UNE ÉGLISE À CONVERTIR ET UNE HUMANITÉ À DÉCOUVRIR
Dans le Motu Proprio « Porta
Fidei », du 17 octobre 2011, le pape Benoît XVI a annoncé une « Année
de la foi » qui débutera le 11 octobre 2012, pour le cinquantième
anniversaire de l'ouverture du concile Vatican II, et se conclura en la
solennité du Christ Roi, le 24 novembre 2013. Le thème en sera « la nouvelle évangélisation
pour la transmission de la foi chrétienne ».
Il s’agira donc d’un temps fort, permettant de revenir
aux sources de la foi, d’en comprendre les véritables implications dans la
conscience humaine et d’en saisir les engagements auxquels elle conduit. Cet exercice
de réflexion et d’analyse sera d’autant plus percutant que le diagnostic des
problèmes que vit l’Église, se fera à la lumière tout autant des impératifs évangéliques
que de ceux du monde dans lequel nous vivons.
On ne peut parler de la foi sans s’arrêter à celle, toute
simple, qui émerge des Évangiles par rapport
à celle, plus complexe, qui émerge de l’Église. Ce sont là deux
références incontournables.
LA FOI QUI ÉMERGE DES
ÉVANGILES
Jésus, personnage central des Évangiles, a posé des
gestes symboliques redonnant valeur et importance à toute personne de bonne
volonté, particulièrement les délaissées et les exclues de « la bonne
société », celle des puissants, des grands prêtres et des docteurs de la
loi.
« Il a déployé la force de son bras, il a dispersé
les hommes au cœur superbe. Il a renversé les potentats de leurs trônes et
élevé les humbles. Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les
mains vides. » (texte prophétique de Marie à sa cousine Élisabeth. Lc. 1.51-53)
Il a également fait entendre une voix dont
l’essentiel du message peut se résumer à ceci : « Aime ton Dieu de tout ton
cœur, de toute ton âme et de toutes tes pensées et aime ton prochain comme
toi-même. »(Mc 12,29-30) « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer
les uns les autres. » (Jn 15,17) « Ce que vous faites au plus
petits des miens c’est à moi que vous le faites et “si vous ne croyez pas ma
parole, croyez dans mes œuvres.” (Jn 14, 11)
En d’autres mots, aimer Dieu de tout son cœur, c’est d’abord et avant tout
aimer son prochain comme soi-même et ne pas faire aux autres ce que l’on ne
voudrait pas qu’on nous fasse. Un peu comme le message de bons parents à leurs
enfants. “La meilleure manière de nous dire votre amour c’est que vous vous aimiez les uns
les autres. Ce sera là notre plus grand bonheur.» C'est pour ainsi dire l'ADN de l'humanisme et du christianisme pris dans son sens le plus profondément évangélique.
Ce message de Jésus va à l’essentiel de toute vie humaine. Loin de
détourner nos regards du monde dans lequel nous vivons pour les fixer sur un dieu
qui lui serait étranger, il les tourne vers les hommes et les femmes de ce
monde en nous disant de les aimer comme nous voudrions qu’ils nous aiment et
d’agir à leur endroit comme il l’a fait lui-même. En cela est la volonté de son
Père et en cela est sa volonté. La rencontre du Dieu de Jésus, ne peut se faire
qu’à travers la rencontre des hommes et des femmes qui côtoient nos vies et
tout particulièrement à travers les exclus, les pauvres et les sans défense.
Croire en Jésus, c’est faire en
sorte que la justice soit toujours plus justice, que la vérité soit toujours
plus incisive pour mette à nu les mensonges et les hypocrisies, que la solidarité
devienne fraternité et que la compassion et la miséricorde nous élèvent au-dessus
des guerres et fassent taire les armes de la haine.
Cette foi est un don de Dieu qui se présente aux cœurs ouverts et aux
esprits disponibles. Ses œuvres sont amour, justice, vérité, compassion,
miséricorde, solidarité (Mc. 23,23). En cela nous reconnaissons ses véritables disciples.
LA FOI QUI ÉMERGE DE
L’ÉGLISE
Cette foi est condensée dans le « Je crois en Dieu » et dans le catéchisme qui
rappelle les grandes vérités de la foi chrétienne, telles que manifestées tout
au long des siècles et dont témoignent les dogmes. Elle est un “enseignement” qui se
communique et s’apprend. Sa manifestation principale est celle qui s’articule
dans les divers cultes et tout particulièrement dans la célébration des
sacrements. Elle encadre la vie des croyants dans des préceptes qui orientent leur vie morale, précisant ce qui est bon et ce qui est mauvais.
