Peu nombreux sont ceux
et celles qui ont lu les deux Encycliques sociales du pape Jean XXIII, MÈRE ET
ÉDUCATRICE, PAIX
SUR TERRE. Dans ces deux encycliques, il rappelle certains constats faits
par ses prédécesseurs, dont Léon XIII,
Pie XI et
Pie XII.
C’est surtout dans la première de celles-ci qu’il fait ce rappel qui garde
encore pour notre temps toute son actualité. En voici les plus importants
extraits.
Au moment où les
pressions des milieux économiques d’aujourd’hui demandent la réduction des interventions de l’État, particulièrement
dans les secteurs sociaux, les propos tenus par le pape Léon XIII, en 1891,
gardent toute leur pertinence.
« L'État,
dont la raison d'être est la réalisation du bien commun dans l'ordre
temporel, ne peut rester absent du monde
économique; il doit être présent pour y promouvoir, avec opportunité, la
production d'une quantité suffisante de biens matériels, “dont l'usage est nécessaire à l'exercice de la vertu” et pour protéger les droits de tous les
citoyens, surtout des plus faibles, comme les ouvriers, les femmes et les
enfants. C'est également son devoir inflexible de contribuer activement à
l'amélioration des conditions de vie des ouvriers. » (MM.20)
Il en va de même avec la
déification de la libre concurrence et
de la loi du marché que nous vantent les économistes et hommes d’affaires comme
source première des libertés individuelles et collectives. Le pape Pie XI, en 1931, contredit cet énoncé dans son encyclique publiée à
l’occasion du quarantième anniversaire de l’Encyclique de Léon III.
La libre concurrence, en
vertu d'une logique interne, avait fini par se détruire elle-même ou presque; elle avait conduit à une grande
concentration de la richesse et à l'accumulation d'un pouvoir économique énorme
entre les mains de quelques hommes, « qui d'ordinaire ne sont pas les
propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants d'un capital qu'ils
administrent à leur gré. «(MM.35)
« À
la liberté du marché a succédé une dictature économique. L’appétit du gain a
fait place à une ambition effrénée de dominer. Toute la vie économique est
devenue horriblement dure, implacable, cruelle »; d’où résultent l’asservissement des pouvoirs
publics aux intérêts des puissants et la dictature internationale de l’argent.
(MM.36)
Ce
constat conduit au rejet absolu, comme règle suprême des activités et des institutions du monde économique,
soit l’intérêt individuel ou d’un groupe,
soit la libre concurrence, soit l’hégémonie
économique, soit le prestige ou la
puissance de la nation, soit d’autres
normes du même genre. (MM.40)
Il y a
dans ce dernier paragraphe le rejet
absolu de toute force politique et économique qui prétendrait s’imposer comme l’autorité suprême des activités et des
institutions du monde économique. Ce n’est pas peu dire, surtout en ces
temps où les forces de l’empire étasunien persistent dans leur volonté de
dominer le monde. Ses intérêts et sa sécurité nationale sont placés aux dessus
de tous les droits des personnes et des peuples. Or, dans cet extrait tiré de
l’Encyclique du pape Pie XI, il y a rejet absolu de tout empire.
Le pape Pie XII, pour sa part, y va en relativisant le droit sacré à la propriété
des biens. Lors d’une intervention radiophonique, en 1941, il déclare ce
qui suit au sujet de ce droit de propriété :
Ce droit ne saurait s’imposer comme un absolu. Il est délimité de
manière à ne pas mettre obstacle à « l'imprescriptible exigence que les biens,
créés par Dieu pour tous les hommes, soient équitablement à la disposition de
tous, selon les principes de la justice et de la charité ». (MM 42)
C’est en
référence à ces principes que le pape
Jean XXIII, au début des années 1960,
publie sa première Encyclique sociale, Mater
et Magistra, pour rappeler ces références de base, mais aussi pour
actualiser la doctrine sociale de l’Église pour les temps nouveaux.
Lui
comme ses prédécesseurs n’est pas sans détecter des distorsions inadmissibles dans
les systèmes politiques et économiques qui caractérisent les sociétés des
années 1950 et 1960.
Mais
c’est aussi un fait qu’en plusieurs de ces pays, face à la misère extrême de la
multitude, s’étalent au grand jour, insultant au sort des pauvres, le luxe et
les dépenses somptuaires d’une poignée de privilégiés; également, en plus d’un
endroit, les hommes sont astreints à des tâches humaines pour permettre à
l’économie nationale d’atteindre de hauts niveaux dans des délais très brefs,
incompatibles avec le respect des règles de la justice et de l’équité; ailleurs
enfin une part importante du revenu est consacrée à une politique démesurée de
prestige national et des sommes énormes sont dépensées en armements. (69)
La prospérité d’un peuple doit donc se mesurer moins à la somme totale
des biens et richesses qu’à leur juste répartition, celle qui permet la
promotion et l’épanouissement de tous les citoyens; car l’économie tout entière
n’a pas d’autre fin ni d’autre raison d’être. Le progrès social doit
accompagner et rejoindre le développement économique, de telle sorte que toutes
les catégories sociales aient leur part des produits accrus, Il faut donc
veiller avec attention, et s'employer efficacement, à ce que les déséquilibres
économiques et sociaux n'augmentent pas, mais s'atténuent dans la mesure du
possible. (74)
Une situation qui exige de la part de l’Église de
donner un coup de barre important pour combattre ces tares inadmissibles et
redonner confiance aux personnes et aux peuples. Il voit positivement les avancées de la socialisation à laquelle il
rattache de nombreux bienfaits.
