LA RIGUEUR DE STÉPHANE DION, L’UNIVERSITAIRE, NE
FAIT PLUS PARTIE DU MINISTRE QU’IL EST DEVENU. (RÉPONSE À
SA LETTRE)
Monsieur le
Ministre,
En tout premier lieu, je
tiens à vous remercier pour avoir donné suite à ma correspondance de février
dernier. Je sais que les dossiers et les lettres auxquelles vous devez répondre
ne manquent pas.
J’ai lu
attentivement votre lettre qui m’a interpellé sur de nombreux points que je me
permets de partager avec vous.
Une première impression générale se dégage en
relation à la rigueur du professeur universitaire que vous étiez avec celle du
ministre que vous êtes devenu.
Pour l’Ukraine, vous passez outre au
fait que des forces, préparées et soutenues par les États-Unis, ont renversé un gouvernement, légitimement
élu.
Vous passez également sous silence le rejet de cette usurpation de pouvoir par
une partie importante de la population ukrainienne, particulièrement celle du
Donbass et de Crimée.
Ce rejet s’est
concrétisé, pour la population de Crimée, par un référendum portant sur son
affranchissement de la gouvernance illégale des putschistes de Kiev pour être
rattachée à la Fédération russe. C’est avec une grande majorité que le « oui »
l’a emporté et que la Russie, à leur demande, l’a aussitôt reconnu
comme membre à part entière de la Fédération russe. Par contre, les populations
du Donbass n’eurent pas les mêmes opportunités et durent se préparer à un dur
combat. De fait, ils furent victimes de tueries sauvages et de massacres qui pourraient
être jugés comme crimes de guerre.
Dans votre
lettre, vous évoquez le droit international que vous appliquez à la population
de Crimée sans toutefois en faire une référence au nouveau Gouvernement de Kiev
et à ses mentors. N’ont-ils pas usurpé par des moyens non démocratiques le
pouvoir d’un État sous la gouvernance d’un gouvernement démocratique ?
« “Le droit international interdit
l’acquisition par la coercition ou la force d’une partie ou de l’ensemble du
territoire d’un autre État. Cet acte va à l’encontre des principes sur
lesquels le système international est fondé.”
Vous conviendrez
avec moi que la population de Crimée est bel et bien sur son propre territoire et
se trouve face à un envahisseur étranger qui s’est emparé du pouvoir central de
Kiev. Dans pareilles circonstances, qui n’auraient pas agi de même ? Par ce
référendum, le peuple ukrainien de Crimée a décidé de son indépendance et de
son rattachement à la Fédération de Russie.
Dans votre
correspondance, vous poursuivez :
Le Canada appuie
le peuple ukrainien et s’attend à ce que la Russie participe pleinement au
processus de paix de Minsk, notamment en cessant d’approvisionner et de
soutenir les insurgés dans l’est de l’Ukraine ainsi qu’en respectant totalement
la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Vous parlez des
populations du Donbass comme si elles ne faisaient pas partie du peuple
ukrainien. Ce sont pour vous des rebelles
alors que les manifestants de la Place Maïdan représentaient sans doute pour
vous la voix du peuple. Quant à Minsk, je vous dirai
que les propos que vous avez tenus aux autorités ukrainiennes m’ont
particulièrement surpris. Plutôt que d’insister sur l’importance, pour ces
dernières, de donner suite dans les plus brefs délais à leurs engagements pris
à Minsk, vous insistez pour que ce soit particulièrement la Russie qui donne
suite à ses engagements. Les ententes à
concrétiser ne se font pas entre le gouvernement central de Kiev et celui de la
Russie, mais avec les populations de Lougansk et de Donetsk. C’est avec elles
que le gouvernement de Kiev doit s’entendre sur la base des propositions de
Minsk.
“J’ai aussi
souligné l’importance d’appliquer de façon exhaustive les accords de Minsk, en
particulier par la Russie, afin d’instaurer une paix durable en Ukraine.”
Vous savez comme
moi que cet accord prévoyait, pour fin 2015, des changements constitutionnels favorisant une décentralisation des
régions de Donetsk et de Lougansk. Or rien de tout cela n’a été fait de la
part du gouvernement central. Il s’agit d’un point excessivement important pour
la paix dans la région. N’était-il pas
de votre devoir d’insister pour que le gouvernement central donne suite le plus
rapidement possible à ces engagements constitutionnels ? Je sais que M. Poutin
insiste beaucoup pour que cette décentralisation soit inscrite dans la
constitution.
Je conclus cette
première partie en mettant en question votre postulat de base qui fait de la
Russie l’agresseur de l’Ukraine et qui laisse dans l’ombre les véritables
interlocuteurs du gouvernement central que sont les populations du Donbass..
“Face à
l’agression militaire et à l’occupation illégale par la Russie, le Canada a
pris un certain nombre de mesures pour soutenir le peuple ukrainien, à l’heure
où celui-ci s’efforce de rétablir la stabilité politique et économique, y
compris l’imposition
de sanctions contre les responsables de la crise actuelle.”
Le professeur de
Science politique a vraiment perdu de sa rigueur en devenant ministre des
Affaires étrangères du Canada.
