a toujours soutenu que le conflit en est un entre le Donbass et le gouvernement central de Kiev. Il appartient donc au
gouvernement de Kiev de reconfigurer la constitution en concertation avec les
gouvernements du Donbass (Donetsk et Lougansk) de manière à respecter leurs
particularités culturelles et leur autonomie comme peuples. C’est d’ailleurs la
conclusion à laquelle en est arrivé Minks2. À ce jour Kiev se résiste à cette concertation assurant un statut
particulier pour cette région du sud-est de l’Ukraine.
Les États-Unis, n’ayant pas participé directement à ces négociations
de Mink2 n’en continue pas moins à apporter leur soutien au gouvernement
central de Kiev en lui fournissant des armes et en formant des soldats pour lutter
contre les populations du Donbass.
En Syrie, la Russie reconnaît la légitimité de l’État syrien ainsi que celle
de son président, Bachar Al-Assad. C’est d’ailleurs à l’invitation de ce
dernier que la qu’elle intervient pour lutter contre les terroristes de l’État
islamique qui n’ont rien à voir, comme tel, avec le peuple syrien. Par contre,
les groupes armés, d’une soi-disant opposition syrienne, profitent de la
présence de l’État islamique pour accentuer leurs actions contre l’armée
régulière et le gouvernement de Bachar Al-Assad. À plusieurs reprises, la Russie
a demandé aux États-Unis qui l’accusent de bombarder cette armée de
l’opposition qu’ils soutiennent en armements, en formation et en argent de leur
fournir la liste des positions de l’ALS. Tout ceci pour éviter de les prendre
pour cibles. Cette requête est demeurée sans réponse. Pour la Russie, Il
appartiendra à l’armée régulière syrienne de les combattre ou aux responsables
politiques des deux groupes en litige de résoudre entre eux, leurs différents. Pour
Moscou, ce sera toujours le peuple syrien qui devra avoir le dernier mot
concernant le choix de ses dirigeants et le régime politique de l’État.
Quant aux États-Unis et ses alliés, ils ne reconnaissent pas la légitimité du
gouvernement dirigé par Bachar Al-Assad et n’en tiennent aucunement compte dans
leurs interventions en Syrie. Ils recrutent des mercenaires d’un peu partout à
travers le monde pour grossir les rangs de l’ASL. Cette opposition armée n’est
en rien comparable avec les combattants du Donbass, en Ukraine. Dans ce dernier
cas, ce sont les populations locales, soutenues par leurs gouvernements
régionaux, qui réclament un statut spécial qui respecte leur particularité
culturelle et ethnique.
Il est évident que les approches ne sont pas du tout les mêmes et
que les fondements qui les soutiennent ne répondent pas aux mêmes principes.
Pour la Russie, il est
prioritaire de respecter le principe du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes et de celui des États à jouir pleinement de leur indépendance et
souveraineté.
Pour les États-Unis et
ses alliés européens, le principe qui sous-tend tous les autres est celui de la
subordination des régimes politiques et économiques à leurs intérêts. La gouvernance mondiale recherchée nivelle le
principe des nations et, avec ce dernier, celui de leurs droits.
Cette
rencontre sur trois jours des principaux acteurs concernés dans cette guerre en
Syrie n’a malheureusement pas donné les résultats escomptés. Les États-Unis ont
décidé d’envoyer des militaires en Syrie pour soutenir l’armée d’opposition syrienne
et poursuivre ainsi leurs actions contre le gouvernement syrien. Cette décision
prend la forme d’une véritable provocation contre l’intervention russe en
Russie. Sous des dehors de promoteur de la paix en Syrie, John Kerry se moque
éperdument de la Russie et de son ministre des relations internationales,
Serguei Lavrov. Il parle et agit comme si les États-Unis avaient toujours bien
en main le leadership de la lutte contre le terrorisme et des voies à suivre
pour rétablir la paix en Syrie.
Cette intervention du secrétaire d’État, John Kerry, ne prend
aucunement en compte l’approche russe de la lutte contre l’État islamique pas
plus d’ailleurs que celle de la reconnaissance légitime du Gouvernement syrien.
Plus tôt, le chef de la diplomatie russe s’était prononcé pour un règlement
politique du conflit syrien impliquant la participation du président Bachar Al-Assad
et la participation de l’ensemble de l’opposition syrienne non armée.
Il faut dire que les provocations des États-Unis contre la Russie ne
manquent pas. Tout est mis en œuvre pour discréditer ses interventions en Syrie
et minimiser ses succès. Sur la scène européenne, l’étau se resserre autour de
la Russie. Sur ce dernier point, la Russie a servi un sérieux
avertissement à l’OTAN.
"Il s'agit du rapprochement
de l'OTAN et de ses infrastructures militaires vers nos frontières, ce qui
constitue un phénomène que nous considérons comme indésirable et dont nous
expliquons depuis longtemps les potentielles conséquences dangereuses", a
déclaré le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov à la question de commenter les
informations parues dans le WSJ.
Que va
conclure Vladimir Poutine de tout cela?
Il est certain qu'il a décodé depuis un bon bout de temps la
stratégie et les objectifs des États-Unis. Les comportements de ses
"partenaires" occidentaux, comme il les appelle, lui confirment le
fait qu'ils ne démordent pas de leur grand projet de s'asservir les nations et
les peuples. La confrontation est de plus en plus plausible. Sur ce dernier
point, John Kerry qui se dit optimiste quant à la non intervention de la Russie
peut très bien se tromper. Il devrait plutôt prendre très au sérieux ces propos
tenus par Vladimir Poutine à la tribune de Valdaï.
“Il y a 50 ans, à Saint-Pétersbourg, la rue m’a appris une
règle : si la bagarre est inévitable, il faut frapper le premier.”
L'Occident
risque beaucoup à ne pas prendre au sérieux Vladimir Poutine.
Oscar Fortin
Le 31 octobre 2015