La socialisation comporte bien des avantages et rend beaucoup de
services. Elle permet de satisfaire, surtout dans le domaine économique et
social, un grand nombre de droits de la personne humaine, entre autres ceux qui
concernent les moyens d’existence, les soins médicaux, la diffusion et le
progrès d’une culture de base, la formation professionnelle, le logement, le
travail, un repos convenable et de sains loisirs. En outre, grâce à la
meilleure organisation des moyens modernes de diffusion de la pensée, – presse,
cinéma, radio, télévision, – il est possible, en tout lieu du monde,
d’assister, pour ainsi dire en personne, aux évènements mondiaux, si éloignés
soient-ils. (61).
À cette fin, les responsables politiques doivent avoir une claire notion
du bien commun, c’est-à-dire de l’ensemble des conditions sociales permettant à
la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement. Nous
estimons, en outre, nécessaire que les corps intermédiaires et les diverses
organisations par où se réalise surtout la socialisation jouissent d’une réelle
autonomie et poursuivent leurs objectifs dans la concorde et au bénéfice du
bien commun. Il n’est pas moins indispensable que ces sociétés aient la forme
et la nature d’authentiques communautés; elles n’y réussiront que si elles
traitent toujours leurs membres en personnes humaines et les font participer à
leurs activités. (65)
En ce qui a trait aux systèmes économiques, il a ce
jugement qui ne prête à aucune équivoque :
C’est
pourquoi, si les structures et le fonctionnement d’un système économique sont
de nature à compromettre la dignité humaine de ceux qui s’y emploient, à
émousser en eux le sens des responsabilités, à leur enlever toute initiative
personnelle, nous jugeons ce système injuste, même si les richesses produites
atteignent un niveau élevé et sont réparties selon les lois de la justice et de
l’équité. (83)
C’est dire toute la place qu’occupent la personne
humaine et l’importance qui doit être accordée au sens de la responsabilité et
à l’initiative personnelle.
Dans son Encyclique Pacem in Terris (Paix sur terre), le pape Jean XIII avance d’un pas
de plus en précisant en quoi une autorité civile devient moralement
contraignante et quand elle donne lieu à l’objection de conscience.
51 -
L'autorité exigée par l'ordre moral émane de Dieu. Si donc il arrive aux dirigeants d'édicter des lois ou de prendre des
mesures contraires à cet ordre moral et par conséquent, à la volonté divine,
ces dispositions ne peuvent obliger les consciences, car « il faut obéir à Dieu
plutôt qu'aux hommes).
Bien
plus, en pareil cas, l'autorité cesse d'être elle-même et dégénère en
oppression. “La législation humaine ne revêt le caractère de loi qu'autant
qu'elle se conforme à la juste raison; d'où il appert qu'elle tient sa vigueur
de la loi éternelle. Mais dans la mesure où elle s'écarte de la raison, on la
déclare injuste, elle ne vérifie pas la notion de loi, elle est plutôt une
forme de la violence.
Bien des
dictateurs et des gouvernements serviles aux intérêts de l’empire et des
oligarchies nationales se retrouvent dans cette catégorie. Les constitutions
qui leur servent de loi ont été élaborées par elles-mêmes pour répondre avant
tout à leurs intérêts individuels et de groupes dominants.
78 - On
ne peut, certes, admettre la théorie selon laquelle la seule volonté des hommes
- individus ou groupes sociaux - serait la source unique et première d'où naîtraient
droits et devoirs des citoyens, et d'où dériverait la force obligatoire des
constitutions et l'autorité des pouvoirs publics (Pt.52)
La
conscience des peuples, de plus en plus développée, exige que la loi
fondamentale qui doit encadrer les activités politiques, économiques, sociales
du pays soit le reflet de ce qu’ils sont comme peuple et réponde aux valeurs
qui les portent. Ce n’est pas pour rien que de nombreux peuples exigent de plus
en plus la mise en place de constituantes pour procéder à la rédaction de ces
constitutions, reflets de ce qu’ils sont et veulent.
79 – (…) les
hommes de notre temps ont acquis une conscience plus vive de leur dignité; ce
qui les amène à prendre une part active aux affaires publiques et à exiger que
les stipulations du droit positif des États garantissent l'inviolabilité de
leurs droits personnels. Ils exigent en outre que les gouvernants n'accèdent au
pouvoir que suivant une procédure définie par les lois et n'exercent leur
autorité que dans les limites de celles-ci.