Pour la Syrie, paradoxalement, la position du
Canada est à l’opposé de celle adoptée pour l’Ukraine. Les rebelles sont
devenus des alliés et le gouvernement central de Bachar al Assad, l’ennemi à
abattre. Le respect du droit international ne fait plus partie du débat. Les États-Unis
et ses alliés, dont le Canada, peuvent se permettre d’entrer et de sortir de la
Syrie comme s’il s’agissait d’un territoire sur lequel ils auraient tous les
droits. Je me permets de reproduire ici votre citation antérieure, appliquée à
la Crimée.
“Le droit
international interdit l’acquisition par la coercition ou la force d’une partie
ou de l’ensemble du territoire d’un autre État. Cet acte va à l’encontre
des principes sur lesquels le système international est fondé.”
Vous faites
également état de toutes ces victimes de la violence gouvernementale. Je
remarque que votre grande sensibilité pour la répression sanglante dont furent
victimes les opposants au gouvernement de Bachar al Assad contraste avec votre
silence sur la répression et les massacres dont furent victimes les populations
de Lougansk et de Donetsk. Il faut croire que vos sources d’information n’ont
pas été mises à contribution pour couvrir ces massacres dans ces
régions de l’Ukraine. Il en fut de même avec nos médias officiels qui se
gardèrent bien de lever le voile sur ces attaques meurtrières de la part du
gouvernement de Kiev et de leurs alliés, dont le Canada.
Je reviens à
votre lettre, traitant de la Syrie. Vous déclarez qu’il appartient au peuple
syrien de décider de son propre destin.
“Le
Canada a appelé la communauté internationale à se mobiliser et à défendre le
droit du peuple syrien à décider de son avenir.”
Il s’agit là d’une déclaration avec laquelle la Russie et ses alliés sont
bien d’accord. Ces derniers répètent à qui veut l’entendre que seul le
peuple syrien dispose du pouvoir de décider de ses gouvernants et de son
Président.
Par contre dans votre lettre vous revenez avec le fait que le Président
Bachar al Assad ne fait pas partie de la solution et qu’il doit partir. Vous
parlez comme si c’était la coalition occidentale et non le peuple qui avait ce
pouvoir de disposer de l’actuel Président.
“Le Canada est
convaincu qu’un règlement politique négocié est la seule façon de mettre fin à
la crise syrienne. Le maintien au pouvoir d’Assad ne peut faire partie de
quelque solution réaliste que ce soit.”
Faut-il comprendre que les négociations de paix seraient conditionnelles
au départ de l’actuel Président ?
Je vous rappelle qu’en février, 2012, le peuple syrien s’est donné, avec
une forte majorité, une nouvelle
constitution, qu’en juin, 2014, il y eut une élection
présidentielle, remportée par le président Bachar Al Assad et qu’en avril
2016, il y eut des élections
législatives. Il est évident que ce référendum et ces élections n’ont
pas été sous le contrôle de Washington. Sont-elles pour autant moins crédibles
que celles dirigées de l’extérieur par l’occident ?
Je vous invite à prendre connaissance de l’intervention du Président de Russie,
Vladimir Poutine, au 27e Sommet de la Ligue arabe. Il a dit entre autres ceci
en relation à la lutte contre le terrorisme et au respect de la souveraineté
des peuples :
“Il faut
faire face à ce mal et l’accompagner d’efforts conjoints, censés assurer le
règlement politique des crises en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen et dans d’autres
zones chaudes”, a poursuivi M. Poutine, soulignant la nécessité de
respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays de la
région. »
Pourquoi le Canada
tarde-t-il à faire siens, dans la pratique, ces principes du droit
international, de les respecter sans détour et sans faux fuyants. Toutes ces
révolutions de couleur, ces luttes contre le terrorisme et contre la drogue ne
sont, dans bien des cas, que des couvertures pour s’infiltrer dans des pays et
en prendre le contrôle. Même le recours à l’aide humanitaire en est venu, pour
certains, à servir de couverture pour mieux s’infiltrer au sein des populations
pour mieux les manipuler. Vous êtes bien placé pour le voir et le savoir. En
couvrir la réalité est en devenir complice.
Je regrette le Canada de
l’honorable Lester
B. Pearson qui a fait luire, le temps d’une décennie, l’étoile
internationale du Canada comme une référence internationalement reconnue
pour la paix dans le monde.
Si vous le
vouliez, vous pourriez en faire tout autant aujourd’hui. Il vous suffit de
retrouver votre propre indépendance et d’en faire tout autant avec celle du
Canada, devenu honteusement une dépendance des politiques interventionnistes de
Washington. Il faut laisser de côté le langage formaté qui ne fait que couvrir par
des mensonges et la manipulation des actions de conquêtes et de domination.
Retrouvez le langage direct de la vérité, brisez ces frontières artificielles
qui vous isolent d’une partie importante du monde. Vous n’êtes pas obligé de
faire des ennemis de vos partenaires vos propres ennemis. Le Canada mérite plus
que cela.
Oscar Fortin
Le 26 juillet
2016