Cette foi est portée par une Église qui s’est également
transformée tout au long des siècles pour devenir l’institution ecclésiale que
nous connaissons avec sa doctrine, ses liturgies, ses sacrements, ses prêtres, ses
évêques, ses nonces apostoliques, ses cardinaux, son État. Tout cela sous
l’autorité vaticane dont le pape est le représentant par excellence. Si elle a
connu ses heures de gloire, elle se voit maintenant désertée par bon nombre de
ses membres. Un questionnement s’impose tout autant pour diagnostiquer cet
abandon que pour dégager les mesures à prendre pour y remédier.
Un premier diagnostic
Les multiples composantes de l’Église ont été mises à
contribution pour réfléchir à ce thème. Les principales conclusions de chacune
d’elles ont été transmises au Vatican qui en a fait une synthèse à l’intention
du prochain synode des évêques du monde entier qui se tiendra à Rome, du 7 au
24 octobre prochain. Son contenu, sous le titre « Instrumentum laboris », a été rendu public le 19 juin 2012.
Dans l’introduction de ce document, on peut lire :
“En se laissant vivifier par l'Esprit Saint, les chrétiens
seront aussi sensibles à de nombreux frères et sœurs qui, bien qu'étant
baptisés, se sont éloignés de l'Église et de la pratique chrétienne. C'est plus
particulièrement à eux qu'ils veulent s'adresser avec la nouvelle
évangélisation pour leur faire découvrir une nouvelle fois la beauté de la
foi chrétienne et la joie de la rencontre personnelle avec le Seigneur Jésus,
au sein de l'Église, communauté des fidèles.”(3)
Le document
comporte quatre chapitres : Jésus-Christ, Évangile de Dieu pour l’homme; Le temps
d’une nouvelle évangélisation; transmettre la foi; raviver l’action pastorale.
Zeinab Abdelaziz, Prof. émérite de civilisation
française, s’intéressant particulièrement au diagnostic fait par les divers
intervenants, relève les points qui ont été identifiés comme causes de l’abandon de l’Église :
“l’éloignement des baptisés de la pratique chrétienne;
l’indifférence religieuse; la sécularisation; l’athéisme; la diffusion de
sectes; une confusion grandissante qui induit les chrétiens à ne pas écouter
les prêtres; la peur, la honte ou le fait de ‘rougir de l’évangile’ comme
disait Saint Paul; les migrations; la mondialisation; les communications;
l’affaiblissement de la foi des chrétiens; le manque de participation; la
diminution du dynamisme des communautés ecclésiales; la perte de l’enthousiasme
et l’affaiblissement de l’élan missionnaire; une véritable apostasie
silencieuse”. C’est pourquoi l’Église trouve nécessaire de réévangéliser les
communautés chrétiennes marquées par les importantes mutations sociales et
culturelles », y compris le reste de l’humanité.
Un diagnostic
tout centré sur l’Église, ses institutions, ses cultes et son enseignement. Il faut sauver à tout prix cette Église dans ses institutions et sa doctrine.
Aucun
point ne remet en question l’Institution ecclésiale elle-même pas plus que sa
doctrine qui se substitue dans bien des cas à l’Évangile. Aucun point ne relève
les défis que posent aujourd’hui les conditions de vie de plus des 2/3 de
l’humanité pas plus que les impératifs évangéliques d’être avec les exclus et
les plus délaissés de nos sociétés. On parle plutôt de trouver de nouvelles
méthodes pour ramener les ‘brebis perdues’.
‘Il faut
rechercher de nouvelles méthodes et de nouvelles formes d'expression permettant
de transmettre à l'homme d'aujourd'hui l'éternelle vérité de Jésus-Christ,
toujours nouveau, source de toutes les nouveautés. Seule une foi solide et
robuste, caractéristique des martyrs, peut motiver un grand nombre de projets
pastoraux – d'un rayonnement plus ou moins grand —, revitaliser les structures
déjà existantes, et susciter la créativité pastorale à la hauteur des besoins
de l'homme contemporain et des attentes des sociétés actuelles.’(3)
UNE CONVERSION DE L’ÉGLISE S’IMPOSE
Nous n’en sommes plus à une revitalisation des structures déjà
existantes, mais à une transformation radicale de l’Église et de sa présence dans
le monde. Elle doit sortir du Vatican et se laisser découvrir là où sont les
pauvres, les exclus, les persécutés. Elle doit redevenir un témoin de justice,
de vérité, de service, d’humilité, de solidarité et de bonté. Il n’y a pas de demi-mesure
lorsqu’il est question de ceux et celles qui portent le message évangélique et
qui témoignent de Jésus de Nazareth. Elle doit assumer ce que le jeune homme
riche de l’Évangile (Mc 10,17-22) n’a pu faire pour suivre Jésus, à savoir tout
laisser, vendre ses biens et en donner les profits aux pauvres. Là commence le
premier acte de foi de ceux qui ont pour mission de témoigner du message
évangélique pour les temps que nous vivons.