Un
dernier point mérite d’être relevé. Dans son encyclique Mater et Magistra, le pape Jean XXIII justifie le fait des nationalisations en affirmant, qu’au-delà de
la coopération nécessaire entre les pouvoirs publics et les secteurs privés,
que l’État et les établissements de droit public puissent, eux aussi, posséder
des biens de production. C’est en ces termes qu’est énoncé ce principe :
Ce qui
vient d’être exposé (la collaboration entre le public et le privé) n’exclut
évidemment pas que l’État et les établissements de droit public puissent, eux
aussi, posséder des biens de production spécialement lorsqu’il s’agit de biens
qui ‘en viennent à conférer une puissance économique telle qu’elle ne peut,
sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes
privées’ (MM.116)
LE SOCIALISME DU XXIe siècle
Nous y voilà arrivés à ce fameux socialisme qui fait grincer
des dents les épiscopats et les oligarchies catholiques.
Ce socialisme n’est pas
le produit d’une idéologie, mais de la mouvance d’une société qui fonde son
développement sur des valeurs de justice, de vérité, de solidarité et qui fait
de l’État l’outil du peuple pour assurer le Bien commun de l’ensemble de la société.
La démocratie participative dont il se fait le promoteur prend forme et se
développe avec la conscientisation et l’organisation des divers intervenants
sociaux pour qu’ils soient impliqués dans les décisions et les orientations
politiques et économiques. Il est foncièrement anti-impérialiste et anticapitaliste, sans être toutefois contre
l’entreprise privée qui accepte de subordonner ses intérêts individuels et
mercantiles à ceux du bien commun de la collectivité.
Sur le plan économique,
le tout nouveau président déclare en février 1999 : notre projet ne veut
pas une étatisation de l'économie, mais il n'est pas non plus néolibéral. Nous
cherchons une voie moyenne, où la main invisible du marché collabore avec la
main visible de l'État : autant d'État que nécessaire, autant de marchés
que possible. (19 Richard Gott, Hugo Chávez and the Bolivarien Revolution,
Verso, Londres, 2005, p. 175)
Lorsque
nous relevons les 15 années de pouvoir du gouvernement bolivarien porté par ce
socialisme du XXIe siècle nous reconnaissons l’application des grands principes
que nous retrouvons dans la doctrine sociale de l’Église telle qu’exprimée par
le pape Jean XXIII. Je me permets de vous référer à un article faisant ce rapprochement entre ce
socialisme et la pensée sociale du pape Jean XXIII. À vous d’en juger.
Je mets
au défi tous les adversaires de ce socialisme qui se réclament de l’Église
catholique de dire en quoi ce socialisme va à l’encontre de la pensée sociale
de l’Église telle qu’exprimée dans les encycliques sociales de Jean XXIII.
En ce
qui me concerne, il en est plutôt une expression vivante.
35 - Voilà pourquoi une société n'est dûment ordonnée,
bienfaisante, respectueuse de la personne humaine, que si elle se fonde sur la vérité, selon
l'avertissement de Saint Paul : ‘Rejetez donc le mensonge; que chacun de
vous dise la vérité à son prochain, car nous sommes membres les uns des autres
(25).’ Cela suppose que soient sincèrement reconnus les droits et les devoirs
mutuels. Cette société doit, en outre, reposer
sur la justice, c'est-à-dire sur le respect effectif de ces droits et sur
l'accomplissement loyal de ces devoirs; elle doit être vivifiée par l'amour, attitude d'âme qui fait éprouver à chacun
comme siens les besoins d'autrui, lui fait partager ses propres biens et incite
à un échange toujours plus intense dans le domaine des valeurs spirituelles.
Cette société, enfin, doit se réaliser dans la liberté, c’est-à-dire de la
façon qui convient à des êtres raisonnables, faits pour assurer la
responsabilité de leurs actes. (Pacem in
terris)
11 - Tout être humain a droit à la vie, à l'intégrité physique et aux
moyens nécessaires et suffisants pour une existence décente, notamment en ce
qui concerne l'alimentation, le vêtement, l'habitation, le repos, les soins
médicaux, les services sociaux. Par conséquent, l'homme a droit à la sécurité
en cas de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse, de chômage et
chaque fois qu'il est privé de ses moyens de subsistance par suite de circonstances
indépendantes de sa volonté.
C’est ce à quoi la révolution bolivarienne s’adonne en faveur de tout le
peuple en commençant par les plus pauvres et les plus démunis et cela depuis
les quinze dernières années. Il va également dans le sens de l'Exhortation apostolique Evangelii Gaudium du pape François.
Je place
cet article sous le patronage du pape Saint Jean XXIII.
Oscar
Fortin
Le 26
avril 2014