AU QUÉBEC
BRAS DE FER ENTRE INTÉRÊTS OLIGARCHIQUES ET BIEN COMMUN
Ce qui se passe présentement au Québec est
plus qu’une simple manifestation étudiante contre la hausse des frais de
scolarité. Cette problématique est plutôt le point de départ d’un
questionnement plus fondamental sur nos priorités, la gestion de nos biens, de
nos richesses et sur la responsabilité de ceux et celles qui ont le mandat d’agir
pour répondre prioritairement aux exigences du bien commun de la collectivité.
Pour une grande majorité de cette dernière, l’éducation gratuite, accessible à
tous et à toutes, fait partie de ce bien commun.
Dans la situation actuelle, le Peuple Québécois
a le sentiment que nos responsables politiques agissent davantage comme
représentants d’oligarchies financières et économiques que comme représentants
du peuple. Ils mettent au service de ces dernières les outils de l’État ainsi
que ses richesses tout en modifiant subtilement les engagements de l’État à
l’endroit des travailleurs, des étudiants, des groupements sociaux, des soins
de santé.
Ce qui se passe au niveau des organisations
sociales, des associations étudiantes, des groupes écologiques, des
regroupements des travailleurs ne peut être, pour ces gouvernants et
oligarchies, que marginal et le produit de quelques radicaux en mal de
publicité. S’il y a des déficits, c’est à cause d’eux et s’il faut serrer la
ceinture quelque part c’est vers eux qu’il faut se tourner. Leurs
manifestations, leurs lamentations n’ont pas de quoi ébranler la sérénité de
ces gouvernants qui ont déjà tout pensé à l’avance. Il n’y a donc rien pour
prendre la cause de ces contestataires au sérieux et encore moins pour les
prendre eux-mêmes au sérieux.
L’humour cynique de Jean Charest à
l’endroit des étudiants et de leurs manifestations en a été une expression sans
équivoque. D’ailleurs, le rire de son auditoire n’a fait que confirmer la
nature de ceux et celles au service desquels il se met.
Pourtant, des peuples, beaucoup plus
pauvres que le Québec et le Canada, ont la conscience sociale suffisamment
développée pour assurer « gratuitement et solidairement » l’éducation
à tous et à toutes. C’est, entre autres, le cas de Cuba, de la Bolivie, de
l’Équateur, du Venezuela, du Nicaragua. Pourquoi ces derniers peuvent-ils le
faire et pas nous?
Une des réponses est que ces peuples se
sont dotés d’une constitution, ce qui n’est pas encore le cas pour le Québec,
dans laquelle l’éducation et la santé sont inscrites comme des biens essentiels,
devant être accessibles à tous et à toutes. Ainsi, l’État a la responsabilité
de trouver les ressources nécessaires pour répondre à cette obligation. Pour y
arriver, il puise, entre autres, dans les richesses du pays, dans une fiscalité
équitable et dans une saine gestion, sans privilèges ni corruption. Lorsque
nécessaire, il y a des nationalisations, des prises de contrôle par l’État de
certains secteurs de l’économie et des finances. Des mises au pas de certains
secteurs habitués à puiser sans contrôle dans la caisse ont été nécessaires.
Plusieurs ont poursuivi leur collaboration avec des conditions avantageuses,
mais non irraisonnables. D’autres sont partis. Ces pays ne s’en portent que
mieux.
Si les oligarchies financières et
économiques ont toujours leur place dans le développement de la société, ce
n’est plus en tant que maitres de l’État, mais en tant que participants, au
même titre que toutes les autres composantes de la société. Elles sont parties
du bien commun, mais elles ne sont pas le bien commun. Leurs intérêts doivent
s’y subordonner comme c’est le cas pour tous les autres groupes de la société.
La liberté des uns a pour frontière celle des autres tout comme les droits des
uns ont pour frontières le droit des autres.
Lorsqu’on dit qu’il n’y a plus d’argent,
que les déficits s’accumulent et qu’on ne peut laisser aux générations à venir
le poids des dettes accumulées, a-t-on vraiment fait le tour de toute la
question? A-t-on scruté tous les recoins de la fiscalité pour en vérifier
l’équité solidaire de tous et de toutes avec la société? A-t-on révisé si les
conditions d’exploitations des richesses du Québec répondent aux valeurs
réelles de ces dernières et si les montants investis par l’État ont un
rendement compétitif aux marchés? A-t-on regardé de plus près la gestion de nos
sociétés d’État, Hydro-Québec, la SAQ et tous les autres services, sujets à
l’influence des lobbies et à la corruption?
Il est facile de couper dans la santé,
l’éducation, le social et de laisser aller le navire aux commandes
d’oligarchies qui ne demandent pas mieux que de disposer de tous les avoirs.
Depuis deux ans, nous parlons de corruption dans à peu près tous les secteurs.
Des centaines de millions de dollars s’envolent sans qu’il y ait eu panique
dans la demeure. Pourtant les déficits étaient là.
Pendant que l’État reprend de plus en plus
sa place dans les pays du sud, ici, on cherche à en réduire le rôle et
l’importance. Les oligarchies savent que l’État est le seul à avoir la
responsabilité de répondre aux exigences du Bien commun. Elles ne sont pas trop
intéressées à ce que les gouvernants prennent ce rôle trop au sérieux.
Le principe qui devrait guider les
gouvernants est le suivant : l’État autant que nécessaire et le privé
autant que possible. En d’autres mots, il revient à l’État de fixer les
frontières du privé et de tous les autres acteurs de la société. L’État est le maitre
du jeu, non pas pour un groupe en particulier, mais pour l’ensemble de la
collectivité. N’est-ce pas lorsqu’un peuple se reconnait dans ses dirigeants et
ses politiques que la démocratie prend tout son sens? Il faut croire que le Québec est encore loin
de la démocratie.
La grève des étudiants marque un départ
important pour exiger les réformes qui s’imposent dans tous les secteurs de la
gouvernance de l’État. Le Peuple Québécois doit s’approprier les outils d’un
État indépendant et souverain et se donner une constitution qui déterminera ses
priorités et les voies de son développement. Les gouvernants devront s’y
soumettre tout comme l’ensemble des groupes et des personnes composant la société.
Oscar Fortin
Québec, le 23 avril 2012