De plus, elle doit prendre ses distances des puissances et des empires qui font
la pluie et le beau temps dans le monde. Elle doit retrouver sa liberté, celle
du Nazaréen qui a dénoncé les hypocrites, les menteurs, les docteurs de la loi
qui mettaient sur les épaules des autres des fardeaux qu’ils ne pouvaient
eux-mêmes portés.
Le message du Nazaréen est d’une grande
simplicité. Il va dans le sens d’une humanité, transformée par des lois qui
transcendent la cupidité, l’égoïsme, le mensonge, la tromperie, du tout pour
soi. Il s’inscrit dans la conscience des hommes et des femmes comme une ‘foi’
et non comme une religion. Elle est celle qui répond le mieux aux attentes des
hommes et des femmes d’aujourd’hui.
Le message de l’Église, par contre, est
d’une plus grande complexité. Sa doctrine et son enseignement sont souvent peu
compréhensibles. L’image que l’Église projette d’elle-même est souvent en
contradiction avec les préceptes évangéliques et les consignes données par
Jésus à ses disciples. En elle se côtoient les doctrines et les interdits, la foi
et les pratiques religieuses, le ciel et l’enfer.
Dans le premier cas, la foi de l’Évangile rejoint et transforme
l’humanité. Dans le second cas, elle s’en éloigne.
L’auteur plus haut cité, Zeinab Abdelaziz, tire cette conclusion
relative au diagnostic fait par le Vatican et ses collaborateurs :
‘Ce n’est donc pas l’indifférence religieuse, la
sécularisation, l’athéisme, la diffusion de sectes ou une confusion
grandissante qui induisent les adeptes du christianisme à le fuir ou à
s’éloigner en silence, mais la découverte de tous ces subterfuges, la
découverte de toutes ces contrefaçons et ces complots, imposés le long d’une
histoire coriace, inhumaine et ensanglantée. Une histoire de laquelle n’ont été
signalées que des bribes, rien que des bribes concernant la formation du
christianisme, laissant de côté tous les scandales en cours depuis des siècles,
à ne citer que la pédophilie et la Banque du Vatican, cette Institution
d’Œuvres Religieuses (IOR), incriminées dans la collaboration avec la maffia,
le blanchiment d’argent, le commerce de la drogue, l’armement et les complots
politiques.’
EN CONCLUSION
Point n’est besoin de prendre à témoin les prédictions de Malachie et de
Nostradamus pour constater que ‘cette Église de Rome’, vit ses
derniers temps. Par elle-même, elle ne saurait se convertir, dire adieu à son
pouvoir, à ses attaches, à ses alliances et à ses privilèges. L’histoire se
chargera elle-même de la libérer de tout cet arsenal qui ne correspond en rien au
Jésus de Nazareth que nous présentent les Évangiles.
Je suis croyant et ma foi m’ouvre toujours plus au monde des humbles et
des laissés pour compte. Les conflits qui se manifestent un peu partout dans le
monde m’interpellent. Les milliers de morts, de blessés, de familles brisées ne
me laissent plus indifférent. J’essaie de comprendre et de détecter les
fauteurs de troubles, ceux qui utilisent à profusion le mensonge pour mieux
tromper et manipuler l’opinion mondiale afin d’imposer leur volonté à l’humanité
entière. Ils sont bien souvent de ceux et de celles qui se disent chrétiens et croyants
en Jésus de Nazareth. Dans de nombreux cas, l’institution ecclésiale les y
accompagne. Comment est-ce possible?
Ma foi m'ouvre à une humanité toujours plus consciente d'elle-même, plus engagée, plus soucieuse de justice, de solidarité, de vérité, de respect. Une humanité qui se libère des chaînes de l'oppression et de domination. Nous entrons tous et toutes dans une ère nouvelle dont les paramètres se laissent entrevoir dans les luttes que mènent actuellement les peuples. Ce qui est vraie pour l'humanité, l'est également pour les églises.
J’en arrive donc au constat que plus augmente ma foi en Jésus de
Nazareth et en cette humanité blessée à laquelle il s’est identifié, plus je
m’éloigne de « cette religiosité » qui donne bonne conscience en
dépit des crimes commis.
De quoi faire réfléchir.
Oscar Fortin
Québec, le 17 juillet 2012